« Le bolivar va récupérer tout le terrain perdu face au dollar », annonçait en 2007 Hugo Chavez, alors président du Vénézuela, lors d’une réforme monétaire importante. Pour casser une inflation à 17 % l’an qui prévalait dans le pays, il venait de créer le bolivar fuerte ou BF, qui supprimait trois zéros à l’ancien bolivar.

Quelques onze après, en 2018, suite à un rapport du FMI qui avertissait du risque d’une inflation à 1.000.000 %, rebelote : son successeur, le président Maduro, créait le bolivar soberano ou BS qui enlevait cette fois-ci cinq zéros au BF, donc qui valait 100 millions de fois plus (nominalement) que le vieux bolivar, qui en son temps de splendeur, en l’an 2000, s’échangeait contre 4,3 dollars.

 

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Aujourd’hui, la banque centrale du Vénézuela imprime des billets de 200 000, 500 000 et même de 1 million de bolivars BS. Or, un million de BS, cela permet de s’acheter un ticket de bus, pour environ 0,5 dollar. Eh oui, l’inflation a atteint 2665% en 2020 !

Les cas d’hyperinflation sont moins fréquents aujourd’hui. Il faut suivre ce qui est en train de se passer en Turquie. Un futur billet de Vox-Fi décrira comment la Reichsbank a réussi, sous le pilotage du célèbre Hjalmar Schacht, à juguler d’un coup d’hyperinflation allemande en 1922-23. Mais en général, cela finit mal.

L’intéressant, dans le cas vénézuélien comme peut-être dans le cas turc, est que cette hyperinflation advient dans un contexte d’économies beaucoup plus ouvertes qu’autrefois et où la monnaie prend une forme numérique. En effet, la banque centrale du Vénézuela commet en plus la bourde de produire insuffisamment de billets (peut-être d’ailleurs parce que leur fabrication commence à coûter davantage que le prix du nominal du billet. 200 000 BSS vaut en effet un « dime » de dollar). La population manque donc de numéraire. On estime que la masse de billets en circulation atteint 1 % de la masse monétaire (le chiffre est de 7 % en zone euro, et couramment de 10-12 % dans les pays moins avancés). Bref, ceci est en train d’accélérer la dollarisation des échanges. Malgré la mise en quarantaine qu’imposent les États-Unis, notamment sur les exportations de pétrole, le pays se procure des dollars via les ventes du stock d’or de la banque centrale et les transferts des nombreux Vénézuéliens (5 millions au total) qui ont fui le pays.

Les riches s’en sortent mieux comme souvent. Ils réussissent à ouvrir un compte dans une banque étatsunienne, de sorte qu’ils peuvent, en cercle fermé, faire leurs transactions directement par virement bancaire d’une banque à l’autre, et en dollars. Le régime est aux abois et ferme les yeux pour alléger la tension sociale. Il vient même de permettre, grande novation, d’ouvrir des comptes en devises auprès des banques du pays. Mais ceci ne fait qu’accélérer la dollarisation de l’économie.

Évidemment, la hausse des prix mesurée en dollars est bien moindre puisqu’il reste un accès à l’importation de biens étrangers qui joue le rôle de force de rappel. Un scénario possible serait alors l’extinction complète de l’inflation par bascule intégrale vers le dollar comme monnaie domestique. Cela ouvre un risque stratégique pour le pays qui perd sa souveraineté monétaire et qui donne aux autorités américaines un levier supplémentaire pour assécher l’économie (il suffit d’interdire les transactions vers des banques américaines). À noter que l’Équateur a déjà franchi le pas : le pays est dit complètement dollarisé.

Une dernière remarque concerne les monnaies numériques banque centrale (MNBC) qui sont dans les cartons des grandes banques centrales, dont la BCE ou la FED.

 

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On mesure mal encore les dommages collatéraux que cette innovation risque de produire pour les pays moins avancés. Il deviendra très commode, à condition bien sûr d’avoir un compte auprès d’une banque de la zone euro ou des États-Unis (mais les nombreux migrants se chargeront de le faire) de faire des transactions dans la devise correspondante. Cela va pousser à une dollarisation ou euroïsation de ces économies. Une jolie compétition à la clé, dans laquelle interviendront peut-être des monnaies privées comme le DIEM (ex-Libra) de Facebook.

 

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C’est un terrain sur lequel les autorités monétaires de pays avancés doivent avancer avec prudence. On a vu, dans le cas de la zone franc des pays d’Afrique subsaharienne, les dégâts que pouvaient causer l’indexation totale à une monnaie potentiellement très forte alors que l’inflation locale est d’un contrôle difficile : une compétitivité interne très faible et une difficulté très grande à implanter des industries locales.

 

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