Un grand quotidien du soir a publié en pleine page à la mi-juin un reportage édifiant sur le programme d’équipement de la fonction publique française (logiciel Chorus, issu d’un ERP bien connu du marché : coût réestimé à 1,2 Md€ contre 600 M€ au départ, fournisseurs non payés après plus de 9 mois, etc.). Tout y est.

Indépendamment du projet lui-même, qui paraît mal parti (et dont l’article ne dit pas que les gros bataillons des armées et de l’Education nationale l’ont quitté), cette catastrophe appelle trois commentaires :

1- L’Etat français n’a pas su adapter la sacro-sainte grille de la fonction publique (le fameux indice Parodi de 1946 *) aux nouveaux métiers apparus après la guerre. Dans le cas des métiers informatiques, les exigences salariales des jeunes informaticiens des années 1950 avaient été jugées irrévérencieuses par rapport aux métiers « établis et connus » : inspecteur des finances , officier, évêque concordataire, professeur agrégé, etc. Conséquence, on a sous-traité au lieu d’embaucher des titulaires ce qui a aidé en conséquence la formation de S.S.I.I. géantes, dont S.E.MA et Cap Gemini.

2- L’inconvénient des sous-traitants est bien connu : une fois la mission terminée , ils disparaissent du paysage des fonctionnaires titulaires, et ne vivent pas avec eux de manière assez permanente pour leur insuffler un minimum d’état d’ esprit « informatique » , par exemple enseigner à des « super utilisateurs » ( qui se dévoilent toujours dans tout type d’organisation) comment rédiger ou contribuer de manière dynamique à un cahier des charges.

3- Résultat : chaque ministère, selon ses objectifs et ses crédits disponibles, développe sa propre stratégie informatique, dans la plus grande anarchie. Ainsi, le ministère de la Justice et la Gendarmerie (passée récemment des Armées à l’Intérieur), ont des structures de fichier mutuellement incompatibles. Les inconvénients d’une telle ignorance organisée, erreurs judiciaires, perte de temps, manque de fiabilité, etc., n’ont pas besoin d’être exposés.

D’un point de vue plus général, une méthode d’évaluation des nouveaux métiers (style méthode HAY) n’est absolument pas envisagée, ne serait-ce que parce qu’elle risquerait de remettre en cause trop de hiérarchies actuelles. Ainsi ne risque-t-on pas de voir se créer des postes de fonctionnaires de Bercy estampillés « normes internationales » (en audit ou en contrôle de gestion), dont la rémunération serait susceptible d’excéder celle de nos bons vieux inspecteurs des finances…..

(*) L’indice Parodi va de 280 à 860 (correspondant approximativement à un colonel avec 5 ans d’ancienneté), puis de l’indice A hors échelle premier chevron jusqu’à l’indice H troisième chevron (Premier Président de la Cour de Cassation).