L’euro et les salaires en France : IG Metall ou Monsieur 4 %
On sait le pacte faustien qu’est devenue la zone monétaire européenne : venez, s’il vous plaît, cher pays (disons la Grèce ou le Portugal) ! Passez un examen assez gentillet (le pacte de stabilité), on fermera les yeux sur le détail de vos comptes ! Vous avez d’un seul coup une monnaie stable, un coût de votre dette réduit de moitié, une capacité quasiment illimitée à l’emprunt public, vos citoyens n’ont plus à emprunter en devise étrangère forte pour chercher des taux d’intérêt plus bas, laissez cela aux Lituaniens ou aux Hongrois ; ils auront leur nouvelle monnaie, toute jolie, toute brillante, l’euro !
On le découvre à présent – voir les nombreux billets de ce blog sur le sujet – l’Allemagne avait les habits de Méphistophélès. Méthode allemande : des positions concurrentielles déjà solides, une industrie d’exportation à toute épreuve, et une politique délibérée de désinflation compétitive. Merci M. Schröder, dont on ne dira jamais assez l’homme politique allemand qu’il a été, avec le plan d’ajustement qu’il a mis en place, acceptant délibérément pour cela le risque de perdre les élections (il les a perdues). L’industrie allemande grignote ainsi chaque année un point, deux points, trois points d’inflation des prix et surtout des salaires par rapport à ces pays assez benêts ou braves pour avoir signé le pacte sans en tirer les conséquences. Pas moyen de s’en échapper, la clé de la dévaluation a été confisquée. Au bout de cinq ans, dix ans pour certains, ouvrez les yeux ! Les panzers sont là et ont repoussé inexorablement l’industrie locale, pas la peine d’accuser la Chine. Ne vous étonnez pas, on a déjà vu le phénomène dans un cadre national : une monnaie, et donc l’euro, ça façonne, ça polarise un territoire ! Les entreprises se mettent en Région parisienne plutôt que dans le Cantal ; et donc, mêmes mécanismes, les entreprises se mettront à terme en Westphalie plutôt qu’en Thessalonique ou dans l’Algarve. Ou peut-être, c’est là le danger, qu’en Lombardie ou qu’en Alsace. Mme Merkel s’en défend, indique que tous les autres pays n’ont qu’à copier l’Allemagne, mais ce n’est pas si facile. Qu’elle compare la Pologne, qui prospère dans son rôle d’hinterland de l’industrie allemande, et les Länder de l’Allemagne de l’est étouffés par les Länder de l’ouest.
Pour parer le danger, il suffit de connaître les règles du jeu. La France l’avait fait en son temps et avait payé pour cela. Rappelons-nous, c’était la période du franc fort, intelligemment mais durement conduite par la gauche à compter de 1983 : dans une zone économique dominée par l’Allemagne, et avec l’intégration croissante que dans les faits, Union européenne ou pas, connaissait l’Europe, la politique monétaire et de change devenait un privilège allemand, selon des directives fixées à Francfort. Eh bien, ouvrons les yeux, il en va pareillement aujourd’hui, sauf que ce n’est plus seulement la politique monétaire qui est unique, c’est la politique salariale et de productivité.
Messieurs-dames les politiques français, n’oubliez pas aussi d’ouvrir les yeux. Désormais, les salaires français (et pas seulement ceux de Grèce ou d’Espagne) seront largement fixés par le patronat allemand, en liaison avec l’IG Metall, le grand syndicat allemand de la métallurgie ; et sous les pressions du gouvernement fédéral, quoi qu’en dise le ministre allemand des finances. On peut s’insurger contre cette perte de souveraineté, mais c’est un fait. On peut débattre du bénéfice collectif du phénomène ; indiquer à raison comme Christine Lagarde qu’il faut être deux pour un tango, mais il s’impose. Selon l’OCDE, les coûts salariaux unitaires ont augmenté de près de 30% en France depuis 1996, contre 5% en Allemagne (et 60% en Espagne). Il n’y a bien sûr pas que les salaires dans l’analyse de la compétitivité, mais autant ne pas rajouter aux très nombreux avantages de l’industrie allemande celui des coûts salariaux. Les directeurs financiers d’entreprises industrielles le savent, quand celles-ci ont des unités de production à la fois en France et en Allemagne : malgré une productivité très élevée en France, la rentabilité des unités allemandes est sensiblement plus élevée, de 10% me disait un membre de la DFCG, directeur financier d’une entreprise chimique française disposant d’équipements identiques dans les deux pays.
C’est dans ce décor qu’arrive l’affaire Proglio. Je ne parle pas de son propre arrangement salarial, une peccadille ! Non, l’annonce, dès son arrivée, selon on ne sait quel autre arrangement, d’une hausse de 4,4% en moyenne pour les salariés d’EDF1. Voilà une entreprise emblématique du point de vue de sa politique salariale et sociale, qui annonce à l’ensemble des entreprises françaises qu’une hausse de 4,4% des salaires, i.e. de l’ordre de 3 points ou plus de pouvoir d’achat, est dans l’ordre des choses. Les salaires allemands sont programmés entre 1 et 2% pour 2010, soit près de zéro de pouvoir d’achat. Ceux des autres entreprises du CAC40 s’étagent entre 0,5% et 2%, selon Les Echos. L’effet d’image sur le monde économique est désastreux, à la fois en raison de la contagion directe sur les salaires des autres entreprises et de l’effet indirect probable sur le prix de l’électricité. Du point de vue de la politique économique, c’est insoutenable. Parlons moins de la concurrence chinoise et commençons par arrêter la fuite des emplois industriels vers la Westphalie.
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1. En pratique, 3,05% d’augmentations générales et individuelles, et le reste comme suite à diverses dispositions, dont 0,9% relevant des accords de branche
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