L’Europe affronte une fragilité systémique de son secteur bancaire depuis bien avant la crise grecque. Cette fragilité a été révélée par le choc venu des Etats-Unis en 2007-2008 et n’a à aucun moment été réellement affrontée en dépit des vagues successives de « stress tests ». C’est dans ce contexte que de nombreux responsables se sont récemment déclarés en faveur d’une « union bancaire », comprise comme un cadre fédéral pour l’intervention publique dans le secteur bancaire en Europe. Christine Lagarde a ouvert ce bal dès le 17 avril : « A court terme, il serait utile de disposer d’un instrument à l’échelle de la zone euro pour prendre des participations directes dans des banques. A plus long terme, l’Union monétaire doit être complétée par une intégration financière plus forte, ce qui pour nous devrait prendre la forme d’une supervision unifiée, d’une autorité de résolution bancaire unique s’appuyant sur une capacité financière commune et d’un fonds unique pour l’assurance des dépôts. » Comme en écho, Mario Draghi déclarait devant le Parlement européen le 25 avril qu’il considérait « clairement la stabilité financière comme une responsabilité commune dans une Union monétaire ». Depuis, les principaux leaders de l’UE ont rejoint le mouvement.

Nombreux sont aujourd’hui les experts qui considèrent qu’une union bancaire européenne, couplée à une forme d’union budgétaire de la zone euro, est indispensable pour pérenniser l’Union monétaire et résoudre la crise. Mais malgré le pas qu’a constitué la création de l’Autorité bancaire européenne à la suite du rapport de Larosière de février 2009, les progrès en ce sens ont pour l’instant été modestes. L’Espagne a choisi de faire cavalier seul pour la restructuration de Bankia avant de faire appel au Fonds européen de stabilité financière (FESF), et même cette intervention laisse l’essentiel des outils dans les mains des autorités espagnoles.

Plusieurs raisons expliquent la difficulté d’avancer vers une intégration plus forte. Le Royaume-Uni, qui abrite le principal centre financier d’Europe, n’est pas dans la zone euro et protège jalousement sa souveraineté. Certains Etats membres restent déterminés à promouvoir leurs champions bancaires nationaux ou à protéger les liens étroits entre milieux bancaires et politiques qui permettent à l’État d’utiliser les banques comme outils de politique industrielle, ou dans le contexte actuel, de leur faire acheter des titres de dette souveraine qui ont perdu de leur attraction pour les investisseurs internationaux.

Ces contraintes empêchent l’Europe d’atteindre en une seule étape une architecture cohérente. Certains dirigeants publics tentent parfois d’échapper à cette dure réalité en se concentrant sur la résolution des crises futures, comme si l’actuelle était déjà derrière nous, et la construction d’un système idéal pour l’avenir. Mais l’incendie s’étend presque chaque jour et trois priorités s’imposent pour le très court terme.

Premièrement, le risque lié aux banques doit impérativement être mieux partagé. En Europe jusqu’à présent, les créanciers des banques insolvables, à quelques très rares exceptions près, ont été remboursés en totalité aux frais du contribuable. Aux États-Unis, par contraste, ce sont les renflouements de Bear Stearns, Fannie Mae, Freddie Mac, AIG et des constructeurs automobiles qui ont fait exception. Les créanciers de la quasi-totalité des banques à problèmes ont essuyé des pertes très importantes. Une approche à l’échelle européenne devrait permettre de surmonter les incitations perverses qui conduisent à la prise en otages des contribuables par les créanciers des banques en perdition.

Deuxièmement, l’Europe a besoin d’une capacité opérationnelle de restructuration de ses banques, indépendante des autorités nationales qui ont échoué dans leur mission de contrôle. La meilleure solution serait de constituer une équipe temporaire de spécialistes en restructuration financière qui pourraient intervenir rapidement au nom de l’ensemble de la zone euro et gérer en commun les actifs qui tomberaient sous contrôle public.

[quote type= »center »]garantir explicitement tous les systèmes nationaux d’assurance des dépôts[/quote]

Troisièmement, le risque de paniques bancaires de détail doit être traité de toute urgence. L’idéal serait pour le FESF ou son successeur de garantir explicitement tous les systèmes nationaux d’assurance des dépôts dans la zone euro. Une telle « réassurance des dépôts » permettrait de renforcer l’intégrité de la zone euro et de rassurer immédiatement les déposants. Naturellement, cela imposerait un renforcement des structures de surveillance au niveau européen pour prévenir les comportements irresponsables et le hasard moral. L’union bancaire européenne ne se construira pas en une étape. Mais elle ne verra jamais le jour si elle ne commence pas par des engagements clairs, audacieux et immédiats.