La Chine était autrefois un pôle d’attraction pour les investissements étrangers. Les entreprises étrangères étaient désireuses de l’utiliser comme site de production à faible coût pour fabriquer des biens qu’elles exportaient ensuite ailleurs. Au fil du temps, leur stratégie est devenue « en Chine pour la Chine », c’est-à-dire produire dans le pays pour servir le vaste marché intérieur en pleine croissance. Mais avec le ralentissement de l’économie chinoise et la montée des tensions avec les États-Unis, les investisseurs étrangers se retirent de la Chine à une vitesse jamais vue depuis des décennies. Les dirigeants chinois ont réagi en promettant d’ouvrir davantage l’économie aux investissements étrangers. Pourtant, il s’avère difficile de surmonter une atmosphère générale d’appréhension.

 

Un franc retournement

Selon les données de la balance des paiements de la Chine, les entrées, nettes des sorties, des investissements directs venus de l’étranger (IDE) ont chuté de leur sommet de 344 Md€ en 2021 à seulement 42,7 Md€ en 2023, le niveau le plus bas depuis plus de deux décennies. Au premier semestre 2024, les entrées nettes d’IDE sont devenues négatives et se sont élevées à -4,6 Md€, ce qui suggère que les entreprises étrangères ont pu rapatrier davantage de profits dans leur pays d’origine plutôt que d’investir dans de nouveaux projets locaux. Entre-temps, les financements en dollars américains des investisseurs mondiaux dans le secteur du capital-risque et du capital-investissement en Chine se tarissent.

La chute brutale des IDE s’accompagne aussi d’une baisse des flux étrangers de portefeuille sur le marché des actions chinoises. Selon les informations disponibles, les investisseurs internationaux ont retiré plus de 12 Md€ de leur stock d’actions chinoises dites « onshore » depuis juin 2024, et si ces retraits massifs devaient se poursuivre, cette année pourrait devenir la première année de sorties nettes depuis que les investisseurs ont été autorisés à négocier des actifs chinois onshore par le biais du Stock Connect à Hong Kong, il y a dix ans.

 

Une grande remise en cause

Cet exode des capitaux étrangers s’explique par de multiples facteurs. D’abord, l’écart croissant de taux d’intérêt entre la Chine et la plupart des autres grandes économies, en raison de politiques monétaires divergentes. Ils rendent les investissements en Chine moins attractifs. Les perspectives économiques moins rieuses de la Chine, le ralentissement prolongé de l’immobilier et la faiblesse persistante de la demande intérieure n’arrangent rien. La concurrence avec les entreprises privées nationales s’intensifie de plus en plus, obligeant les producteurs étrangers à revoir leurs stratégies en Chine. Dans des secteurs comme celui des véhicules électriques, une guerre des prix féroce contraint déjà certains producteurs étrangers à quitter le marché.

Dans le même temps, les tensions avec les États-Unis incitent les multinationales à se méfier de leur expansion en Chine. Les diverses mesures de contrôle des exportations et de restriction des investissements imposées par les États-Unis à l’encontre de la Chine, associées à la propre législation chinoise contre les sanctions étrangères, peuvent mettre en difficulté les entreprises étrangères opérant en Chine, dont les activités sont étroitement surveillées à la fois par Washington et par Pékin. Respecter ces doubles règles peut s’avérer à la fois délicat et coûteux. En outre, les multinationales sont de plus en plus préoccupées par un éventuel conflit militaire dans le détroit de Taïwan ; nombre d’entre elles ont élaboré des plans d’urgence et certaines ont déjà transféré leur capacité de production ailleurs en Asie.

L’obsession croissante de Pékin pour la sécurité au cours des dernières années pèse également sur l’environnement des affaires. L’année dernière, les autorités ont mis un frein à l’activité de plusieurs sociétés de conseil et de diligence raisonnable étrangères, ont ordonné aux fonctionnaires de ne pas utiliser l’iPhone d’Apple et d’autres appareils de marque étrangère dans le cadre de leur travail, et ont interdit aux voitures Tesla d’entrer dans les bâtiments et dans les enceintes du gouvernement (interdiction levée en avril dernier). Par ailleurs, l’habitude croissante d’interdire aux cadres étrangers de quitter la Chine, connue sous le nom d’interdiction de sortie, a alarmé les milieux d’affaires étrangers. Les expatriés partent et hésitent à faire des visites, même de courte durée. La montée de la xénophobie et du nationalisme en Chine depuis la pandémie de Covid-19, dont on peut dire qu’elle a été provoquée par le parti-État chinois pour légitimer sa politique draconienne de « zéro-covid », peut également avoir contribué à ces préjugés à l’égard des entreprises étrangères.

Les dirigeants chinois semblent s’inquiéter de l’exode continu des capitaux et ont donc lancé une offensive de charme pour attirer les investisseurs étrangers depuis l’année dernière. Même si la Chine, avec son épargne massive, n’est en aucun cas une économie pauvre en capitaux, les dirigeants considèrent depuis longtemps les investissements étrangers comme un indicateur important de la confiance dans l’économie chinoise. Ils souhaitent également que les investisseurs étrangers continuent d’apporter des technologies de pointe utiles à la Chine pour progresser encore dans les chaînes de valeur. Lors du troisième plénum du Parti communiste en juillet, les dirigeants chinois ont approuvé une série de mesures, notamment l’ouverture d’un plus grand nombre de secteurs de services aux investissements étrangers. Les hôpitaux entièrement détenus par des étrangers seront bientôt autorisés dans plusieurs grandes villes côtières, dont Pékin et Shanghai, par exemple.

 

Les défis à venir

Alors que Pékin s’efforce de renforcer la confiance des investisseurs, une nouvelle loi sur les sociétés vient d’entrer en vigueur dans le pays en juillet de cette année, ajoutant une couche supplémentaire de complexité pour les entreprises étrangères. Elle définit clairement, pour la première fois, les obligations de diligence et de loyauté qui incombent aux administrateurs, aux superviseurs et aux cadres supérieurs d’une entreprise, et ceux qui ne s’acquittent pas de ces obligations peuvent être tenus personnellement responsables. La nouvelle obligation d’avoir un représentant des travailleurs dans les conseils d’administration des entreprises de plus de 300 employés a également suscité des inquiétudes. Le Parti communiste et ses cellules en entreprise ne vont-ils pas dominer le processus de nomination, permettant ainsi une plus grande influence sur les prises de décision ?

Ce qui inquiète peut-être plus, c’est la restriction permanente de Pékin sur l’accès aux données chinoises, qui rend difficile la prise de décision par les investisseurs. Pékin semble avoir pris l’habitude de couper l’accès, dès qu’une série statistique commence à révéler les faiblesses économiques du pays. Ainsi, les bourses de Shanghai et de Shenzhen, par exemple, ont récemment cessé de publier des données en temps réel sur les entrées de capitaux étrangers dans les actions chinoises onshore, peut-être parce qu’elles craignaient que les baisses drastiques n’entament la confiance des investisseurs nationaux. Même restriction pour certaines données commerciales et économiques, les autorités tentant de contrôler les récits mondiaux sur la Chine. Ces dissimulations ne peuvent qu’aggraver le sentiment des investisseurs, qui envisagent le pire dès qu’une série de données disparaît soudainement. À l’heure où la Chine est à la recherche de nouveaux moteurs de croissance, il est imprudent de sa part de s’engager dans cette voie.

 

Tianlei Huang est chargé de recherche et Zhuowen Li est analyste de recherche au Peterson Institute for International Economics (PIIE) à Washington, DC.

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