La demande des commerçants obligés de fermer boutique que leurs loyers soient annulés et non pas seulement reportés par les propriétaires des locaux qu’ils occupent illustre la différence entre la solvabilité et la liquidité, mais aussi nous semble-t-il, la différence entre la crise financière de 2008 et la crise du coronavirus de 2020.

Suspendre temporairement le paiement de certains loyers, c’est bien sûr aider la trésorerie des locataires. Les annuler exceptionnellement, c’est aider la trésorerie ET la solvabilité des locataires qui font ainsi disparaitre une charge, réduisant leurs pertes et atténuant ainsi l’impact négatif de celles-ci sur le montant de leurs capitaux propres, améliorant au total leur solvabilité (ou plutôt évitant de trop la dégrader).

Rappelons que la solvabilité mesure la capacité d’une entreprise à faire face à ses dettes en cas de difficultés et qu’elle se mesure par l’importance des capitaux propres par rapport aux dettes nettes et par la qualité liquidative des actifs.

En 2008, la dégradation de la solvabilité perçues des banques, parce qu’elles étaient soupçonnées de détenir des actifs perdant de leur valeur (les crédits sub-primes[1]), a entrainé une crise de liquidité quand les prêteurs ont de ce fait pris peur et cessé de prêter aux banques, qui à leur tour ont fortement réduit pour les plus atteintes leurs prêts aux entreprises. Mais pour ces dernières, la crise de liquidité ne s’est pas traduite par une crise de solvabilité car, sauf exception, l’activité économique des entreprises ne s’est pas effondrée, et que si les résultats ont pu baisser, ils ne sont pas devenus massivement négatifs.

Et les plus atteintes ont pu procéder à des augmentations de capital massives au printemps 2019 (Lafarge, Saint Gobain, Pernods Ricard, Danone).

Aujourd’hui, il y a à la fois des problèmes de liquidité pour certaines entreprises dont les Pouvoirs Publics, les banques et les banques centrales ont conscience si on en juge par les milliers de milliards d’euros mobilisés pour y faire face, et potentiellement dans quelques temps, si l’activité tarde à redémarrer, à des problèmes de solvabilité.

Une non-activité, avec des coûts fixes en face, va en effet entrainer, soit des pertes qui vont ronger les capitaux propres, soit pour ceux qui n’en n’ont pas assez, des capitaux propres négatifs, nécessitant alors des injections rapides de nouveaux capitaux propres, soit des conversions de dettes en capitaux propres, soit des faillites.

D’où les propos de certains responsables gouvernementaux n’excluant pas de procéder à des nationalisations, qui ne se feront surement pas par rachat des actions des actionnaires actuels, mais par des augmentations de capital destinées à restaurer la solvabilité des entreprises concernées, et donc leur capacité à continuer à opérer le moment venu.

A la reprise de l’activité, on risque d’avoir certaines entreprises qui auront du mal à bénéficier de crédits fournisseurs, car leurs fournisseurs auront des doutes sur leur solvabilité et ne voudront pas prendre le risque de livrer et de ne pas être payées.

Comme il n’y a pas de miracle en finance, le problème de solvabilité est transféré du locataire au propriétaire, des entreprises qui mettent des salariés au chômage partiel pour limiter les atteintes à leur solvabilité à l’État qui les prend à sa charge. Pour l’instant on s’arrête là, car les banques centrales qui rachètent les dettes des États traitent leurs problèmes de liquidité, mais pas de solvabilité.

Comme il y a une perte réelle dans l’économie, puisque des richesses qui devaient être produites ne le sont pas, la perte de valeur au niveau global ne disparaît pas pour autant. Au mieux, elle est mutualisée et supportée par ceux qui le peuvent financièrement, les actionnaires qui apportent, comme chacun le sait, des capitaux à risques : les capitaux propres. D’où la baisse des cours des actions qui, au niveau mondial, est de l’ordre à ce jour (21 mars ) de 30 000 Md$ depuis le 1er janvier.

Quant aux États, nous pensons qu’après un tel choc, les banques centrales annuleront purement et simplement, d’une façon ou d’une autre, une partie des dettes qu’elles détiennent sur eux. Le plus tôt et le plus clairement cela sera dit, le mieux. On n’y est pas encore. Mais on y viendra.

Car sinon la reprise d’activité sera obérée par les craintes des contribuables anticipant des hausses d’impôt pour faire face à une dette massivement accrue des États, et ceux-ci pourraient avoir des difficultés à se financer à des conditions normales dans le nouveau monde dans lequel nous sommes entrés depuis quelques jours.

Dans le contexte des années 1960-1970-1980-1990, on aurait pu craindre une flambée d’inflation. La disparition de l’inflation depuis plus de 20 ans[2], l’expérience de 2008 qui s’est traduite par une injection massive de liquidités pour contrebalancer le désendettement massif des acteurs financiers, et plus encore celle du Japon où la banque centrale finance les banques qui financent le Trésor japonais, montrent que ces craintes sont probablement infondées.

Mais de toute façon, avons-nous le choix ?

 

[1] Voir La Lettre Vernimmen.net n°60 d’octobre 2007.

[2] Il faut remonter à 1991 pour trouver en France une inflation supérieure ou égale à 3 %.

 

Cet article a été initialement publié dans La Lettre Vernimmen.net n°177 de mars 2020. Il est repris par Vox-Fi avec due autorisation.