Les trois nouveaux défis de la réforme financière mondiale
La faillite de Lehman Brothers a brièvement propulsé la régulation financière au tout premier plan de l’agenda mondial, mais le soufflé est largement retombé depuis. La présidence française du G20 cette année place, d’ailleurs, le sujet loin derrière les questions macroéconomiques internationales. Le secteur financier donne l’impression d’être revenu à ses habitudes d’avant la crise, bonus inclus. Les débats restent isolés du grand public par d’épaisses barrières de jargon et des écrans de fumée divers dont s’accommodent à la fois des dirigeants financiers peu avides de transparence et des autorités publiques soucieuses de faire oublier leurs errements passés.
Avec le recul, toutefois, les deux dernières années n’ont pas été inutiles. Aux Etats-Unis, la loi Dodd-Frank, dont les règlements d’application sont en voie de finalisation, a modifié de nombreux paramètres dont certains sont loin d’être négligeables. Dans l’Union européenne (UE), la crise bancaire se prolonge et le processus législatif est dans l’ensemble très lent, mais un pas majeur a été franchi avec la création des trois autorités supranationales de surveillance à la suite du rapport de Larosière. Les exigences de capital ont également été renforcées.
Pour autant, les mesures adoptées jusqu’ici ne constituent pas encore une réponse adéquate au choc sans précédent de la crise. Trois défis majeurs vont probablement dominer les prochaines étapes.
Le premier défi est constitué par les institutions financières dont la faillite serait tellement dangereuse que les gouvernements préfèrent les renflouer en cas de crise (« too big to fail »). Ce problème fait l’objet de discussions passionnées aux États-Unis, mais il est encore plus aigu dans l’UE, en raison notamment de l’extrême concentration des systèmes bancaires nationaux. En Europe, seul le Royaume-Uni a pour l’instant engagé un véritable débat public sur ce sujet.
Le deuxième défi consiste à éviter que la rerégulation en cours ait pour conséquence involontaire de fragmenter l’espace financier international, ce qui serait sans doute négatif pour l’intégration économique et la croissance mondiale. Cela exigerait une cohérence accrue dans la régulation et la supervision des infrastructures clés, matérielles et immatérielles, des marchés de capitaux mondiaux. La saga inachevée de l’harmonisation comptable internationale illustre la difficulté d’un tel effort.
Le troisième défi est de s’assurer que la capacité des systèmes financiers à favoriser la croissance économique ne diminue pas, et soit même améliorée par les réformes en cours. Au-delà des débats sur les exigences de fonds propres, l’enjeu essentiel est la concurrence et l’innovation pour offrir des services financiers meilleurs et économiquement plus productifs. Le crédit est généralement insuffisant dans les pays émergents, et dans les économies plus avancées, il n’est pas toujours alloué aux emprunteurs qui en feraient le meilleur usage, en particulier les sociétés à forte croissance.
La réponse à ces trois défis est rendue plus ardue par une remarquable carence de données statistiques et de travaux de recherche pertinents à leur sujet. En outre, les réformes financières sont de plus en plus contraintes par les évolutions politiques, avec une forte attente de l’opinion publique dans beaucoup de pays que le secteur financier paye un prix pour avoir été à l’origine de la crise. L’interaction entre les différents niveaux géographiques de réforme ajoute un degré supplémentaire de complexité : le premier des trois défis implique un mélange de réponses locales et globales, le deuxième relève surtout du niveau mondial, et le troisième du niveau local (national ou européen). Cela crée de multiples incitations, à la fois pour les autorités publiques et les acteurs financiers privés, à esquiver leur responsabilité et à arbitrer entre les différents niveaux.
Le cycle de réforme financière qui a commencé avec la crise est loin d’être achevé. Pour que sa poursuite augmente les chances d’aboutir à un système financier qui combine les attributs souhaités de stabilité, de transparence, d’efficacité et d’équité, les décideurs publics à tous les niveaux devront faire preuve d’encore plus de vision et de créativité que cela n’a été le cas jusqu’à présent.