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Nos lecteurs auront peut-être été surpris de découvrir qu’au début du mois, Volkswagen avait lancé une offre publique d’achat sur MAN à 95 € alors que l’action MAN cotait environ 98 €.

Qui donc irait apporter ses titres à une offre à 95 € alors qu’il peut les céder sur le marché pour 3 € de plus ? Cette offre semblerait donc, dès le début, condamnée à l’échec. Dès lors pourquoi la lancer ?


Voici une réflexion pleine de bons sens et dénuée d’esprit machiavélique !

Pour comprendre pourquoi l’OPA de Volkswagen a peu de chance de réussir, sauf baisse du cours de l’action MAN pendant la période de l’offre, et pourquoi néanmoins, Volkswagen sablera le champagne quand son offre aura échoué, un petit rappel du droit boursier allemand est utile.

En Allemagne, lorsqu’une personne franchit seule ou de concert, directement ou indirectement le seuil de 30 % des droits de vote d’une société cotée allemande, elle est tenue de déposer une offre publique sur le solde du capital qu’elle ne détient pas encore.

Le prix de cette offre obligatoire doit être égal au plus élevé :

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  • Du prix le plus élevé payé par l’initiateur de l’offre durant les six derniers mois précédant le franchissement de seuil ;
  • du cours moyen pondéré des volumes des trois derniers mois précédant le franchissement de seuil.

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Autrement dit, Volkswagen a acheté début mai assez d’actions MAN pour franchir le seuil de 30 % (passant ainsi de 29,9 % à 30,5 % des droits de vote) et se trouve donc dans l’obligation de lancer une OPA. Volkswagen n’ayant pas acheté de titres MAN sur les six derniers mois outre ce bloc, le prix de l’offre est le cours moyen des trois derniers mois, soit 95 €.

Une fois cette offre formelle faite, Volkswagen sera délié de toute obligation de faire une nouvelle offre car le concept « d’excès de vitesse » (obligation de faire une offre quand un investisseur qui détient entre 30 % et 50 % augmente sa participation de plus de 2 % par an comme en France) n’existe pas en Allemagne[tooltip text= »Pour plus de détails, voir le chapitre 48 du Vernimmen 2011. »]1[/tooltip].

En un mot, l’offre qui rate permet à Volkswagen d’acheter ensuite autant de titres qu’il veut sur le marché et de prendre le contrôle de MAN sans payer la moindre prime de contrôle.

Ce schéma est devenu un grand classique en Allemagne ; c’est ainsi que ACS est en train de prendre le contrôle de Hochtief, que Porsche a failli prendre le contrôle de Volkswagen.

L’opération n’est pas sans risque comme Schaeffler l’a expérimentée à ses dépens en 2008. En effet, il avait acquis une importante quantité d’actions Continental, puis lancé une offre purement formelle sur les actions Continental pour franchir le seuil de 30 % et purger cette obligation. Las, le cours de Continental a fortement baissé pendant l’offre de Schaeffler (Lehman ayant fait faillite dans l’intervalle…) et l’offre, loin d’être l’échec espéré, a été un grand succès, le contraignant à acheter beaucoup plus de titres Continental qu’il ne le pouvait raisonnablement.


Un tel schéma est-il possible en France ?

Peut-être, mais pas sûr ! Certes, rien n’empêche un investisseur de ramasser jusqu’à 29,9 % des actions d’une société cotée au capital éclaté, puis de se placer en offre obligatoire en acquérant sur le marché au moins un an plus tard un bloc lui faisant franchir le seuil de 30 %.

Le prix de l’offre obligatoire en France doit être au moins égal au prix le plus élevé payé par l’initiateur de l’offre dans les douze mois précédant le franchissement du seuil de l’offre obligatoire (article 234-6 du Règlement général de l’AMF).

[quote type= »center »]
On peut penser qu’en choisissant bien le moment de l’achat du bloc qui lui permet de franchir le seuil fatidique, l’initiateur bénéficierait d’un prix de l’offre correspondant au prix du bloc et donc au prix du marché à ce moment-là. [/quote]

Si l’offre réussit, l’initiateur aurait acquis le contrôle de sa cible sans payer de prime de contrôle.

Si l’offre échoue, il pourra tranquillement monter au capital de sa cible de 2 % par an au plus sans avoir à lancer une nouvelle offre.

Cela dit, c’est peut-être aller un peu vite en besogne car un autre article du Règlement général de l’AMF (le 234-2) stipule que le projet d’offre publique doit être « libellé à des conditions telles qu’il puisse être déclaré conforme par l’AMF ».

Ainsi, l’AMF aurait les moyens de s’opposer à cette manœuvre en exigeant que le prix d’offre soit supérieur au prix d’achat du bloc. De combien ? On ne sait pas. Le contexte sera certainement important. Une offre « au ras des pâquerettes » aura plus de chances d’être déclarée conforme qu’une offre « où l’on se moque du monde » à l’allemande.

Si l’initiateur est représenté par des administrateurs au conseil d’administration de la cible, un rapport devrait être demandé à un expert indépendant2 afin d’éclairer le conseil avant qu’il ne statue sur l’offre puisque la présence en son sein de représentant de l’initiateur crée un conflit d’intérêt. Si l’expert conclut négativement quant au prix de l’offre, l’AMF devrait de surcroît s’appuyer sur cet avis pour refuser de prononcer la conformité de l’offre.

Pour éviter de tels dilemmes ou incertitudes ou tenter inutilement des vocations, n’est-il pas plus sage d’attaquer le mal à la racine :

  • En supprimant la clause d’excès de vitesse permettant de grimper de 2 % par an sans avoir à lancer d’offre. Cela a déjà été fait au Royaume-Uni et on ne voit vraiment plus à quoi sert cette clause si ce n’est à permettre une prise de contrôle sans offre et sans prime ;
  • en introduisant une clause de caducité automatique de l’offre si, à l’issue de celle-ci, l’initiateur ne parvient pas à atteindre au moins 50 % du capital et des droits de vote. Cela l’inciterait à faire une offre avec une prime telle qu’elle puisse lui permettre d’emporter le contrôle de sa cible. En cas d’échec, c’est-à-dire d’obtention de moins de 50 % du capital de la cible, l’offre n’aurait pas de suite et l’initiateur resterait un peu au-dessus de 30 %, ne pouvant pas monter au capital sans faire une nouvelle offre puisque la clause de l’excès de vitesse aurait, elle aussi, été supprimée. Sans vouloir tomber dans l’anglophilie primaire, notons que la clause de caducité à 50 % existe déjà au Royaume-Uni.

Dans les années 1970 on entendait souvent dire que l’union est un combat permanent. Quelques décennies après, on pourrait mentionner que l’amélioration de la réglementation boursière est un combat permanent.

Après l’abaissement du seuil de l’OPA obligatoire de 33,3 % à 30 % entré en vigueur il y a peu3 et dont les principaux motifs étaient de se rapprocher du seuil de l’offre obligatoire le plus fréquent en Europe et de rendre plus difficile la prise de contrôle rampante, cette évolution serait, nous semble-t-il, de nature à parachever cet effort et utile pour ne pas prendre le risque de converger, sur ce point, avec l’Allemagne.

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1. Pour plus de détails, voir le chapitre 48 du Vernimmen 2011.
2. Voir la Lettre Vernimmen.net n° 48 de mai 2006.
3. Voir la Lettre Vernimmen.net n° 94 de janvier 2011.