Le Blog reporte un extrait du plaidoyer écrit par Katheline Schubert : « Pour la taxe carbone. La politique économique face à la menace climatique », aux éditions Rue d’Ulm. Il est disponible ici sur internet. Il est repris dans le livre récemment publié sous la direction de Philippe Askenazy et Daniel Cohen, « 5 crises, 11 nouvelles questions d’économique contemporaine », aux éditions Albin Michel.

 

Le réchauffement climatique est causé par l’activité économique, qui rejette dans l’atmosphère des gaz provoquant un effet de serre additionnel. Ce rejet est non intentionnel, il est un produit fatal de la combustion des énergies fossiles et d’autres activités, comme l’élevage, l’utilisation d’engrais azotés et la déforestation. Ce rejet est coûteux pour la société, mais il n’a donné lieu jusqu’à très récemment à aucun paiement compensatoire de la part des émetteurs : nous ne sommes conscients de sa nocivité que depuis peu, et, de toute façon, l’atmosphère n’appartenant à personne, qui aurait pu réclamer compensation ?

 

Si l’atmosphère n’appartient à personne, elle est le patrimoine de tous. Il s’agit d’un bien public global. Quand un tel bien public est menacé, sa sauvegarde est rendue extrêmement difficile car il n’existe pas d’institution supranationale capable d’imposer aux émetteurs une réduction de l’activité dommageable. À défaut d’une telle institution, les pays ont recours, depuis la conférence de Kyoto de 1997, à des négociations pour tenter de trouver un accord satisfaisant. Elles font avancer, quoique très lentement, l’idée qu’il faut agir et proposent des moyens d’action.

 

Ces moyens entrent dans deux grandes catégories, le réglementaire et l’incitatif. Imposer des restrictions réglementaires à l’activité économique, à travers des normes par exemple, assure bien que celle-ci émettra moins de gaz à effet de serre. Donner un prix aux émissions de gaz à effet de serre, à travers une taxe ou la mise en place d’un marché de permis d’émissions négociables, incite les émetteurs à réduire leurs émissions tant que le prix des émissions, c’est-à-dire la taxe ou le prix des permis, est plus élevé que l’avantage économique qu’elles leur procurent.

Taxe et marché supérieurs à la norme

On trouve dans l’ouvrage les arguments théoriques en faveur de l’un ou de l’autre de ces trois instruments, norme réglementaire, taxe ou marché de permis. L’instrument réglementaire a souvent la faveur des régulateurs, probablement parce que les coûts de la norme sont cachés alors que ceux de la taxe, et dans une moindre mesure le permis, ne le sont pas. On montre cependant que la norme est toujours moins efficace que la taxe et que le marché de permis.

 

L’argument principal vient du constat qu’il n’y aura pas de solution au changement climatique sans révolution énergétique permettant de substituer des énergies renouvelables aux énergies fossiles. C’est pourquoi taxe ou marché sont sans ambiguïté supérieurs à la norme, parce qu’ils fournissent l’un et l’autre une incitation à innover. La norme impose aux agents de ne pas faire, mais ne les incite pas (ou mal) à faire, c’est-à-dire à choisir des technologies non émettrices de carbone.

 

La taxe est supérieure au marché de permis

 

La théorie économique n’arrive pas à prouver de façon univoque quel est l’instrument le plus efficace entre taxe et marché au regard de l’incitation à innover. Ce qu’on sait, c’est que la taxe a plutôt un avantage sur le marché de permis quand le régulateur connaît mal le coût marginal de limitation des émissions, et un avantage clair quand il s’agit de contrôler une pollution diffuse.

 

Par ailleurs, une conséquence fâcheuse d’une régulation par un marché de permis est la volatilité potentielle du prix. La taxe fixe le prix du carbone, tandis que sur un marché de permis ce prix est endogène et peut donc être très volatil, en fonction de la conjoncture générale, de la météo, de l’architecture du système (report dans le temps des permis autorisé ou non par exemple), de la spéculation, mais aussi des anticipations des acteurs sur la pérennité du système. Un prix volatil envoie à l’économie un signal confus, alors que celle-ci a besoin de signaux clairs pour orienter le calcul économique et les choix d’investissement. La volatilité a un coût propre, important, que le recours à la taxe permet d’éviter.

 

Enfin, la taxe est plus transparente et se prête moins au marchandage politique qu’un marché de permis, dès lors qu’il est clairement annoncé que son taux sera unique et qu’il n’y aura pas d’exemptions. Avec la taxe, il n’est pas besoin de déterminer les allocations initiales de permis, processus particulièrement conflictuel dans un cadre international où les différents pays estiment ne pas avoir la même dose de responsabilité dans le changement climatique, et entièrement soumis aux lobbys dans le cadre national. La taxe n’impose pas non plus de savoir si les permis doivent être achetés, et selon quelle procédure d’enchères, ou bien donnés gratuitement. Ainsi, la taxe évite la majeure partie du débat sur la distribution.

 

Bien articuler les deux instruments

 

Bien que la taxe se révèle un meilleur instrument, l’Europe, avec le marché EU ETS, a préféré mettre en place un marché de permis, qui ne couvre pas d’ailleurs l’ensemble des émissions de carbone. Quatre raisons à cela, fort éloignées des arguments théoriques que nous venons d’évoquer :

  1. Dès l’origine, les discussions d’experts et les négociations internationales sur le changement climatique se sont organisées autour de cibles quantitatives, de plafonds de concentration de carbone dans l’atmosphère à ne pas dépasser, et non autour du prix du carbone. Les régulateurs voient donc beaucoup moins bien quel niveau de taxe permet de respecter ces engagements.
  2. Introduire une nouvelle taxe est quasiment inenvisageable aux Etats-Unis. Les Européens, d’abord favorables à la taxe, se sont ralliés au marché de permis afin d’augmenter les chances de voir les Etats-Unis ratifier le protocole de Kyoto. En vain d’ailleurs.
  3. Sur le plan domestique, l’acceptabilité d’un marché assorti d’une allocation gratuite des permis, avec lequel les émetteurs ne paient que les émissions au-delà de l’allocation, est bien meilleure que celle d’une taxe, que les émetteurs paient sur toutes les unités émises.
  4. Mettre en place une taxe au niveau communautaire nécessite l’unanimité, tandis qu’un marché de permis, nouveauté pour laquelle les traités européens n’avaient rien prévu, n’a nécessité que la majorité qualifiée.

Il faudra donc au mieux une coexistence des deux instruments. Nous pensons que la taxe doit être la référence, car il n’est pas possible dans la pratique de modifier le taux de taxe au gré de la fluctuation du prix des permis. Puisque le marché de permis est européen, une bonne articulation ne sera possible que si la taxe est harmonisée au niveau européen. Il ne faut pas sous-estimer les difficultés institutionnelles d’une telle harmonisation, qui, comme nous l’avons vu, nécessite l’unanimité au niveau européen et un vote des parlements nationaux.

 

Dans cette articulation, il convient de réajuster l’allocation de permis si le prix de ceux-ci diffère de la taxe pendant une trop longue période, dans un sens plus sévère si le prix des permis est plus faible que la taxe, moins sévère dans le cas contraire. Il faut veiller à assurer l’unicité du prix du carbone.