On a beaucoup parlé de la proposition de loi « Florange » au cours des deux dernières années. Les noms d’Arcelor Mittal, Petroplus, Goodyear et quelques autres groupes qui ont fermé des sites industriels en France ont émaillé pendant des mois les débats parlementaires sur ce texte. Elle a finalement été votée le 24 février dernier et promulguée au Journal officiel le 29 mars sous l’appellation de « Loi visant à reconquérir l’économie réelle », après que le Conseil constitutionnel l’a partiellement censurée.

 

Cette loi comprend deux volets :

– l’un, qui n’est pas notre propos ici et qui a fait l’objet d’une censure partielle du Conseil constitutionnel, vise à renforcer pour les entreprises de plus de 1 000 salariés l’obligation de rechercher un repreneur quand est envisagé le lancement d’une procédure de licenciement collectif ;

– l’autre, sous le titre de « Mesures en faveur de l’actionnariat de long terme », modifie assez sensiblement notre droit des offres publiques en renforçant la protection des sociétés françaises cotées sur un marché réglementé. Les mesures de ce volet s’attaquent en effet au contrôle rampant et renforcent les moyens de défense des sociétés en cas d’offre publique.

 

1 – L’introduction d’un seuil de caducité :

Toute offre publique volontaire ou obligatoire est désormais caduque si, à l’issue de l’offre, l’initiateur n’a pas obtenu au moins 50 % du capital ou des droits de vote de la société cible.

Cette disposition avait fait l’objet, il y a deux ans, d’un vaste débat de place orchestré par l’AMF : les partisans de l’introduction de cette clause (qui existe en Grande-Bretagne) faisant valoir qu’elle clarifierait le droit des offres (l’offre publique n’est-elle pas une procédure qui vise à prendre le contrôle d’une société cotée ?) et qu’elle limiterait les tentatives de prise de contrôle rampant ; les adversaires invoquant la loi du marché et estimant qu’il valait mieux une « mauvaise » offre (une offre détournée de son objet)  que pas d’offre du tout.

Cette disposition, même si elle ne s’applique qu’à un nombre restreint d’offres (les offres à faible prix qui ne visent qu’à franchir le seuil de 30 % pour bénéficier ensuite de la vitesse d’acquisition de 1 % du capital par an au maximum sans avoir à lancer une nouvelle offre), forcera les initiateurs d’offres à verser une prime suffisante aux actionnaires pour obtenir le contrôle de la société.

La sanction est donc la caducité de l’offre (les titres présentés sont restitués à leurs propriétaires), mais aussi la privation des droits de vote attachés aux actions détenues au-delà de 30 % dans le cas où ce seuil serait franchi par l’initiateur par achat de blocs de titres sur le marché pendant l’offre. Pour l’initiateur qui détient avant l’offre entre 30 % et 50 %, la privation des droits de vote porte sur l’excédent du nombre d’actions détenues avant le dépôt de l’offre, majoré de 1% correspondant au nouveau seuil de vitesse d’acquisition permise entre 30 et 50 %. L’initiateur ne pourra plus par ailleurs accroître sa participation et bénéficier pour le futur de la vitesse d’acquisition de 1 % par an, sauf à déposer une nouvelle offre. Ces privations de droits de vote durent tant que la personne qui a déposé l’offre ne détient pas 50 % du capital ou des droits de vote de la société concernée, autrement dit tant qu’il n’a pas déposé une nouvelle offre lui permettant d’obtenir  un contrôle majoritaire.

Ces dispositions entrent en vigueur immédiatement.

 

2 – La réduction de 2 % à 1 % de la vitesse d’acquisition :

C’est un débat ancien soulevé en 2008 dans un rapport de l’AMF qui préconisait d’abaisser le seuil dit d’« excès de vitesse » à 1 %, afin d’éviter le renforcement trop rapide de situation de contrôle de fait, tout en offrant aux actionnaires qui se trouvent entre 30 et 50 % une certaine respiration pour organiser la liquidité de leurs titres. Rappelons que les Anglais sont passés de 2 % à 1 % pour supprimer ensuite toute vitesse d’acquisition.

 

3 – Le renforcement du rôle du Comité d’entreprise :

Les pouvoirs du Comité sont renforcés mais, afin de ne pas perturber le calendrier des offres publiques, leur exercice est enserré dans un délai d’un mois à compter du dépôt de l’offre. En l’absence d’avis rendu dans ce délai, le Comité sera réputé avoir été consulté.

La procédure suivie est désormais celle de l’information-consultation. Dans la semaine qui suit le dépôt de l’offre, le Comité de la cible pourra auditionner l’initiateur de l’offre et désigner un expert-comptable qui disposera de trois semaines (à compter du dépôt de l’offre) pour évaluer, en un rapport, la politique industrielle, financière et les plans stratégiques de l’initiateur, ainsi que les répercussions sur l’emploi, les sites d’activité et la localisation des centre de décision de la cible.

Préalablement à l’avis motivé du Conseil d’administration, le Comité de la cible devra être réuni et consulté sur le projet d’offre. Son avis, qui doit être rendu dans le mois qui suit le dépôt de l’offre, ainsi que le rapport de l’expert, devront être reproduits dans la note en réponse établie par la cible ou dans la note commune établie par l’initiateur et la cible.

Un délai supplémentaire peut intervenir mais de façon très encadrée, afin de ne pas allonger de manière excessive la durée des offres et d’éviter des comportements dilatoires. S’il estime qu’il ne dispose pas d’éléments d’information suffisants, le Comité peut saisir le président du tribunal de grande instance qui statuera en référé dans un délai de 8 jours. Cette saisine ne doit pas avoir pour effet de prolonger le délai d’un mois dont dispose le Comité pour rendre son avis. Le juge peut cependant décider de le prolonger s’il constate des difficultés particulières d’accès aux informations, à moins qu’il ne considère que ces difficultés résultent d’une volonté manifeste de la société cible de retenir ces informations, autrement dit si celle-ci cherche à « instrumentaliser » la procédure de consultation du Comité pour en faire une arme anti-OPA. On voit donc l’équilibre subtil qui sous-tend cette procédure d’information-consultation et le rôle d’arbitre que peut être amené à jouer le juge pour assurer le bon déroulement des offres d’acquisition.

Le Comité disposera ensuite d’une sorte de droit de suite, puisqu’il est prévu que l’initiateur rende compte, au cours des 6e, 12e et 24e mois, de la manière dont il aura respecté ses intentions et engagements.

 

4 – La fin du principe de neutralité du Conseil d’administration en période d’offre :

La nouvelle loi met fin à la neutralité du Conseil consacrée en 2006 en droit français dans le cadre de la transposition de la Directive OPA. Désormais le Conseil d’administration d’une société objet d’une offre publique peut prendre toute décision susceptible de faire échouer l’offre dans les limites des pouvoirs attribués aux assemblées et de l’intérêt social de la société. C’est une petite révolution dans le droit des offres, puisque jusqu’à présent les conseils ne pouvaient rien faire sans demander l’autorisation de l’Assemblée en période d’offre (sauf principe de réciprocité, qui conduit à distinguer les offrants qui respectent les mêmes règles que la société et les autres). Les statuts pourront désormais prévoir que les mesures destinées à faire échouer une offre, les fameux « bons Breton » par exemple, pourront être autorisées préalablement au dépôt d’une offre (et non plus pendant l’offre), quelle que soit la nature de l’initiateur (en les subordonnant ou non au principe de réciprocité).

Malgré cette libéralisation, il n’est pas certain que les Conseils usent de pouvoirs aussi engageants pour leur responsabilité, ni même que leurs actionnaires acceptent de les leur accorder.

 

5 – La généralisation des droits de vote double :

Renversant le régime actuel, la nouvelle loi prévoit que, pour les sociétés cotées, les actions inscrites au nominatif depuis deux ans bénéficieront automatiquement d’un droit de vote double, sauf disposition contraire des statuts. Dans les sociétés dont les statuts stipulent déjà un droit de vote double, le régime statutaire pourra continuer de s’appliquer, avec éventuellement une durée de stage différente (mais comprise entre 2 et 4 ans, sauf exception).

Les sociétés qui ne souhaiteraient pas voir cette disposition s’appliquer et respecter ainsi le principe «  une action, un droit de vote » devront faire voter par leur assemblée générale extraordinaire une résolution ad hoc.

Cette mesure, très critiquée par les investisseurs financiers, pourrait entraîner pour un même actionnaire des effets de dilution-relution de ses droits de vote et le conduire à franchir à la baisse dans un premier temps le seuil de 30 %, puis ultérieurement à la hausse si d’autres investisseurs perdent des droits de vote double du fait de cessions. Le règlement de l’AMF sera complété pour permettre d’accorder à cet actionnaire une dérogation à son (re)franchissement à la hausse des 30 %, à condition que le pourcentage de votes détenus reste inférieur à celui existant à la date d’entrée en vigueur de la loi.

Ces dispositions, qui entreront en vigueur (sauf pour la clause de caducité et les droits de vote double) le 1er juillet 2014, visent donc à mieux défendre les sociétés cotées françaises, à renforcer les pouvoirs des instances sociales et à encourager l’actionnariat de long terme (une dernière disposition porte à 30 % ­– et non plus 10 – la part de capital pouvant être détenue par les salariés à la suite d’attributions gratuites d’actions,  à condition que cette attribution bénéficie à l’ensemble des salariés et que l’écart d’attribution entre chaque salarié soit contenu dans un rapport de un à cinq).

 

Cette loi aura-t-elle  une influence sur le marché et sur le nombre d’offres susceptibles d’être déposées en France ? Rien n’est moins sûr ! Aux Etats-Unis où les dispositifs de défense sont les plus étendus et les plus efficaces du monde, le marché des offres publiques est florissant et en Allemagne, sur laquelle la France vient de s’aligner en ce qui concerne les pouvoirs des Conseils en période d’offre, les mesures de protection sociale et de défense anti-OPA ne semblent pas avoir beaucoup d’impacts sur la valorisation des sociétés cotées. Au moins peut-on espérer que cette réforme permettra d’éviter certaines opérations qui se sont soldées par des restructurations importantes et coûteuses en matière d’emploi et de garder sous contrôle national des groupes de très grande importance stratégique.

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Pour ceux d’entre vous qui voudraient réviser leur droit boursier en matière d’offre publique, la section 3 du chapitre 48 du Vernimmen 2014 est faite pour vous.

 

Un article paru dans la Lettre du Vernimmen n°124, de mai 2014.