Point_Interrogation_12dec2016

 

Vox-Fi attire l’attention de ses lecteurs sur le dernier livre de Roland Stasia et de Sophie Hooge « Performance de la R&D et de l’innovation », préfacé par Nicolas Berland, paru en 2016 aux éditions Presses des Mines de Paris. Pour bonne lecture.

 

On appelle dans l’ouvrage à une mutation profonde des outils du contrôle de gestion.

Alors que la gestion des projets de R&D et d’innovation est devenue indispensable pour assurer la pérennité et la compétitivité des entreprises, le contrôle de gestion traditionnel représente un véritable danger risquant de considérer le budget R&D comme des « frais fixes » et les projets d’innovation comme des projets de développement. Pour comprendre les risques de cet écart instrumental avec les enjeux contemporains de l’innovation intensive, un éclairage critique des processus de pilotage de la sphère R&D s’impose, de même qu’une démarche pour développer une instrumentation de pilotage adaptée aux spécificités actuelles des projets d’innovation et de recherche.

A l’opposé du « cost killing » toujours aussi efficace pour réduire le si coûteux time to market des projets classiques, et après avoir décrit les méthodes de modélisation de leurs processus, basées sur le lean management des usines et des achats, nous nous sommes attachés à observer de nombreuses activités d’innovation, en butte avec les outils de gestion et de pilotage traditionnels de l’entreprise. Ces projets remettent en cause le système de règles du modèle de conception dominant dans l’entreprise, et déstabilisent les éléments identitaires de l’objet ou du service que l’entreprise a l’habitude de concevoir.

 

Associer le pilotage économique et stratégique à l’adhésion des acteurs

Les parties prenantes internes de l’innovation sont un levier à part entière de la performance du pilotage des projets. Les introduire et les faire adhérer au processus est en soi une innovation de gestion. Aussi, nous présentons les bénéfices souvent inattendus d’un pilotage conjoint de tout projet d’innovation. L’évaluation de la performance économique ou stratégique d’un projet de conception innovante a priori est une utopie, car il est impossible de le décrire avant qu’il ait été conçu, même sous forme de cahier des charges. Par contre, la structuration d’un processus d’interaction et de convergence des différents acteurs conditionne la performance de l’objet final. Le pilotage des projets d’innovation est fondamentalement différent de celui des projets traditionnels, et les instances décisionnelles doivent répondre à deux points clés de ce pilotage atypique :

  • la construction progressive de la confiance entre les parties prenantes de l’innovation
  • la préparation des conditions techniques et organisationnelles de l’intégration d’une innovation

 

Des outils pour piloter l’exploration de l’inconnu

Un tel modèle de pilotage par la valeur ne peut se penser indépendamment des outils de gestion : il s’appuie sur des instruments spécifiques d’explicitation et de mesure des formes de valeurs, particulièrement bien adaptés au besoin de description de l’inconnu des activités d’innovation.

Par opposition avec les outils traditionnellement disponibles, l’objectif des dispositifs proposés n’est pas d’évaluer sur la base des connaissances disponibles, mais de fournir des leviers de pilotage du potentiel économique, stratégique et organisationnel d’un objet ou d’un service inconnu, grâce à une meilleure description des formes d’incertitudes associées à la conception. Si le pilotage des projets classiques de développement est bien connu et enseigné dans la plupart des écoles d’ingénieurs voire de commerce, il en est tout autrement du pilotage des projets d’innovation. Le lecteur est invité à revisiter les enjeux du contrôle de gestion des activités de développement et à découvrir nos propositions sur le pilotage des projets d’innovation par une valeur plurielle : économique bien sûr, pour servir la croissance rentable de l’entreprise, stratégique, évidemment, pour décider en fonction des critères non monétaires qui fondent l’identité collective de l’entreprise, et d’adhésion des parties prenantes internes, pour garantir la réussite des projets comme la satisfaction des équipes.

 

Du contrôle de gestion [tueur] à la gestion des contrôles [des pépites]

Nous devons nous concentrer sur les transformations du métier « contrôle de gestion ». Plus on renforce la capacité de génération d’alternatives de conception, plus l’organisation de l’innovation a besoin d’un pilotage fort, tenant compte des incertitudes, de la stratégie et de l’adhésion, afin de gérer la multiplicité des possibles en situation de ressources contraintes.

D’autant plus que les projets d’innovation sont en rupture avec les règles de conception du dominant design, et se distinguent par la radicalité de ces alternatives de conception.

L’objectif spécifique en innovation sera d’obtenir une balance maximale des sujets, tant sur les dimensions économique, que stratégique et organisationnelle : un équilibre est nécessaire entre les projets les plus incertains économiquement, les plus ambitieux stratégiquement et ceux où l’adhésion est difficile à obtenir et à maintenir. La méthode de pilotage proposée répond quantitativement aux questions suivantes :

  • Quel pourcentage de chances ce projet d’innovation a-t-il d’avoir une VAN positive ou nulle, compte tenu de la façon avec laquelle l’entreprise se trompe dans ses prévisions ?
  • Quel est le score du profil stratégique, et non monétaire, de ce projet d’innovation ?
  • Quel est le taux d’adhésion des équipiers compétents affectés à ce projet d’innovation, à la fois au sens de l’engouement et de la disponibilité ?

Si elle garde un œil attentif sur la rentabilité économique classique de ses projets de développement, la R&D de l’entreprise innovante sait supporter l’émergence d’innovations de rupture par un « value management » des projets innovants. Si le premier mode de management, très financiarisé et « tueur », est nécessaire aux activités de développement dans des environnements concurrentiels, le deuxième mode de management, davantage « protecteur », est quant à lui indispensable aux activités d’innovation qui visent à découvrir des « pépites ».

Les forces et les faiblesses de notre approche ont fait l’objet de nombreuses analyses au cours de son déploiement dans plusieurs organisations.