Make Equity Great Again

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Nous poursuivons la publication, avec quelques modifications d’édition, de ce qui serait l’introduction de la prochaine édition, celle de 2026, de l’incontournable manuel « Finance d’entreprise ». Comité Vox-Fi

 

Plusieurs États européens ont fait voter en 2024 des lois pour améliorer l’attractivité de leurs marchés financiers locaux. Ainsi en France, la faculté pour les entreprises se cotant en Bourse de doter les actions détenues par leurs fondateurs de droits de vote multiples (jusqu’à 25 pour une action) pour une durée maximale de quinze ans, des modalités plus souples pour effectuer des augmentations de capital sans droits préférentiels de souscription, la numérisation des activités de financement du commerce international, la qualification automatique des PME éligibles au PEA PME, la faculté de négocier des fractions d’actions, d’obligations ou de parts de fonds, etc.

Que l’on nous permette de dire que ces mesures sont loin d’être à la hauteur des enjeux et se concentrent quasi uniquement sur les émetteurs. Elles ne sont pas de nature à changer les incitations de nos compatriotes à rester très majoritairement investis en produit de dettes. Ainsi la Banque de France estime le patrimoine des Français fin 2023 à environ 14 000 Md€, dont 6 185 Md€ en placements financiers, le solde correspondant principalement à des actifs immobiliers. Sur ces placements financiers, 1 363 Md€ sont des placements en actions non cotées et autres participations, correspondant pour l’essentiel à l’outil de travail des entrepreneurs et dirigeants. Soit un solde librement décidé de 4 822 Md€ composé à 77 % de titres de créances : 1 483 Md€ en compte en euros pour l’assurance-vie et la retraite, 751 Md€ de dépôts à vue, 565 Md€ en livrets A et assimilés, 396 Md€ en dépôts à terme et livrets ordinaires. Le solde de l’épargne, 23 %, soit 1 017 Md€, est investi en actions, dont à peu près la moitié via des unités de compte de contrats d’assurance-vie ou de plan de retraite.

La fiscalité est indéniablement un critère d’orientation majeur, si ce n’est souvent le seul critère de choix de beaucoup d’épargnants. Or pour des raisons historiques, la fiscalité française avantage massivement les placements en titres de dettes.

Ainsi l’assurance-vie permet à un couple de placer 305 000 € en contrat en euros (placés très largement en obligations puisque l’assureur doit garantir le capital), et de retirer chaque année les intérêts à 3 % avec seulement 1 574 € de coût fiscal. Et si ce couple décède avec au moins deux enfants, le contrat ainsi transmis le sera en franchise totale de droits de succession.

Par ailleurs, ce même couple peut placer 22 950 € par personne dans son foyer, soit 91 800 €, sur des livrets A, et 24 000 € sur deux livrets de développement durable et solidaire, totalement liquides et exonérés de toute fiscalité.
C’est donc un total de patrimoine financier de 420 800 € que ce ménage peut placer sans impôt significatif, sans aucune prise de risque en capital et totalement liquide.

S’il voulait placer cette somme en actions, il pourrait ouvrir des PEA (mais avec un plafond des placements, contrairement à l’assurance-vie), et sans aucune exonération spécifique de droits de succession ou taux d’imposition réduit au-delà des abattements.

Ces 420 800 € correspondent environ au huitième décile des patrimoines avant endettement, immobilier inclus, des ménages français. Autrement les trois quarts des ménages français ont toutes les incitations fiscales à placer en dette, ce qu’ils ne se privent pas de faire, et marginalement de placer en actions : les contrats d’assurance-vie et de retraite sont placés à plus de 74 % en dette (contrats en euros).

Tant que cette distorsion qui voit l’épargne sans risque être non imposée alors que l’épargne à risque l’est, il ne se développera pas de marché financier profond en France. En effet, les ménages continueront de privilégier les placements défiscalisés en dettes, même si ce n’est pas leur intérêt financier à long terme, ni celui du pays, et d’ignorer massivement les placements en actions. Et les start-ups prometteuses, les grands groupes continueront d’aller chercher des capitaux de l’autre côté de l’océan ; quand ils ne s’y établiront pas définitivement.

Aussi, si les pouvoirs publics veulent vraiment développer l’attractivité du marché financier, nous suggérons qu’ils réservent les avantages fiscaux des placements en assurance-vie aux seuls supports investis en capitaux propres, les autres entrant dans le régime commun qui n’a rien de spoliateur (barème de l’IR et prélèvements sociaux, ou 30 % forfaitaires). Quant aux livrets d’épargne réglementée (livret A, livret jeune, LDDS, etc.), leur encours par ménage devrait être plafonné, par exemple à 33 200 €, qui est le patrimoine brut du troisième décile, pour ne pas offrir un effet d’aubaine à ceux qui ont les moyens financiers et culturels de s’occuper de la gestion de leur patrimoine.

Parallèlement, un effort de pédagogie comme celui que les Suédois ont réalisé il y a 40 ans, bien avant l’arrivée d’internet qui facilite grandement les choses, doit être fait envers les ménages, et plus structurellement envers les adolescents, pour intégrer dans leur cursus scolaire des cours sous forme de MOOCs leur permettant d’apprendre avec des pédagogues compétents les bases de la finance : capitalisation, actualisation, valeur actuelle, caractéristiques des actions et des dettes, principaux placements financiers et le b.a.-ba de la gestion patrimoniale personnelle. Il nous semble qu’une attestation de savoir minimum financier (ASMF) serait aussi utile dans la vie aux jeunes que l’ASSR (attestation scolaire de sécurité routière) qui doit être obtenue au collège afin de passer le permis de conduire plus tard.

Enfin, et plus symboliquement, nous suggérons qu’Euronext, qui a déjà fusionné ses sept plateformes boursières pour n’en faire plus qu’une seule, cesse de s’afficher comme sept entités différentes dans ses sept pays (Belgique, France, Irlande, Italie, Norvège, Pays-Bas, Portugal) pour apparaître comme un seul Euronext avec des indices phares (Europe 200 ? Europe Small and Mid ?, etc.) remplaçant le CAC 40, le MIB 40, le BEL 20, etc., et ayant vocation tôt ou tard à accueillir en son sein toutes les grandes valeurs cotées en Europe, à défaut de pouvoir réaliser tout de suite la fusion avec les autres Bourses européennes de Francfort, Londres, Madrid, Stockholm et Zurich.

Nous avons parfaitement conscience que ce programme esquissé ne pourra être mis en place et ne produira ses effets que dans la durée, comme l’expérience suédoise le montre. Et que dans un moment (juin 2024) où les extrêmes semblent séduire les deux tiers des citoyens avec des mesures parfaitement démagogiques et destructrices, tracer la voie de la raison peut sembler vain. Mais après le bruit et la fureur, reviendra tôt ou tard la voie de la raison sous l’effet de la nécessité ou de la lucidité. Et les pédagogues que nous sommes ont la faiblesse de penser que nous ne formons pas seulement nos étudiants ou nos lecteurs pour les prochaines semaines, mais pour les prochaines décennies.

 

 


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