Nombre de managers et dirigeants sont reconnus pour avoir su manager l’incertitude. Pour avoir su dans un moment de tempête, comme la période de confinement liée au Covid, mobiliser tout le monde et avoir raison sur cette phase d’incertitude. Ces managers ont su y voir plus clair, plus vite et ont su maitriser les éléments contraires.

Comme sur un navire dans une tempête, le capitaine reste sur le pont alors que chacun a été envoyé à son poste. Les temps de briefing sont minimisés, l’attention de chacun est clef pour la réussite de tous, la coordination est vitale. L’effort est intense mais l’enjeu est vital. Il s’agit de d’être plus fort que toutes les incertitudes … manager, au sens de contrôler l’incertain.

Quand l’incertain perdure, ce style de management pourrait épuiser les équipes. Dans cet article nous proposons de passer du management de l’incertain au management dans l’incertain. Nous décrivons comment développer une posture managériale qui intègre la gestion de l’imprévu.

Le management dans un environnement incertain s’appuie sur une énergie composée à la fois d’excitation et d’inquiétude. Gérée, elle apporte la sérénité qui permet de faire face à l’imprévu. Il s’agit de penser, d’agir en temps réel, avec un état d’esprit de recherche permanente. C’est l’énergie des questions ouvertes : Quoi ? Qu’est-ce ? Pour quoi ? Pourquoi pas ? Quoi d’autre ?…

Nous vous présentons ci-dessous cinq leviers qui facilitent le management dans l’incertain et permettent de naviguer en tirant des caps pour s’ajuster sereinement.

 

L’étonnement : être en veille permanente

S’étonner c’est être capable de voir le nouveau, l’étrange, partir à la découverte de l’inconnu. Dans un monde incertain, cette disponibilité d’esprit demande aussi de savoir sortir de son cadre de référence pour se mettre en état de veille permanente et intégrer le nouveau dans un ajustement créateur.

L’incertain génère du changement en continu

Pour structurer et mener à bien les changements nécessaires, nous différencions trois dimensions à prendre en compte : le futur souhaité, le présent tel qu’il est vécu par chacun et les actions pour marcher du présent au futur. L’incertitude peut se rencontrer dans chacune de ces trois dimensions.

C’est une approche très simple et pourtant paradoxale qui soutient que manager dans un environnement incertain nécessite d’avoir défini un cap, « un futur » et qu’il est important pour le dirigeant de passer d’abord du temps avec son équipe à l’obtention d’un accord à 100% sur ce « futur ».

Dans un second temps, le manager écoute toutes les perceptions de chacun, sur les relations, la structure, l’organisation, les modes de travail … Sans chercher à se mettre d’accord et avec un souci d’exhaustivité, l’équipe parvient à une compréhension commune et partagée de la situation actuelle.

Ensuite, seulement, le dirigeant et son équipe se focaliseront, sur les actions qui mettront l’organisation en mouvement vers l’avenir.

Avec ce premier levier et en se laissant guider par cette boussole, les objectifs futurs sont dissociés des réalités du présent et les plans d’actions sont clarifiés comme un pont entre un futur aspirationnel et le présent tel qu’il est perçu par chacun.

 

Le vide est plein d’inattendus, alors que le manque est plein d’attendus

 

L’adaptabilité : accueillir ensemble l’imprévu

S’adapter en étant prêt à accueillir l’imprévu, demande de sortir d’une sensation fréquente de solitude pour faire face et de voir les autres autour de soi comme autant de ressources disponibles.

S’appuyer sur la richesse du partage des expérience et des apprentissages

Contrairement aux échanges de bonnes pratiques, qui fonctionnent bien dans un monde où les repères sont stables, dans un mode très incertain, la mobilisation des esprits sera plus efficace qu’une approche centrée solution pour s’ajuster en continu.

Les équipes qui travaillent dans la transversalité font beaucoup plus que travailler ensemble. Elles avancent pas à pas en partageant leurs expériences, leurs réussites comme leurs échecs et surtout leurs apprentissages. Leurs actions s’inscrivent dans un processus d’incrémentation qui apporte la flexibilité nécessaire à l’ajustement en temps réel.

En s’appuyant sur ce deuxième levier, le dirigeant est convaincu qu’un climat de générosité est source de performance dans un contexte incertain. Il attend des membres de l’équipe qu’ils donnent et sachent recevoir. Il crée des espaces pour que chacun puisse imaginer quelle est la richesse de son expérience, à partager avec les autres. Il est convaincu que « plus je donne, plus je m’enrichis et plus je m’ouvre à ce qui survient ».

 

La nuanciation : vivre dans la complexité

L’incertain amène fréquemment la complexité. Appréhender toute la complexité d’une situation, avoir la volonté de tout voir c’est aussi accepter qu’il n’y ait pas de solution et surtout ne pas adapter la réalité à une solution existante.

Dans un environnement incertain, pour développer sa capacité à se perdre dans la complexité, il nous semble important de prendre le temps de questionner chacun sur la façon dont il est impacté par un événement. La profondeur de ces « retours » apporte un sentiment de stabilité, un fond solide au désir d’action. C’est un des paradoxes du management dans l’incertain.

 

Identifier les impacts et les différencier des réactions

Nous encourageons les équipes ou les dirigeants à partager les tensions que l’impact d’une situation inattendue leur fait vivre, de façon aussi exhaustive que possible. Dans ce premier temps de partage, on écoute comment chacun est touché. Sans chercher à se mettre d’accord, il s’agit de laisser s’exprimer les réalités, de suspendre le jugement, d’écouter l’inconnu et de renoncer à une vérité unique souvent réductrice.

Après cette phase d’écoute des impacts, un deuxième temps permet de questionner chacun sur son intention de réaction, ce qu’il aurait envie de faire à partir de ce qu’il ressent.

Ainsi les désirs d’action, émergeant de la réalité de chacun, sont à la fois plus justes et plus diversifiés. En regardant les thématiques qui se dégagent, nous obtenons une première cartographie des grands axes à explorer.

Nous avons souvent observé que des actions démarrées trop rapidement, sans donner de place à l’expression des tensions sous-jacentes, vont demander beaucoup plus d’effort à suivre et à mener au bout…

 

Le raisonnement : penser toute la réalité

Trouver un nouvel « ordonnancement », une « forme » dans le chaos, demande de lâcher ses repères, de savoir se perdre pour s’ouvrir à ce qui se dessine sous nos yeux dans l’émergence.

Le manager de l’incertain aura tendance à identifier ce qui manque à partir de ce qu’il connaît alors que le manager dans l’incertain sera à l’aise avec vide. Pour lui le vide est plein d’inattendus, alors que le manque est plein d’attendus !

Aussi, pour penser toute la réalité, il fait une place à son intuition et procède à des expérimentations rapides pour la valider.

 

Plus je donne, plus je m’enrichis et plus je m’ouvre à ce qui survient

 

Deux modèles de décision pour accroître le potentiel d’exécution des décisions prises

Décider dans un environnement incertain, ce n’est surtout pas vouloir avoir « raison » de l’inconnu. Au contraire, il s’agit de décider sans la certitude d’avoir pris la «bonne» décision, car celle-ci se construit en chemin. Les équipes performantes dans l’incertitude se démarquent par leur capacité à déplacer leur énergie de la question « Avons-nous pris la bonne décision » à la question « Comment s’assurer que les décisions que nous prenons sont bien mises en œuvre ? »

Le premier type de décision, le plus fréquent dans un environnement stable, représente les situations où le temps de préparation est suffisamment long. Les plans d’actions sont alors bien étayés. La mise en œuvre est ensuite à coexécuter.

Le second type, moins fréquent, représente les situations où le temps de préparation est court et la quantité d’informations pour prendre une décision est faible. L’environnement est changeant, incertain et la prise de risque est plus grande. Il est alors nécessaire de coconstruire la mise en œuvre pour que la décision prise devienne la bonne.

Ce quatrième levier demande au dirigeant de prendre toutes les réalités, dans la diversité des réactions pour embarquer l’énergie de chacune de ces réactions. De même, à trop vouloir « raisonner une décision », il pourrait oublier qu’une décision peut aussi s’appuyer sur plus d’intuition alors que ses contours peuvent être affinés au fur et à mesure de l’avancement.

 

L’opinion personnelle : grandir dans la confiance

Dans un environnement incertain, la circulation de la reconnaissance est un levier de confiance pour continuer d’apprendre en marchant. Il renvoie à la capacité du dirigeant et de chacun dans une équipe, à transmettre son opinion sur ce qui a été accompli ou pas. Le risque est grand que la reconnaissance soit négligée ou limitée au motif d’un manque de temps, de l’urgence de nouveaux projets, de la non-pérennité des équipes, de pratiques culturelles.

Or le manque de reconnaissance peut impacter la qualité du climat, de l’engagement et des délivrables futurs.

 

La reconnaissance : être clair avec ce qui a été accompli

La reconnaissance du travail participe activement à l’accomplissement de soi et à la construction d’une identité professionnelle. Dans un contexte d’incertitude, elle est d’autant plus cruciale qu’elle apporte des repères et donc de la stabilité rassurante.

Il s’agit de prendre le temps de reconnaître le travail accompli et d’éclairer l’utilité de ce travail pour l’équipe, pour le service, pour l’entreprise. C’est également mettre des mots sur la manière dont ce travail a été mené, ce qui a été réalisé pour parvenir à la réussite.

L’enjeu est d’apprendre d’une expérience, sur soi et avec les autres, c’est à-dire de continuer à grandir et à se développer. De ces apprentissages naîtront de nouvelles envies de s’impliquer, de s’engager, de rencontrer, de prendre des risques, de s’ouvrir, d’initier.

Naviguer dans l’incertain est un voyage entre l’audace et la vulnérabilité.
Ainsi, du côté de l’audace, apprendre d’une expérience c’est oser porter une appréciation sur une personne, sur un fait, sur un acte, comme le ferait un critique en ayant conscience que c’est sa subjectivité qui lui est demandée.

Et, du côté de la vulnérabilité, apprendre d’une expérience est l’exercice complémentaire qui permet d’accueillir la critique. Le droit à l’erreur prend ici tout son sens car il devient fécond. C’est aussi la capacité à aller chercher la critique, positive ou négative, la solliciter et à grandir à partir de ce qu’elle nous apprend.

Ce cinquième et dernier levier est l’opportunité de développement personnel donnée à chacun dans la confrontation avec un monde incertain. Réussi, il permet de se mettre à la lumière, en lien avec les autres.

 

Conclusion

Les cinq leviers que nous avons détaillés, contribuent chacun à la performance d’une équipe dirigeante dans un environnement incertain. Ils sont à la fois autonomes et intimement reliés les uns aux autres. En agissant sur ce lien, cette tension entre les leviers, les dirigeants peuvent manager avec agilité dans l’incertain et apporter une dimension unique à leur « entreprise ».

 

Cet article a été publié dans le numéro 383 de Finance&Gestion.