L’inamovible déficit extérieur des États-Unis

Pour François Meunier, économiste et professeur affilié Ensae, le déficit commercial américain est structurel, inévitable et joue à l’avantage du pays.
Le président élu Donald Trump, tout comme une partie de la droite républicaine, considèrent que le déficit public n’est pas le vrai problème pour les Etats-Unis. Et que la limite législative sur le niveau de la dette publique, occasion d’un pathos régulier, n’est là que pour embêter le Parti démocrate lorsqu’il est au pouvoir.
En un sens, ils n’ont pas tort. Le pays est riche, les impôts restent faibles (29 % du PIB contre 43 % pour la France) de sorte qu’il suffirait d’un relatif effort fiscal pour rétablir les choses. Bill Clinton l’avait fait lors de son double mandat : le solde public était passé de -4,5 % à +2,3 % du PIB entre 1993 et 2000. Bien sûr, Donald Trump ne veut pas faire cet effort, tout au contraire, ou si ce n’est par des réductions de dépenses qu’effaceront les baisses d’impôts, et de là peut venir le problème.
Par contre, Donald Trump fait une fixation sur le déficit du commerce extérieur. Il veut à toute force effacer tous les excédents que les partenaires commerciaux, principalement la Chine et l’Union européenne, ont avec les États-Unis. Il trépigne, tempête et menace ses partenaires des pires hausses de droits de douane. Pourtant ici, le déficit commercial (égal à peu près au solde courant) reste au total réduit : 3 % du PIB, chiffre qui est exactement celui enregistré en moyenne depuis 2005. Le déficit commercial des États-Unis est structurel, inévitable et, on va le voir, joue au total à l’avantage du pays.
Tâche impossible
Le réduire est en effet tâche impossible, quelles que soient les gesticulations douanières. Pour deux raisons. La première est comptable. Un déficit extérieur ne fait qu’indiquer que la production intérieure du pays ne suffit pas à répondre à la demande du pays, à la fois demande de consommation et, plus récemment, demande d’investissement avec le grand plan Inflation reduction Act de Joe Biden.
L’épargne nationale est négative sur la durée, avec l’heureuse coïncidence que les investisseurs étrangers s’offrent volontiers pour combler le manque. Ils jugent qu’investir aux États-Unis est pour une part plus rentable que chez eux s’agissant d’implantations industrielles, avantage que la baisse du prix de l’énergie aux États-Unis va accentuer ; et plus sûrs d’autre part, s’agissant de leurs achats de titres de dette du Trésor américains. C’est exactement l’inverse pour l’UE. Elle exporte son épargne et donc son excédent commercial faute de trouver les opportunités d’investissement à domicile – ou faute de les chercher ou de s’organiser pour qu’elles apparaissent, comme le souligne le récent rapport Draghi.
Si demain l’UE doublait ses importations de gaz liquéfié des États-Unis, ce qu’elle ferait de bonne grâce si le prix était compétitif et que les États-Unis en avaient la capacité productive, cela ne changerait sans doute rien aux comptes extérieurs des États-Unis : le revenu national s’accroîtrait, mais également les dépenses, laissant le taux d’épargne et donc le solde extérieur inchangé. On l’a vu avec la révolution énergétique du gaz du schiste : les États-Unis d’importateurs sont devenus exportateurs nets alors que le déficit extérieur s’est plutôt accru.
Le privilège du dollar
La seconde raison tient à un bien d’exportation particulier où les États-Unis disposent d’un privilège qu’on appelle à juste raison «exorbitant» : leur monopole sur le dollar. Celui-ci reste l’incontesté véhicule monétaire pour les transactions commerciales et financières. Tous les pays doivent l’importer s’ils veulent participer au jeu des échanges. Il est fabriqué à coût nul ou presque et vendu chèrement, c’est-à-dire à sa valeur faciale contre des bonnes importations. Les flux occasionnés ne figurent pas dans les statistiques commerciales, mais dans les flux financiers, en dette commerciale et souveraine essentiellement. À ce titre, les États-Unis fonctionnent un peu comme un hedge fund, usant à plein de l’effet de levier de dette : ils se financent à coût peu élevé, s’agissant d’une dette réputée la meilleure au monde et investissent à l’étranger surtout en actifs risqués et donc rémunérateurs, empochant la différence de rendement.
Il y a enfin dans le discours trumpien une perception biaisée des dommages sur l’emploi que causeraient spécifiquement les échanges commerciaux. Imaginons qu’on invente une très grosse machine qui, pour fonctionner, ne consommerait que du soja (une matière première produite en abondance aux États-Unis) et qui, de ce soja, fabriquerait… des autos. Merveilleuse innovation, qui coûterait certainement en bons emplois américains ! Mais quelle est la différence avec cette autre «machine» consistant à exporter du soja en Corée ou au Japon de façon à importer… des autos ? Les études convergent dans l’ensemble pour affirmer que l’innovation technique, surtout quand elle est obsédée par la seule productivité du travail comme elle a pu l’être par le passé, fait davantage de dommages à l’emploi que le commerce extérieur.
Mais ces études oublient l’essentiel, la politique. Il est toujours commode et payant de blâmer l’étranger pour ses propres embarras, que cet étranger produise de chez lui pour exporter dans le pays ou qu’il vienne dans le pays pour y produire.