Les effets de prisme sont parfois étonnants. À suivre l’actualité depuis la France, l’économie française est au 36ème dessous alors que l’économie britannique, depuis qu’une piqûre libérale l’a réveillée dans les années 80, aligne les succès.

Regardant les choses de l’autre côté de la Manche, on a une image singulièrement différente. Vu de là-bas, même ce parangon de société verrouillée qu’est la France semble plus tonique que l’économie britannique.

C’est ce qu’indique une étude concise mais bien documentée que publie en date du 16 septembre le Center of Economic Reform. Rédigée par Simon Tilford, elle fait la comparaison des performances du Royaume-Uni depuis 1980 avec celles de quatre autres grands pays européens : France, Allemagne, Italie et Espagne. Son titre est éloquent : « Brexit Britain – The poor man of Western Europe ». Ses conclusions ont été reprises par Martin Wolf, l’éditorialiste du Financial Times, dans une tribune désabusée en date du 29 septembre. Pour lui, les problèmes du Royaume-Uni ne s’arrêtent pas à ses difficultés d’intégration dans l’Union européenne.

Le premier graphique (il y en a 14 de la sorte dans l’étude) porte sur la croissance.

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La ligne bleu marine est celle du Royaume-Uni. Sa croissance a certes été la meilleure des 5 grands pays jusqu’à la crise, à l’exception de l’Espagne, mais s’est vivement retournée lors de la crise. Elle remonte depuis, un peu plus rapidement que la France, mais au final sa progression sur les 15 ans la met au 4ème rang du groupe des cinq, ne devançant que l’Italie. Attention toutefois : il s’agit de chiffres de croissance calculée en pouvoir d’achat, c’est-à-dire en capacité d’acheter un même panier de biens, plutôt que de reposer sur le taux de change entre la livre et l’euro. La presse se focalise habituellement sur la croissance non corrigée des effets de change, qui est plus flatteuse pour le Royaume-Uni.

Le second graphique traite du point noir relevé de longue date par les économistes britanniques à propos du Royaume-Uni : une productivité du travail extrêmement basse (mesurée comme le PIB en volume divisé par les heures travaillées). Ici, non seulement le Royaume-Uni traîne en queue de peloton avec l’Espagne et l’Italie, mais a connu une forte baisse depuis la crise. Consolation non négligeable toutefois, cette productivité basse s’accompagne d’un niveau de chômage bien inférieur à celui des pays du sud de l’Europe, dont la France. Beaucoup de petits jobs mal payés là-bas, mais de jobs quand même.

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Au travers de ces graphiques, le Royaume-Uni ne donne plus l’image gagneuse que certains lui prêtent volontiers de ce côté-ci de la Manche. Il pâtit notamment d’un chiasme gigantesque entre l’économie londonienne, parfaitement intégrée à l’économie-monde et qui détient le record de valeur ajoutée par tête en Europe, et le reste du pays, un hinterland que la capitale laisse en déshérence. C’est cette seconde Grande-Bretagne qui a voté le Brexit, alors que Londres, on comprend pourquoi, était majoritairement pour continuer de jouer le jeu gagnant pour elle de l’intégration, et qui va probablement être entravé avec le Brexit. L’annonce du Brexit a fortement fait chuter la livre sterling par rapport à l’euro. Du coup – du moins tant que la parité reste en dessous de 1,15€ pour une livre – la France repasse devant le Royaume-Uni, pour la place de 5ème mondiale.

Une leçon en creux de l’étude est en tout cas qu’il y a un homme (ou une femme ?) indubitablement malade en Europe, à savoir l’Italie, dont les performances sont les plus mauvaises dans presque tous les compartiments.

Cet article a été publié sur Vox-Fi le 5 octobre 2016.