Les accords de Paris sur le climat donnent une cible très simple de réduction des gaz à effet de serre (GES) : il faut les diviser par trois dans le monde sur la période 2020-2050 si l’on veut limiter dans la zone de 1,5°C la hausse des températures terrestres. C’est ce qu’on appelle l’objectif « zéro-net », le tiers restant correspond à l’élimination naturelle de tels gaz, essentiellement par absorption par les océans. L’UE, par un règlement de 2021, renforce cette règle en imposant à l’échelle de l’Union une réduction des GES de 55 % d’ici à 2030 par rapport à 1990.

Comment remplir cet objectif ? Sur quelles variables faut-il jouer ?

Le Japonais Yoichi Kaya a fourni une formule simplissime, appelé identité de Kaya, qui résume assez bien l’enjeu. Elle est une simple décomposition de la variation des GES sur les périodes à considérer. Elle s’écrit :

GES = GES/Energie   x   Energie/PIB   x   PIB/Population  x   Population.

Dit avec des mots, si l’on veut réduire des deux tiers la production annuelle de GES, il faut jouer soit par réduction de la population, soit par réduction du PIB par tête, soit par réduction de l’intensité énergétique du PIB (la quantité d’énergie qu’il faut pour produire un euro de PIB) ou enfin, en réduisant le contenu en GES de la consommation énergétique, essentiellement par modification du mix énergie, c’est-à-dire par croissance de la part des énergies propres en GES (solaire, éolien, nucléaire, hydro et autres) par rapport aux énergies brunes (pétrole, charbon et gaz).

Que disent les chiffres ? En compilant les données de la Banque mondiale, de l’INSEE et l’excellent rapport annuel que fait BP sur le bilan énergétique de la planète (bp Statistical Review of World Energy 2022 | 71st edition), on a à peu près cette photo, courtoisie de Vox-Fi pour les calculs.

Voici d’abord, sur la période 2011 à 2021, les taux de croissance annuels moyens, pour la France et le monde, des quatre variables qui rentrent dans l’identité de Kaya :

 

On voit clairement qu’on n’y est pas. Si l’on doit réduire des deux-tiers, il faut, sur la période 2022-2050, un taux de croissance des GES de -3,8% par an. Et toute année qui ne se plie pas à cette contrainte oblige à un effort accru les années qui suivent. Or, la croissance des GES à ce jour est de 1% l’an dans le monde, et -2% pour la France.

Pour commencer, l’énergie primaire croît de 1% l’an dans le monde. Il y avait eu un ralentissement en 2019 et une franche baisse en 2020 suite à la crise Covid, mais la relance de l’activité en 2021 a fait rebondir de l’ordre de 30% la consommation d’énergie (graphique) :

 

De même, il n’y a eu aucun progrès dans le contenu carbone de cette consommation d’énergie. Le mix énergétique ne se modifie pas assez vite : certes, les énergies non-renouvelables progressent, et la consommation de pétrole et de charbon se réduit, mais cela est en grande partie compensé par une hausse de la part du gaz et une baisse de la production d’électricité d’origine nucléaire (graphique 2, gauche, source BP Review). Certes, les énergies propres progressent, mais simplement par rajout à des énergies « sales » qui continuent globalement à croître (graphique 2, droite).

 

Qu’en est-il alors de l’identité de Kaya ? Le tableau suivant en fait l’analyse sur le passé récent (décennie 2011 à 2021), puis fait l’extrapolation de ce qu’il en est sur la période 2022 à 2050 en supposant que les taux de croissance restent les mêmes que précédemment. Ainsi, sur la période 2011-21, les GES ont crû dans le monde d’un facteur 1,07X, c’est-à-dire une croissance de 7%. Il y eu un léger effet du mix énergétique sur la variable GES/Energie (0,94X ou – 6 points sur la période) de même que de l’intensité carbone du PIB (0,88X ou -12 points), mais le PIB comme la population ont continué à croître, respectivement de 16% et de 12% sur la période. Ce sont les deux variables qu’il est évidemment difficile et peut-être non souhaitable de bouger.

 

Malheureusement, une simple extrapolation de ces tendances montre qu’on rate la cible très sérieusement. Il y aurait 22% de plus de GES sur terre en 2050, un scénario proprement catastrophique. Même la France, toujours sur ces tendances, ne baisserait ses émissions que de 43% (facteur de 0,57X). Il faut une action proprement gigantesque sur l’intensité énergie de l’activité et sur le mix énergétique si l’on veut y arriver.

On recommande vivement la lecture de la BD de Jean-Marc Jancovici et Christophe Blain, Le monde sans fin, Dargaud, 2021. Elle contient en particulier une excellent présentation de l’identité de Kaya.

 

Cet article a été publié sur Vox-Fi le 14 septembre 2022.