L’instabilité fiscale, « un fléau de longue date » pour les entreprises
Article initialement publié par Le Monde en date du 11 novembre 2016, et repris par Vox-Fi avec due autorisation.
Depuis de très nombreuses années et plusieurs mandatures, la perpétuelle instabilité fiscale est, avec la rigidité et la complexité en matière sociale, l’une des deux plaies de l’économie française. La France est championne des changements fiscaux incessants qui handicapent gravement notre économie, nos entreprises et nos concitoyens. C’est le seul pays développé qui s’inflige de tels sévices économiques.
Selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), ce manque de visibilité du régime fiscal et social applicable dans l’Hexagone est l’une des principales raisons poussant les étrangers à renoncer à investir en France. Combien de centaines de milliers d’emplois perdus de ce seul fait, outre le handicap direct subi par nos propres entreprises ?
Le résultat est clairement lisible dans les chiffres du chômage et dans nos indicateurs d’attractivité. Alors que la plupart des grands pays industrialisés ont effacé la crise de 2008 et renoué avec un quasi plein-emploi – avec des taux de chômage de 5 % aux Etats-Unis, de 4,2 % en Allemagne, de 4,8 % au Royaume-Uni, de 3,1 % au Japon (source OCDE) –, la France reste à la traîne avec son chômage de masse de 10 %, résultat de l’incapacité de nos gouvernements successifs à créer un environnement, en particulier social et fiscal, qui lui aurait permis de tirer parti de la reprise.
Quatrième régime en 5 ans
Quant à l’attractivité, avec un nombre de projets d’implantation en retrait de 2 % en 2015, la France enregistre la seule et unique baisse parmi le top 15 européen (source EY, ex-Ernst & Young). Chaque année, les discussions en amont de la loi de finances se suivent et malheureusement se ressemblent. Cette fois-ci, la créativité fiscale de certains élus menace de frapper à nouveau entreprises et particuliers, s’agissant notamment des actions gratuites et de la taxe sur les transactions financières.
Concernant les actions gratuites, il est proposé de les soumettre au barème de l’impôt sur le revenu au lieu du barème sur les plus-values. Au total, une taxation pouvant atteindre 79 %, part entreprise comprise : une disposition confiscatoire qui avait pourtant été en partie corrigée il y a moins d’un an. Si ce texte était voté, ce serait le troisième changement, soit le quatrième régime, depuis l’élection présidentielle de 2012.
Or il n’y a eu aucune nouvelle élection ni changement de majorité sur la période qui justifient ces revirements. Cette absence de vision et de stratégie traduit au mieux une cruelle méconnaissance du monde économique, des managers, des créateurs d’entreprise et de leurs équipes ou des parties prenantes, et au pire, un mépris.
Postures d’un autre siècle
Autre exemple criant, au moment où la France cherche à attirer des équipes londoniennes qui pourraient quitter Londres à cause du Brexit : le projet d’augmentation de la taxe sur les transactions financières de 50 %, et le possible élargissement de son assiette. Un vrai repoussoir ! Abandonner ces derniers projets en discussion, si nuisibles pour notre économie et si incompréhensibles vu de l’international, serait à coup sûr rendre service à la France, à ses emplois et aux Français.
L’instabilité fiscale est un fléau de longue date, aussi bien sur le plan national que régional. D’où vient cette particularité française ? D’un manque de connaissance ou d’expérience des contraintes économiques ? D’un dialogue public-privé qui ne fonctionne pas bien, trop émietté entre de multiples organisations et corps intermédiaires ? Qui n’irrigue pas où et quand il le faudrait ? De postures d’un autre siècle, de part et d’autre, qui nuisent à un dialogue constructif, comme, par exemple, le fameux mais absurde « cadeau fait aux patrons » dès qu’une mesure favorable à la compétitivité des entreprises est envisagée ?
D’un cloisonnement culturel peu perméable, hérité de longue date, entre le monde économique et le monde politique, et de la difficulté à mettre en place des passerelles ?
Le temps de l’entreprise relève du temps long. Avant d’investir, une entreprise doit analyser l’avenir sur la durée totale du projet – une durée qui peut s’échelonner sur plusieurs années. Fiscalité comprise. Pour certains projets, tels que de grands projets d’infrastructure, il peut même s’agir de décennies. Investir, c’est regarder l’environnement juridique, administratif et fiscal pour être conforme aux réglementations actuelles et à celles à venir, et apprécier l’effort et la contribution de l’entreprise à la collectivité sur laquelle celle-ci opère.
Pour une entreprise, un changement des règles du jeu en cours de route peut ruiner un projet et détruire les efforts et la valeur de plusieurs années de travail, avec toutes les conséquences que l’on peut imaginer, notamment en termes d’emplois et de capacité d’investissement pour le futur. Des évidences ? Certes, mais pourquoi celles-ci sont-elles si souvent ignorées ?
A l’approche de l’élection présidentielle, l’Association nationale des directeurs financiers et de contrôle de gestion invite tous les candidats à présenter leur programme fiscal détaillé, avant de demander ensuite au président qui sera élu la mise en œuvre immédiate de ce programme et de s’engager à ne pas faire de changement majeur jusqu’à la fin de la mandature.
Quel que soit le résultat des urnes, les entreprises et leurs dirigeants auront de la lisibilité fiscale à court, moyen et long termes, et pourront donc orienter leurs stratégies d’investissement et de recrutement. Car nous, financiers d’entreprises qui travaillons au quotidien avec nos équipes de façon à rendre possibles les projets entrepreneuriaux, nous savons que dans des environnements fiscaux et légaux stables et attractifs, les sociétés françaises savent créer de la croissance et des emplois.