McKinsey trafiquant d’opium ? ; Le lobbying de Uber
Dans la section « Brèves de comptoir », Vox-Fi fait sien le mot du sapeur Camembert : « Quand les bornes sont franchies, il n’y a plus de limites ». Aujourd’hui, une brève sur l’implication de McKinsey, le plus prestigieux cabinet de consulting au monde, dans le scandale des opioïdes aux États-Unis ; et la rhétorique pour le moins bizarre de Uber face au risque pour eux qu’aurait l’obligation légale d’un statut salarial donné à leurs partenaires chauffeur, comme ils les appellent.
McKinsey trafiquant d’opium ?
La diffusion massive d’opioïdes aux États-Unis est l’un des plus graves dommages sanitaires advenus aux États-Unis, comparable au drame du COVID : des antidouleurs à base d’opium ont été distribués sans limites et sans garde-fous de la part du corps médical (lui-même complice à l’occasion) à une fraction importante de la population. Les décès par surconsommation et addiction sont estimés à environ 500.000 sur deux décennies, et cela se poursuit au rythme moyen de 128 morts par jour. Voir pour un bon topo Economic Studies on the Opioid Crisis: A Review.
Purdue Pharma, avec son produit-phare l’OxyContin, est certainement le labo le plus en vue dans la diffusion de ces opioïdes. Il a récemment accepté de plaider coupable face aux plaintes (criminal charges) au titre de fraudes vis-à-vis du régulateur de santé et de pots-de-vin aux médecins. Les pénalités pourraient – à l’américaine – atteindre 8,3 Md$, sans compter les poursuites au niveau de l’actionnaire, la famille Sackler.
Selon le New-York Times, des documents publiés la semaine dernière par un tribunal fédéral à New York montrent le rôle tenu par son conseil, McKinsey, qui suit Purdue depuis 2008 : ils comprennent des courriels et des powerpoints à la famille Sackler, dans le cadre d’un plan pour « turbocharger » les ventes d’OxyContin à un moment (2017 et avant) où l’on connaissait parfaitement les effets de l’abus d’opiacés sur la santé des Américains.
Pour citer l’article :
« Dans une présentation de 2017, […]McKinsey exposait plusieurs options pour soutenir les ventes. L’une d’elles consistait à accorder aux distributeurs de Purdue une remise pour chaque surdose d’OxyContin imputable aux pilules qu’ils vendaient. La présentation […]prévoyait par exemple qu’en 2019, 2 484 clients de CVS [un répartiteur assureur] auraient une overdose ou développeraient un trouble de l’utilisation des opiacés. Un rabais de 14 810 $ par « événement » signifiait que Purdue paierait 36,8 M$ à CVS cette année-là. »
En clair, on ne dédommage pas les victimes d’overdose, on fait un rabais au distributeur pour qu’il ne fronce pas les sourcils à distribuer un produit dangereux. Bon marketing.
Suite à de premières menaces judiciaires contre Purdue, l’article poursuit :
« Martin Elling, un responsable de la pratique pharmaceutique nord-américaine de McKinsey, a écrit à un autre associé principal, Arnab Ghatak : « Il est probablement logique d’avoir une conversation rapide avec le comité des risques pour voir si nous devrions faire autre chose » que « d’éliminer tous nos documents et courriels ». Je ne soupçonne rien, mais à mesure que les choses se compliquent, quelqu’un pourrait se tourner vers nous. »
M. Ghatak, qui a également conseillé Purdue, a répondu : « Merci de nous avoir prévenus. Je le ferai. » »
On ne sait si les documents ont été détruits. Il faudra suivre l’affaire pour voir si un jour ou l’autre McKinsey est impliqué judiciairement. Moralement, c’est déjà fait.
Lire aussi : Les brèves de comptoir de septembre
Le lobbying d’Uber
Vox-Fi a traité dans un précédent billet du statut juridique des chauffeurs et livreurs des plateformes de distribution, dont Uber. Il y a eu récemment une bataille très vive en Californie sur cette question. Un tribunal avait précédemment tranché en faveur de l’application pure et simple du code du travail pour les chauffeurs d’Uber et de Lyft, ainsi que pour les multiples livreurs pigistes au service de ce genre de plateformes. Cela voulait dire notamment protections pour accidents du travail et d’assurance-santé, deux choses très importantes aux États-Unis.
Les deux sociétés, auxquelles se sont jointes DoorDash et Instacart, ont contrattaqué en poussant une solution alternative, soumise à référendum, la Proposition 22. En substance, celle-ci demandait s’il fallait donner leur statut salarial (sachant que le code du travail, y compris en France, n’interdit nullement les horaires flexibles ou à temps partiel pour les employés) ou conserver le statut intermédiaire de prestataires indépendants (contractors). Elles y ont investi un montant record de 200 M$ dans la campagne de promotion électorale. Les organisations de chauffeurs et coursiers étaient loin de pouvoir mettre cette somme en face.
Le « oui » a gagné largement, avec 58 % des votes, sauf dans la région de San Francisco, là où se passe l’essentiel de l’activité. Le « oui » voulait dire : oui pour garder le statut de contractor. Les sociétés s’engageaient à donner quelques avantages à ces personnels, notamment 120% du salaire minimum, mais uniquement en comptant les temps de course.
La journaliste Shira Ovide, toujours dans le New-York Times, fait cette comparaison :
« Imaginez-vous ouvrir une boîte de Cheerios ce matin et trouver un mot de General Mills [son producteur] : « La législation en cours de discussion sur le maïs génétiquement modifié rendrait votre petit déjeuner préféré indisponible ou inabordable ». »