Le Blog de la DFCG a publié le 10 mai 2011, un article prémonitoire (L’euro et les crises financières) de Paul de Grauwe, économiste enseignant à l’Université de Louvain, publié en 1998 qui mettait en lumière les risques auxquels l’Union économique et monétaire européenne devrait faire face. En se fondant sur l’observation des crises asiatiques du début du millénaire, l’auteur distinguait trois types de danger.

  1. les marchés de capitaux sont libéralisés, créant ainsi le potentiel de vastes mouvements internationaux d’actifs financiers.
  2. les pays conservent leur taux de change arrimés à une seule monnaie, créant la perception qu’il y a peu de risque à transférer des fonds d’un marché à l’autre.
  3. le régime monétaire (y compris son contrôle réglementaire) n’est pas adapté au nouveau régime libéralisé des marchés de capitaux.

De façon tout aussi prémonitoire, l’auteur envisageait un scénario catastrophe en Espagne lié à une bulle immobilière… mais il concluait que le pire n’est jamais certain.

Nous engageons le lecteur à se plonger à nouveau dans l’article de Grauwe avant de tenter de relever quelques enseignements fondés sur la situation actuelle de l’Europe monétaire et financière.

« Les marchés de capitaux sont libéralisés »

Une récente publication de la Banque d’Angleterre nous indique que non seulement cette liquidité des flux financiers a augmenté au sein de l’Union européenne, mais aussi que ce phénomène est constaté entre zones monétaires : « les échanges de flux monétaires pourraient être générateurs d’instabilités financières. Dans ce cas, la tentation des dirigeants serait grande d’ériger des barrières protectionnistes et autres mesures macroprudentielles susceptibles de mieux contrôler les transferts de capitaux » (voir à ce sujet le billet du Blog du 24 mai 2011 : Le contrôle des flux de capitaux vers les pays émergents : une approche rénovée du FMI).

L’étude anglaise précise ce point en avançant l’analogie d’un gros poisson dans une petite mare ! En effet, alors que le biais national dans l’allocation géographique des capitaux est avéré dans les pays émergents, ce biais perd en pertinence au sein de la communauté des gérants de fonds issus de pays développés : la part des flux quittant les pays avancés par rapport au PIB est supérieure à la croissance de ce dernier et à celle des économies émergentes.

Ainsi, et pour prendre une autre analogie, il s’agirait de faire entrer des capitaux volatiles dans la boîte à chaussure d’économies émergentes avec un chausse-pied ! Certains estiment que ce mouvement – qui s’accélère – correspond à une bulle, d’autres que les fonds sont placés dans un buffer en attente de l’accroissement de la profondeur des marchés émergents. Le débat n’est pas seulement sémantique car il en va de la stabilité de l’économie des 20 pays les plus riches (en termes de PIB) et de l’organisation macroéconomique du monde.

Aussi, apparaît-il que la crise de l’euro est d’avantage liée à l’instabilité des flux de capitaux dans le monde qu’à une tare consubstantielle à la zone euro, contrairement à ce qu’avait avancé de Grauwe !

« Les pays conservent leur taux de change arrimés à une seule monnaie »

Certes les ingrédients d’une crise d’allocations des ressources financières mondiales se retrouvent à l’échelle de l’Europe, mais les institutions actuelles et davantage celles en préparation, sont sources d’optimisme pour peu que les dirigeants européens soient suffisamment convaincants avec leurs opinions publiques. Lire que le fond du sujet en Europe tient à ce que les riches européens du Nord ne veulent plus payer pour les pauvres fainéants du Sud est un peu simpliste !

Chacun a compris que les adversaires d‘Angela Merkel se trouvent dans son camp plutôt que chez les sociodémocrates. Certes, la Chancelière allemande dit, à bon droit, qu’une Union monétaire – et surtout politique – ne peut survivre quand les uns prennent leur retraite à 60 ans et les autres à 67 ans, quand certains travaillent 35 heures par semaine et 10 mois par an contre respectivement 39 heures et 11 mois. Mais il s’agit bien ici d’éléments politiques, ce que De Grauwe ne pouvait anticiper.

On peut admettre que les opérateurs de marché ont testé les pays les plus fragiles, pas uniquement en fonction de leurs indicateurs macroéconomiques, mais davantage en fonction de l’importance de leur PIB et donc de la capacité à vendre de la dette souveraine à découvert avec un engagement financier ou capitalistique minimum.

Avoir une seule monnaie est un avantage pour les pays de la zone euro, car les moyens financiers du groupe peuvent être mis à disposition du maillon faible, pour autant qu’il n’y ait pas trop de maillons qui se fendillent en même temps !

« Le régime monétaire (y compris son contrôle réglementaire) n’est pas adapté au nouveau régime libéralisé des marchés de capitaux »

Il apparaît en 2011 que la libéralisation des marchés faiblit et non pas l’inverse (voir le même billet du 24 mai)… sauf en Europe !

Le contrôle réglementaire de la monnaie est fait par la BCE et la Banque d’Angleterre bien plus courageusement que par la FED. Non pas par incompétence, mais parce que les peuples l’empêcheraient. Si les agences de notation ont placé nos voisins d’outre-Manche sous surveillance négative, c’est surtout parce que le risque du système bancaire britannique pourrait n’être jugulable qu’au prix de garanties étatiques étendues, moyens que le Royaume-Uni n’a probablement plus à sa disposition. Nonobstant la propension naturelle et historique du pays à privilégier l’épargne longue, les Britanniques pourraient être amenés à rejoindre la zone euro tels les bourgeois de Calais. En matière monétaire, la procrastination est rarement la bonne solution !

Entre un contrôle réglementaire européen de la monnaie et celui qu’aurait dû exercer, sans l’euro, le Fonds monétaire international, le choix n’est pas difficile. On distingue, à cet égard, assez clairement une complémentarité entre l’Union européenne et le FMI dans la mise en œuvre des plans de sauvetage (grecs, irlandais…).

Pour revenir à notre exemple du « gros poisson dans un petit bassin », faut-il mentionner la décision du gouvernement suisse, fort de l’exemple irlandais, de délocaliser les activités de banque d’investissement d’UBS par manque de surface financière des contribuables suisses en cas de nouveau crash !

En paraphrasant Churchill qui évoquait la démocratie, l’euro est la pire chose pour l’Europe… à l’exclusion de toutes les autres.

Quel euro en 2011-2012 ?

Paul de Grauwe a, sans doute, bien identifié les points de faiblesse de la construction monétaire européenne et prédit l’ « échec » relatif et temporaire de l’euro ; mais son apport est plutôt celui d’un anti-prophète ! En effet, le mérite de ses prédictions est d’avoir contribué à ce qu’elles ne fussent pas autoréalisatrices et que n’apparût point le chaos ! Ou plutôt, qu’elles correspondent à des asymptotes, assez clairement balisées pour qu’elles ne puissent être franchies – comme toute asymptote !

Néanmoins, il reste beaucoup à faire et les exemples ci-dessous ne représentent qu’un échantillon de ce qui reste à construire.

La mise en place de politiques contra-cycliques en Europe ne peut se concevoir qu’au niveau de la zone euro. Le comblement des déséquilibres intracommunautaires et le respect d’une convergence minimum (ou maximum !) sont impératifs.

Les flux monétaires intracommunautaires circulent sans limitation, mais le point ici porte plutôt sur le fait que l’Union ne répond pas aux principes de Ricardo (cf. sur le Blog de la DFCG le 1er décembre 2010 : Mobilité des facteurs de production et chocs asymétriques). La réponse à ce problème, est davantage d’ordre politique qu’économique.

Les statuts de la BCE qui la confinent à un rôle de défenseur de la monnaie sans être obligé de tenir compte de l’emploi en Europe, seront repensés, une fois obtenue, la convergence macroéconomique des pays européens.

Une fois encore, le « déficit » d’Europe est plus dommageable que son excès. Et à l’heure où une démagogie électorale inconséquente va déferler sur la France, il faut inlassablement rappeler que l’avenir des Européens réside ni dans le plus, ni dans le moins d’Europe, mais dans le « mieux » d’Europe. À cet égard, la création d’une fonction de ministre de l’Économie et des Finances européens, ainsi que le propose Monsieur Trichet, participerait au comblement de ce déficit.

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Pour que le gros poisson se sente à l’aise, il faut augmenter la taille et la profondeur de sa mare ! [/quote]