Quiconque s’intéresse à ce sujet majeur pour l’avenir de notre pays, et il n’y en a pas d’autres en ce moment[i], se doit de lire le petit ouvrage de Henri Lagarde : France-Allemagne : Du chômage endémique à la prospérité retrouvée, paru il y a quelques mois aux Presses des Mines.

 

Cet ouvrage est petit par la taille (167 pages), mais grand par la force des idées et la puissance de la démonstration faite par cet ancien industriel, aujourd’hui business angel très actif. Dans ce domaine, pas besoin d’inventer de grandes théories, le plus simple est de décortiquer le compte de résultat de deux entreprises de taille moyenne, l’une allemande B, l’autre française M et de les comparer. C’est ce que fait Henri Lagarde et ses conclusions sont édifiantes.

 

1/ Les cotisations sociales payées par les entreprises sur les salaires qu’elles versent représentent en moyenne 38,1 % des salaires de M en France (48 % de base) contre 16,6 % de B en Allemagne (base: 19,575 à 20,9 % part employeur, mais cotisations à 0 % au delà d’un seuil 45 900 € ou 67 200 € par an + nombreux apprentis + Landers de l’Est à plafonds encore plus bas). Ce qui renchérit de 21,5 % le coût du travail en France par rapport à ce qui s’observe outre Rhin.

 

2/ Les taxes diverses qui existent en France ne sont pas assises sur le résultat courant avant impôt (RCAI) comme en Allemagne, mais sur le bâti (CFE) ou la valeur ajoutée au sein l’entreprise (CVAE). Avec les dix autres taxes au moins, elles aussi indépendantes du RCAI, on atteint par exemple, pour M, un total de 32,2 % de son RCAI 2010 (qui était de 10,1 % du CA), mais un pourcentage infini en cas de résultat nul ou négatif, élevant vertigineusement son point mort. Dans les pays voisins, il s’agit d’un impôt local assis sur le RCAI. Par exemple en Allemagne, la Gewerbesteuer varie de 7 à 17,25 % du RCAI, soit, 11,2 % de celui-ci en 2010 dans l’entreprise B. De surcroît, et c’est un problème culturel majeur, ceux qui votent ces taxes, les calculent et les lèvent ne sont absolument pas incités à se préoccuper de la bonne santé des entreprises de leur territoire comme cela est le cas chez nos voisins, où ces impôts ne rapportent rien si les entreprises ne vont pas bien, puisqu’elles sont assises sur leur RCAI.

 

3/La base de l’impôt sur le bénéfice (IS), est de 33,3 % en France (30,8 % effectivement payés en 2010, contre 15 % du RCAI en Allemagne (14,1 % effectivement payés), sans parler des nombreuses PME et ETI en nom personnel encore plus faiblement imposées.

 

La conjugaison des points 1, 2 et 3 fait que :

– Une ETI ayant un RCAI de 10,1 % de son chiffre d’affaires paie en moyenne en France, 140,6 % de son RCAI en cotisations sociales, taxes diverses et impôts sur les bénéfices ;

– une grande entreprise française type CAC 40 réalisant 70 % de sa production et de son CA à l’étranger, paiera seulement 62,7 % de son RCAI pour les mêmes 3 rubriques ;

– et B, notre entreprise allemande, 40,9 % de son RCAI !

 

Si l’on veut éviter l’accélération de la disparition de pans entiers de l’industrie française, et donc d’emplois, cotisations sociales, taxes et IS, sans parler de cohésion sociale, il y a plus qu’urgence à agir. Henri Lagarde donne parmi d’autres exemples celui de la fabrication des batteries en France : 13 millions produites en 2007, transférées en Allemagne, Espagne et Pologne, 0,3 million en 2010. Pas étonnant dans ces conditions que l’emploi industriel ait baissé de 2 millions de postes en 30 ans (plus que 3 ,5 millions au maximum actuellement) et que la balance commerciale positive en 2002 (+ 3,6 Md€) soit négative de 70 Md€ en 2011, et la balance des paiements elle aussi très négative (moins 50 Md€).

 

Sans surprise et avec bon sens, Henri Lagarde propose d’imiter ce qui a été fait par l’Allemagne, le Danemark, la Nouvelle-Zélande ou le Canada quand ils ont été confrontés au même problème il y a 15 ou 30 ans : diminuer (ou supprimer même) drastiquement les cotisations sociales employeur, pour les transférer sur la TVA, et calculer les impôts locaux sur le RCAI et mettre tous ces prélèvements obligatoires au niveau de ceux de l’Allemagne, ou mieux, du Danemark ou de la Nouvelle-Zélande : cotisations sociales employeur à 0 %, impôts locaux entre 7 et 17,25 % du RCAI (14 % en moyenne), IS à 15 %, avec en parallèle suppression de la quasi totalité des niches fiscales dont par exemple le crédit d’impôt recherche qui n’a pas empêché une chute de nos investissements R&D entreprises de 1,79 % à 1,39 %.

Comme il n’y a pas d’autres sources de création de richesse que les entreprises, espérons que les pouvoirs publics qui réfléchissent à ce sujet agiront avec promptitude, détermination et sens de la mesure.

 

 


[i] Celui de l’éventuelle réforme des banques est une aimable plaisanterie en comparaison.