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Les marchés financiers européens : un retard croissant par rapport à ceux des États-Unis
De 1989 à 2009, l’indice Euro Stoxx 600 a doublé de niveau et le S&P 500 aux États-Unis a triplé de valeur. Puis de 2009 à 2024, le premier a progressé de 150 % et le second de 450 %.
En 2008, la première banque américaine, JP Morgan, capitalisait 75 Md€, et les 10 premières banques de la zone euro sept fois plus, à environ 510 Md€ cumulés. En 2024, la capitalisation boursière de JP Morgan atteint 515 Md€, soit l’équivalent de la capitalisation boursière des dix premières banques de la zone euro. BNP Paribas, première banque de la zone euro, capitalise moins de 70 Md€ et l’indice Euro Stoxx des banques européennes est à son niveau de début 1997.
BlackRock, le premier gestionnaire d’actifs américain, gère environ 9 700 Md€ d’actifs contre 2 100 Md€ pour Amundi, le leader européen.
Si historiquement l’écart entre les PER américains et européens était de l’ordre de deux à quatre points, depuis 2019 l’écart moyen a bondi à 7 points (21 sur le S&P 500 contre 14 sur l’Euro Stoxx 600). Certes les taux de croissance sont plus élevés aux États-Unis, mais les taux d’intérêt le sont aussi et pourraient le rester sur le long terme, ce qui joue dans le sens inverse.
En conséquence, un certain nombre de groupes européens, principalement britanniques, et ayant une part importante de leurs activités aux États-Unis ont décidé de se faire coter aux États-Unis, plutôt qu’en Europe (Arm dans les semi-conducteurs) ou d’y transférer leur cotation boursière (CRH dans les matériaux de construction, Ferguson dans la plomberie-chauffage, etc.). D’autres ont annoncé y réfléchir (TotalEnergies, Shell et BP). L’expérience montre que la cotation aux États-Unis ne garantit pas automatiquement une revalorisation des cours. Des quatorze groupes britanniques qui se sont fait coter à New-York depuis 2014, seuls trois valent plus cher qu’avant leur transfert (et huit ont disparu de la cote).
Les pouvoirs publics européens se sont donc inquiétés de la situation, conscients qu’un transfert de la cotation est souvent une première étape avant un transfert du management, puis du siège social. L’illustrent Linde qui serait la seconde capitalisation boursière germanique (à la page 1152), ou SLB, l’ancien Schlumberger, qui serait la 15e capitalisation boursière française (à la page 1154), si ce groupe de recherche sismique pour l’industrie pétrolière, fondé en France, n’avait pas progressivement transféré son centre aux États-Unis.
Plus généralement, et au-delà du cas emblématique de transferts envisagés de la cotation boursière de grands groupes, les pouvoirs publics européens se sont émus qu’une partie de l’épargne européenne soit investie hors d’Europe, principalement aux États-Unis. Les groupes financiers d’outre-Atlantique ont alors plus de moyens pour venir ensuite investir… en Europe, et influencer ainsi les décisions des groupes européens, que cela soit via les gestionnaires d’actifs (BlackRock, Vanguard, Fidelity, etc.), via des fonds d’investissement (KKR, Blackstone, etc.), de capital risque (Sequoia, Lightspeed, etc.).
Si l’épargne des ménages européens est ample, à environ 35 500 Md€, nourrie par un taux d’épargne de 13,3 % du revenu disponible, bon nombre d’entreprises européennes lèvent des fonds auprès des groupes financiers non européens, car elles ne trouvent pas suffisamment de fonds localement auprès des investisseurs européens. Ainsi la prometteuse start-up française de l’IA, Mistral, perçue comme le principal rival du créateur de Chat GPT (Open AI), a levé 1 090 M€ entre juin 2023 et juin 2024 en 3 tours de financement, à chaque fois dirigés par des fonds de capital-risque américains (Lightspeed, Andreesen Horowitz, DST Global et General Catalyst).
Alors que le PIB des États-Unis (environ 25 000 Md€) n’est pas si différent du PIB de l’Europe à 27 (environ 17 000 Md€), la profondeur du système financier américain est bien supérieure à celles des marchés financiers européens pour trois raisons principales : une marchéisation différente de l’économie, des systèmes de financement des retraites différents, et le morcellement des marchés financiers européens.
Si l’un des piliers de l’Union européenne est la libre circulation des capitaux, celle-ci est dans les faits entravée par la persistance de réglementations nationales différentes, sans même parler de fiscalité, qui complexifient et compartimentent pour partie les marchés européens des capitaux : droits des affaires et des faillites différents ; absence de pleine fongibilité des dépôts, du capital ou de la liquidité des banques paneuropéennes pourtant supervisées par le régulateur européen (BCE) car les régulateurs locaux veulent garder une supervision des filiales locales de ces banques ; absence d’une Bourse couvrant les 27 pays de l’Union ; absence d’un système paneuropéen de compensation et de livraison (il y en a 18 pour la compensation et 21 pour la livraison des titres négociés en Europe), etc.
D’où des réflexions en cours (rapports Letta et Noyer) qui dessinent des voies concrètes pour continuer d’avancer vers un marché financier européen unifié et défragmenté : relancer la titrisation des prêts bancaires, particulièrement immobiliers, pour accroître la flexibilité des banques ; créer un produit d’investissement long terme paneuropéen ; assouplir le cadre réglementaire et prudentiel des banques et des compagnies d’assurances comme les États-Unis l’ont fait ; renforcer les pouvoirs de l’ESMA pour aboutir à une vraie supervision européenne des marchés de capitaux ; améliorer le fonctionnement du « post-marché ».
Ce que les Suédois ont réussi à faire
La Suède n’a que 10,5 M d’habitants, mais ceux-ci ont réussi depuis 1980 à créer un marché financier local 2,6 fois plus profond relativement à son PIB que ceux du reste de l’Europe continentale. Si bien que 16 % des entreprises suédoises de plus de 250 salariés sont cotées en Bourse, contre seulement 3 % dans l’Europe des 27 (moins de 2 % en Allemagne et 3 % en France). Dès lors, il n’est pas surprenant que le nombre des cotations nouvelles sur la Bourse de Stockholm depuis 2013 (501) dépasse sur la même période le montant cumulé des introductions en Bourse à Paris, Francfort, Amsterdam et Madrid. Seul le Royaume-Uni a fait mieux avec 765 cotations nouvelles.
Et le succès appelle le succès, avec une progression de l’indice de la Bourse de Stockholm de 85 % sur les dix dernières années, contre 49 % pour l’Euro Stoxx 600 et 17 % pour le FTSE 100 de la Bourse de Londres.
Comment ce résultat a-t-il été obtenu ?
Pas en un jour, mais avec des efforts continus de pédagogie et des avantages fiscaux temporaires, pour inciter les ménages suédois à investir en actions. Ainsi ont été créés en 1984 les Allemansfonder, littéralement « fonds pour tout le monde », investi à 100 % en actions et exonérés d’impôt, détenus dès 1990 par 1,7 million de Suédois. Les avantages fiscaux initiaux de ce produit ont disparu au profit d’un prélèvement fiscal annuel unique de 1 % du capital, ce qui incite les Suédois à faire leur marché pour éviter les mauvais investissements, afin de pouvoir faire face à ce prélèvement.
Des retraités de l’industrie financière vont expliquer dans les lycées aux jeunes de 16 à 18 ans le b.a.-ba de la finance et comment placer au mieux son épargne.
Si les avantages fiscaux ont disparu, la culture action des épargnants suédois est restée : la part des dépôts et comptes sur livret dans l’épargne financière est passée de 40 % en 1980 à moins de 20 % de nos jours ; celle des plans d’épargne retraite et des contrats d’assurance-vie a bondi de 19 % à 48 %.
Alors qu’en France la part des actions dans les OPCVM est de 25 %, elle atteint 66 % en Suède. Au total, dans l’épargne financière des Suédois, les actions représentent 42 %, contre 17 % dans l’Europe des 27 (et 23 % en France).
Dans le bilan des compagnies d’assurance suédoises, la part des actions est de 48 %, contre 26 % dans l’Europe des 27 (24 % en France) ; et… 4 % au Royaume-Uni (venant de 50 % en 2000) où la capitalisation boursière des sociétés cotées est passée de 159 % du PIB britannique en 2000 à 95 % aujourd’hui.
Le retour aux fondamentaux
Nous devons au travail de bénédictin de David Le Bris le graphique suivant qui montre l’évolution d’un placement de 100 au 1er janvier 1854, soit dans le CAC 40 (ou équivalent) avec réinvestissement des dividendes, soit dans l’emprunt d’État (la rente) avec réinvestissement des coupons jusqu’en 2023, avec aussi le comportement de l’inflation. Nous attirons l’attention de notre lecteur sur le fait que l’échelle est logarithmique afin que les paraboles des placements capitalisés au long cours deviennent des quasi-droites facilitant la lecture.
On peut tirer deux enseignements de ce travail de recherche, conformes à ce que l’intuition et la théorie enseignent : sur une longue période, la rentabilité d’un placement en actions a battu celle d’un placement dans la rente ; et l’investissement en actions a été plus risqué que celui dans la rente comme en témoigne une volatilité plus grande du placement dans le CAC 40.
Par ailleurs, notre lecteur qui regardera de près ce graphique, par exemple pour voir la grande crise de 1929 ou celle de 2008, se rendra compte que ce qui a été sur le coup d’un point de vue financier (et pas uniquement, tant s’en faut) un traumatisme, se voit finalement à peine quelques années plus tard et se verrait encore moins si nous avions adopté une échelle linéaire et non logarithmique.
Certes, l’investisseur qui a investi en septembre 1929 et qui revend en septembre 1939 a perdu la moitié de son investissement ; celui qui a investi en juin 2007 et qui revend en mars 2008 en a perdu 58 %. Mais outre la malchance d’investir au plus haut temporaire du marché actions et de revendre au plus bas définitif du marché actions, ce comportement correspond à celui d’un joueur, et non d’un épargnant qui, pour sa retraite, investit de manière lissée tout au long de sa vie active.
Aussi nous avons calculé, grâce à la base de données de David Le Bris, ce qui serait arrivé à un épargnant qui, en 1854, aurait investi la somme de 100 chaque année pendant 45 ans, soit dans le CAC 40 dividendes réinvestis, soit dans la rente coupons réinvestis ; et avons fait le rapport des sommes ainsi capitalisées au bout de 45 ans. Puis nous avons répété l’exercice chaque année de 1854 à 2023, les dernières années (en pointillé) en nous limitant à moins de 45 ans, n’ayant pas le don de divination des cours futurs. Dans le graphique suivant, figure, pour chaque année de début d’investissement, le ratio entre la valeur de 45 années d’investissement de 100 par an dans le CAC 40 divisée par la valeur de 45 années d’investissement de 100 par an dans des obligations d’État (rente) :
Ce graphique se lit ainsi : l’épargnant qui a commencé à investir en 1854 disposera 45 ans plus tard d’une somme 1,7 supérieure s’il a investi dans un placement actions versus un placement en rente. Ce sera seulement de 0,9 fois pour celui qui a commencé en 1906, car le niveau du CAC 40 de 1929 n’est définitivement dépassé qu’en 1951, mais de 4,4 fois pour celui qui a commencé en 1977.
représenter qu’un an d’investissements en 2023. Dans ces conditions, il est logique que la courbe en pointillés sur la droite converge vers un, puisqu’il y Au-delà de 1979 (2024 – 45 = 1979), nous avons poursuivi la courbe, mais avec un nombre d’années en réduction naturellement, jusqu’à ne plus a de moins en moins de temps pour capitaliser sur la différence de rentabilité moyenne entre un placement actions et un placement obligations.
Autrement dit, entre 1854 et 1979, l’investissement d’une même somme chaque année sur le marché actions a permis à l’épargnant d’obtenir un montant d’épargne supérieur à celui qu’il aurait obtenu en investissant en rente (obligations d’État) dans 71 % des cas. Ce taux serait quasiment égal à 100 % sans la crise économique et financière de 1929, et la Seconde Guerre mondiale 10 ans après.
En introduisant progressivement une part croissante d’obligations dans le portefeuille quelques années avant son échéance comme le font les gestionnaires de fonds de retraite,
les résultats auraient été moins sensibles à la performance des actions les dernières années, les pics et les creux auraient été moins marqués. D’un autre côté, celui qui le plus perdu dans notre simulation, l’investisseur qui commence en 1938 et s’arrête en 1983 avec un portefeuille action valant un tiers du portefeuille obligataire, rate la grande reprise du marché actions qui s’enclenche justement cette année.
Notons que le risque aurait été réduit si nous avions géographiquement diversifié le portefeuille au lieu de l’avoir concentré sur le CAC 40, même si l’on peut se dire que les composants du CAC 40 sont actuellement infiniment plus internationaux (de l’ordre de 85 % de leurs ventes est fait hors de France) qu’ils ne l’ont jamais été, ce qui contribue à l’amélioration de la performance sur les dernières décennies.
La suite et la fin de cet article seront publiées dans La Lettre Vernimmen de juillet 2025.
Cet article a été initialement publié dans la Lettre Vernimmen.net n°227 (juin 2025). Il est repris par Vox-Fi avec une autorisation.