L’évolution du rôle économique des femmes
La conférence de Claudia Goldin, titulaire du dernier Prix Nobel d’économie, est intitulée « An Evolving Economic Force » . Si vous préférez, vous pouvez regarder la conférence (avec de nombreuses diapositives !) à partir du lien sur le site web du Prix Nobel.
« Les femmes sont aujourd’hui au cœur de l’économie mondiale. Leur taux d’emploi femmes atteignent des sommets historiques dans le monde entier. Sur les 165 nations […] près de 60 % ont un taux d’emploi féminin (pour les 25 à 54 ans) supérieur à 0,70, et 80 % supérieur à 0,50. À titre de comparaison, aux États-Unis, seulement la moitié des femmes de cette tranche d’âge travaillaient en 1970 et environ trois quarts d’entre elles le font depuis le début des années 1990. […] Les femmes sont au centre des économies mondiales non seulement parce qu’elles exercent très largement un emploi rémunéré. Elles deviennent rapidement le sexe le plus instruit, constituant la majorité des étudiants dans chacun des 38 pays de l’OCDE. Les femmes assument la majeure partie des tâches de soins dans le monde entier. Et elles déterminent en grande partie le taux de natalité. »
Les lecteurs réguliers de ce blog [The Conversable Economist, blog que Vox-Fi recommande, note de la rédaction] reconnaîtront ces thèmes dans les articles précédents consacrés aux travaux de Goldin (par exemple, ici, ici, ici et ici). Par exemple, il existe un schéma bien connu selon lequel le travail des femmes dans la main-d’œuvre rémunérée diminue d’abord avec la croissance économique, puis s’accroît. Cette figure, tirée de la conférence Nobel, montre le profil des femmes américaines mariées qui ont travaillé en dehors du foyer au fil du temps :
Mais ici, je me concentre sur une tendance plus récente (graphique suivant) : que devient l’écart de rémunération entre les hommes et les femmes au cours des 60 dernières années. Comme le montre la figure, le rapport entre les salaires des femmes et ceux des hommes n’évolue pas beaucoup entre 1960 et 1980. À partir de cette date, le ratio augmente rapidement, sans jamais toutefois atteindre 1. En outre, le ratio des gains pour les femmes ayant fait des études supérieures se stabilise autour de 1995. Que se passe-t-il donc ?
L’explication économique commune de la stagnation du ratio au cours des années 1960 et 1970 est qu’il s’agissait d’une période où l’entrée des femmes dans la population active rémunérée était particulièrement élevée. Beaucoup de ces femmes étaient plus âgées et n’avaient pas de forte expérience professionnelle dans le domaine rémunéré. L’entrée sur le marché du travail de ce groupe a donc eu tendance à maintenir les salaires des femmes à la baisse. Comme l’écrit Goldin à propos de cette période :
La persistance de l’écart de rémunération entre les hommes et les femmes était, en grande partie, due à l’augmentation de la participation des femmes au marché du travail, et non pas en dépit de celle-ci. À mesure que les taux d’activité augmentaient, les femmes, dont les expériences professionnelles étaient quelque peu distantes et courtes, ont été attirées dans la population active. Cela a exercé une pression à la baisse sur les revenus de la femme active moyenne par rapport à ceux de l’homme actif moyen. La stabilité de l’écart entre les revenus des hommes et des femmes, compte tenu de l’augmentation du taux d’activité des femmes, a été une source de grande frustration pour les membres du mouvement féministe américain autour des années charnières entre 1960 et 1970. Les banderoles des manifestations dénonçaient un temps de travail supérieur pour les femmes et pourtant un salaire moindre que les hommes. On interprétait ces statistiques comme révélant un processus discriminatoire sans prendre totalement conscience de l’effet de l’arrivée sur le marché du travail de femmes moins expérimentées et généralement plus âgées.
Mais vers 1980, ce processus antérieur avait fait son temps. Une proportion toujours plus importante de femmes venait sur le marché du travail avec un niveau d’éducation et une expérience professionnelle fortes et le rapport salarial a commencé à augmenter.
La question qui se pose aujourd’hui est de savoir ce qui explique l’écart salarial qui subsiste et, en particulier, l’écart salarial plus élevé pour les femmes ayant fait des études supérieures. Comme le dit Goldin, la question est particulièrement déroutante : « Elle est déroutante parce qu’aujourd’hui, de nombreux déterminants des revenus sont presque les mêmes pour les hommes et les femmes et certains même favorisent les femmes. Si les revenus sur les marchés du travail concurrentiels sont déterminés par des caractéristiques antérieures au marché du travail (telles que l’éducation et la formation) ainsi que par des caractéristiques antérieures à l’emploi (telles que l’expérience acquise dans des postes précédents), et si ces caractéristiques sont devenues presque identiques selon le sexe et que certaines favorisent les femmes, que reste-t-il ? »
Goldin apporte quelques éléments de réponse à cette question. L’un d’eux est que le rapport moyen entre les revenus des femmes et ceux des hommes diminue avec l’âge : « Les revenus des femmes par rapport à ceux des hommes commencent par être plus proches de la parité (presque à 0,95 pour le groupe d’âge le plus jeune dans la cohorte de naissance la plus récente), mais ce rapport diminue avec l’âge et donc avec une série d’événements dans leur vie. À la fin de la trentaine, le ratio pour la cohorte la plus récente est de 0,8. L’élargissement du ratio des gains entre hommes et femmes en fonction du nombre d’années écoulées depuis l’obtention du diplôme de l’enseignement supérieur ou professionnel est encore plus marqué dans les professions à haut revenu, telles que celles du secteur des entreprises et de la finance… »
Ce déclin s’explique en grande partie par le fait que, pour les femmes, avoir des enfants s’accompagne d’une baisse substantielle du nombre d’heures travaillées et des revenus. Goldin écrit : « [La preuve est] que les revenus des femmes chutent en cas de naissance et ne se rétablissent pas. En outre, la majeure partie du changement provient d’une réduction des heures de travail ou de la participation, plutôt que d’une réduction des revenus par heure, bien que ce facteur y contribue quelque peu. »
Un dernier indice empirique est que la différence dans le ratio des gains des femmes par rapport à ceux des hommes est davantage liée aux différences au sein des professions, plutôt qu’au fait que les hommes et les femmes finissent par occuper des professions différentes : « Il est important de réaliser que la majorité des différences de revenus par profession se situent à l’intérieur des professions plutôt qu’entre les professions [sur base de 500 professions examinées]. »
Les décennies récentes aux États-Unis ont été marquées par une inégalité croissante des revenus au sommet de la distribution. Ce type d’emploi implique souvent des engagements extraordinaires en termes de temps, et les personnes qui occupent ces emplois ne travaillent pas seulement plus d’heures, mais leurs salaires totaux représentent également un taux de salaire horaire beaucoup plus élevé. En d’autres termes, il existe une « pénalité salariale du temps partiel », dans laquelle les personnes qui travaillent à temps partiel non seulement travaillent moins d’heures, mais gagnent également moins par heure. Prenons l’exemple d’un homme et d’une femme qui fréquentent la même faculté de droit et obtiennent les mêmes résultats. Pendant quelques années, ils gagnent un salaire très similaire. Mais lorsque la femme a des enfants, son nombre d’heures diminue considérablement et elle n’est plus en mesure de devenir l’un des associés les plus actifs et les mieux payés.
La pénalité salariale liée au temps partiel ne s’applique pas à tous les emplois. écrit Goldin :
Comment réduire l’écart de rémunération entre les hommes et les femmes ? Une partie de la solution consiste à réduire le coût de la flexibilité. Le moyen le plus simple est de créer des substituts virtuels entre les travailleurs. C’est ce qui a été fait dans diverses professions qui utilisent les technologies de l’information pour manipuler efficacement l’information et gérer les clients. Des équipes de remplaçants pourraient être créées, comme cela a été le cas en pédiatrie, en anesthésiologie, en médecine vétérinaire, dans les services bancaires aux particuliers, dans de nombreux emplois techniques, en médecine de premier recours et en pharmacie.
Le cas de la pharmacie est instructif. Aujourd’hui, aux États-Unis, la profession de pharmacien n’est pratiquement pas pénalisée par le temps partiel et l’écart de rémunération entre les hommes et les femmes pharmaciens est faible. Mais cela n’a pas toujours été le cas. Dans les années 1970, une part importante des pharmaciens masculins possédaient une pharmacie et nombre d’entre eux embauchaient des pharmaciennes. L’écart de rémunération entre les hommes et les femmes était important. Plusieurs changements sont intervenus dans le secteur de la pharmacie, qui ont considérablement réduit l’écart de rémunération entre les hommes et les femmes, mais qui n’ont rien à voir avec les questions de genre. Les changements technologiques ont renforcé la substituabilité entre les pharmaciens, l’emploi en pharmacie dans les chaînes de magasins et les hôpitaux a augmenté, et les pharmacies indépendantes ont diminué (Goldin et Katz 2016). L’évolution d’autres professions, telles que la pédiatrie, est due aux exigences des professionnels qui souhaitaient passer plus de temps avec leurs propres enfants et ont formé des cabinets de groupe qui ont facilité la substituabilité.
L’écart de rémunération qui subsiste entre les femmes et les hommes, du moins aux États-Unis, semble lié à ce mélange de pénalité liée à la maternité et de pénalité liée à la rémunération à temps partiel. Modifier la pénalité liée à la maternité implique de redéfinir les interactions familiales, ce qui semble difficile, tandis que modifier la pénalité liée aux revenus à temps partiel semble peut-être délicat, mais tout à fait faisable.