Dans son projet de budget pour 2025, le gouvernement propose une taxe sur les rachats d’actions. Son taux n’est pas négligeable : 8 %, surtout si on le compare avec le 1 % de taxe de même nature instaurée récemment par l’administration Biden aux États-Unis. Voici donc une vraie mesure, avec la légère touche anticapitaliste qui aide à conforter l’idée que les hausses d’impôts à venir répondent à l’équité fiscale puisqu’elle frappe celles des grandes entreprises qui, plutôt qu’investir, rachètent leurs actions au profit de leurs riches actionnaires.

Problème : c’est de la poudre aux yeux de A à Z. Comment une taxe de 8 % sur des rachats d’actions (qui se sont élevés à 32,3 Md € pour les seules entreprises du SBF120) ne rapporterait que 200 M €, et non 2,6 Md € (8 % fois 32,3) ? D’autant qu’il est peu probable qu’elle atteigne même les 200 M € annoncées.

Il faut lire en effet les petites lettres du projet de loi de finances : elle ne frappe pas le montant des rachats sur la base de la valeur en bourse des actions, mais sur la base de leur valeur au pair, donc en proportion du capital social plutôt que de la valeur boursière. Par exemple, l’action LVMH vaut 625 € au 15 octobre. Mais sa valeur nominale n’est que de 0,30 € et sa prime d’émission s’élève à 2,5 € par action, signe au passage que LVMH n’a fait croître sa valorisation que par ses profits retenus et non par des apports de capitaux propres. Imaginons que LVMH veuille racheter 10 Md € d’actions (soit 16 millions d’actions ou encore 3,2 % du total). La base imposable s’élèverait à 16 M x 0,30 €, soit 4,8M €. On y rajouterait certes, par une règle un peu abstruse, 3,2 % de la prime d’émission, mais ceci n’augmenterait l’assiette que 3,2 % x 1.289 M €, soit de 41 M €. Dans le cas de LVMH, la taxe pourrait être de 1000 % sans que rien n’y paraisse.

De plus, seules sont concernées les sociétés dont le chiffre d’affaires dépasse le milliard d’euros et qui décident d’annuler les actions rachetées, ce qui est possible dans certaines limites.

Bref, il ne s’agit pas d’un impôt, mais d’un faux-semblant d’impôt à des pures fins de communication. Cela ne relève pas la qualité du débat démocratique ; cela n’accroît pas l’estime qu’on devrait accorder à la classe politique. D’autant que cette dernière risque d’être prise à son propre piège. Sachant les équilibres hautement instables au parlement aujourd’hui, le gouvernement n’est pas à l’abri d’une demande subreptice de conserver cette taxe de 8 %, mais sur l’encours total des montants rachetés, et que cette demande, au gré des tirs de roquettes entre groupes parlementaires, ne finisse par être votée.

De fait, sitôt cet article écrit, on apprend que le RN demande que le 8 % soit porté à 33 %. Boîte de Pandore.

On ne va pas soutenir ici la logique d’une taxe qui ne porterait que sur les seuls rachats d’actions. Il faut répéter tant et plus que les rachats d’actions ne se différencient pas essentiellement des dividendes (voir l’exemple plus bas). Dans les deux cas, il s’agit de distribution de trésorerie aux actionnaires, subissant la même fiscalité, neutre sur leur patrimoine, identique dans les deux cas sur la valeur de l’entreprise. La seule différence est faciale : dans le cas du rachat d’actions, le niveau du cours n’est en principe pas affecté alors qu’il baisse naturellement du montant du dividende distribué dans le second cas. Et si l’on juge que les distributions du profit (en dividendes ou en rachats) sont trop élevées et qu’il faut donc les taxer, on prend largement l’effet pour la cause : c’est essentiellement parce que les grands groupes français, dans une économie mondiale ralentie, ne connaissent par une forte croissance, qu’ils n’investissent pas énormément (voir graphique ci-dessous qui met en regard la capitalisation des entreprises non financières du CAC40 avec leurs investissements). En conséquence, ils rétrocèdent aux actionnaires la partie inutilisée de leurs profits et ceux-ci en investissent les sommes dans d’autres domaines de l’économie (en France, il faut l’espérer).

Sur la neutralité dividendes / rachats

Soit une entreprise dont la capitalisation est de 10 000 €, avec 100 actions valant 100 € chacune en bourse. Elle paie un dividende de 500 €. La capitalisation passe à 9.500 € et le cours à 95 €. Je rachète cinq actions, la capitalisation est toujours à 9 500 €, mais le cours reste à 100 € avec 95 actions. Il n’y a que dans la finance magique que racheter ses actions plutôt que verser des dividendes, crée de la valeur d’entreprise.

Il y a bien sûr des différences entre les deux modes de distribution, mais elles sont de second ordre :

  1. Motif fiscal (vrai aux États-Unis, mais faux en France, depuis que la fiscalité a aligné à 30 % tous les revenus et plus-values financières).
  2. La relution spécifique d’un actionnaire, qui n’apporte pas ses titres aux rachats d’actions. Mais on peut faire cette opération tout autant avec un dividende payé optionnellement en actions ou en cash.
  3. La plus grande commodité du rachat (à tout moment, et avec le dosage approprié), encore que l’entreprise peut agir par dividende exceptionnel ;
  4. La défense plus efficace du cours pour imprimer un flux acheteur. C’était le cas il y a longtemps quand une société pouvait assez discrètement acheter ses actions sur le marché. Aujourd’hui, avec le formalisme des rachats d’actions, l’illusion est moindre.
  5. Le cas des stock-options aux dirigeants qui échapperaient à la diligence du comité de rémunération. Imaginons qu’elles soient écrites à 100 comme dans l’exemple. Le choix du dividende fait facialement baisser le cours, et non le rachat.
  6. L’esprit animal de ceux qui pensent que le rachat est supérieur au dividende, contre tous les arguments sur la valeur fondamentale.