Ceux qui pensent que l’économie mondiale est actuellement en situation de reprise sont, au mieux, des optimistes pathologiques. En effet, il y a dans le terme de reprise, à la fois une idée de force mais aussi de pérennité. Or ni l’une ni l’autre ne caractérisent le mouvement conjoncturel actuel pour une raison simple : l’économie mondiale va mieux car elle est sous dopant avec une injection de dépense publique dans un bras (dans de nombreux pays développés, les déficits publics ont dépassé, en 2009, 10% du PIB) et une injection monétaire dans l’autre (les taux d’intérêt à court terme sont à 0% ou pas loin un peu partout, ce qui rend facile la spéculation rentable et augmente mécaniquement les valeurs patrimoniales). En réalité, la seule question qui vaille est : « à combien serait la croissance avec des déficits publics en réduction et avec une remontée des taux d’intérêt réels ? » Chacun connaît la réponse : elle serait nulle voire négative. L’économie mondiale ne dispose pas, pour l’heure, de relais de croissance autonomes. La consommation est fragilisée par la hausse du chômage, l’investissement privé est bas en raison des surcapacités industrielles et le commerce mondiale ne remonte que lentement.

La où la situation se corse, c’est que ces perfusions vont pourtant devoir être retirées, ou c’est le traitement qui risque de tuer le malade. Car les déficits publics font peser le risque d’une augmentation des taux d’intérêt à long terme (déjà réelle dans certains endroits). Une politique monétaire trop longtemps expansionniste est susceptible de générer de nouvelles bulles sur les prix d’actifs ou de matières premières.

Ce risque n’existait pas au pire de la crise. Mais aujourd’hui, il serait coupable de l’éluder.

Résumons : si l’économie perd le soutien de la politique économique, elle replonge (avec un scénario de type années 1930 possible). Mais si la politique économique ne change pas et reste aussi expansionniste, elle risque de dégénérer en effets secondaires potentiellement meurtriers, en particulier l’élévation de taux d’intérêt à long terme au-dessus du taux de croissance des recettes fiscales ce qui, pure arithmétique, conduit tout droit, faute de mesures correctrices, à l’insolvabilité.

C’est pourquoi il faut maintenant faire redémarrer l’économie par l’offre. Troquer Keynes (qui fut bien utile pendant cette crise, l’auteur de ces lignes a d’ailleurs largement soutenu les plans de relance, mais par définition, le retour du keynésianisme ne pouvait être que provisoire) contre Schumpeter. A la différence des années 1930, les opportunités technologiques, sociologiques, démographiques, géographiques, ne manquent pas aujourd’hui, du numérique aux marchés émergents en passant par les cellules souches et la dématérialisation des produits culturels. Reste à savoir comment l’on s’y prend. Doit-on agir de façon purement macroéconomique, en essayant de dynamiser, par exemple, l’investissement ? C’est un peu la logique française du grand emprunt. Elle présente toutefois deux inconvénients majeurs : son coût et la difficulté de son ciblage. Ce dernier point est souvent passé sous silence alors qu’il est fondamental. En effet, la question « quels sont les secteurs d’avenir à soutenir ? » n’admet pas de réponse scientifique, d’une part parce qu’on ne connaît pas l’avenir, d’autre part parce qu’on voit des entreprises réussir ou échouer dans tous les secteurs. Cette « prétention constructiviste » risque de coûter très cher avec un résultat loin d’être acquis.

Voilà pourquoi, dans un contexte de tension sur les finances publiques et, dans le cas français, de déficit de compétitivité (la demande intérieure est depuis plusieurs années supérieure à notre production nationale), il semble préférable de miser sur des mesures plus microéconomiques, sans doute plus faciles à prendre à l’échelon local.

Dans un pays comme la France, l’esprit entrepreneurial constitue un excellent terreau. Beaucoup d’entreprises sont nées depuis les lois sur l’initiative économique de 2003, qui ne demandent sans doute qu’à grandir pour innover, recruter, exporter. Ce qui passe par trois éléments principaux. Premièrement, davantage de financements en fonds propres. C’est le rôle du capital investissement, si absent dans certaines régions. Les conseils régionaux doivent, à ce titre, mettre en place des stratégies d’attractivité vis-à-vis des fonds, de la même façon qu’ils conçoivent des welcome packages pour les entreprises étrangères (je reviendrai sur ce point dans un post ultérieur). Deuxièmement, une nouvelle atténuation des effets de seuil. La loi LME a œuvré dans ce sens, mais le passage de 49 à 50 salariés et celui de 199 à 200 demeurent problématiques. Troisièmement, une offre de formation digne de ce nom aux gérants de TPE. Le passage de la TPE à la PME suppose une ouverture du capital, une stratégie d’innovation adéquate, l’exportation ou l’implantation à l’étranger, la conception d’une véritable politique de RH : autant de thème qui peuvent effrayer l’entrepreneur. Là encore, les collectivités locales ont sans doute un rôle central à jouer en co-finançant des formations qui donneront l’envie de croître (via, par exemple, des formes de chèques-conseils) et dédramatiseront le développement des entreprises. Bien entendu ces mesures sont peu visibles par l’opinion publique. Ce n’est pas pour ça qu’elles ne présentent pas un bon ratio efficacité / coût.