« Avec le recul », disait l’ancien patron de Bear Stearns à une commission du gouvernement des États-Unis, « je dirais que le levier était trop élevé. » Tiens donc ! On ronchonne depuis longtemps que le système fiscal favorise le levier d’endettement, en ceci que les intérêts de la dette sont déductibles et que les dividendes ne le sont pas. Mais dans le cas des banques, cela prend une urgence très pressante.

 

D’une main, le système oblige maintenant les banques à accroître leurs fonds propres en proportion du capital total, tandis que de l’autre il leur donne des incitations à s’endetter. Comme preuve de perversité officielle, cela se compare au régime européen du tabac, par lequel de larges sommes sont dépensées pour dissuader les fumeurs pendant que des subventions vont aux planteurs de tabac. Au moins, ce dernier non-sens est-il en voie d’extinction. Avec les banques, il y a une certaine agitation en coulisses, comme me l’a confirmé un banquier international. Mais les obstacles restent immenses.

 

Ceci malgré le fait qu’il n’y a pas de désaccord de principe. Le traitement fiscal différent de la dette et des fonds propres avait sa logique à l’origine, mais plus maintenant. La loi dit traditionnellement qu’une entreprise et ses actionnaires sont si indissociables qu’une distribution de l’un à l’autre est une transaction interne. Les intérêts de la dette, par contraste, sont un paiement à des fournisseurs, et donc un coût pour l’entreprise. Mais avec le temps, la prolifération des instruments financiers hybrides dette / fonds propres a rendu cette position intenable. Il y a 40 ans, le Congrès américain a demandé des règles pour distinguer la dette des fonds propres. Il attend toujours.

 

En parallèle, la littérature économique a semble-t-il été presque unanime à soutenir que le traitement de dette et des fonds propres devraient être le même. Les difficultés ne seraient que pratiques.

 

Quelles sont-elles ? D’abord, si la nature du problème est claire, son importance ne l’est pas. La propension à emprunter est surtout une fonction de l’appétit, très cyclique, pour le risque. On ne peut jamais mesurer à un moment précis l’importance relative de cette « niche fiscale », sauf à dire qu’elle est plus faible pendant les booms de crédit et plus forte pendant les retournements. Sa valeur croît aussi avec le taux d’impôt, et les entreprises multinationales font varier leur levier local en proportion.

 

La seconde difficulté est que les banques sont déjà sous le coup d’un chamboulement réglementaire. Pourquoi ajouter au supplice en touchant au système fiscal ? Contre cet argument, il y a la remarque du responsable du London Stock Exchange qu’il faut réparer le système tant qu’il y a la volonté de le faire. Mais, d’autres personnes objectent que le changement va créer arbitrairement des gagnants et des perdants. En particulier, ceux qui portent un levier important vont être pénalisés au pire moment.

 

Il y a une réponse évidente. Plutôt que d’abolir l’abri fiscal sur la dette, laissons-le en place et rajoutons-en un pour les fonds propres. Par exemple en appliquant un taux sans risque sur l’encours de fonds propres de l’entreprise, et en le rendant chaque année déductible des profits imposables.

 

L’ennui vient bien sûr du taux d’IS plus élevé, ce qui n’est pas facile à vendre politiquement en ces temps de crise, même si la mesure est neutre en réalité. Et comme toujours, le principe aurait à être appliqué internationalement.

 

Mais un des gros avantages serait d’éliminer l’attractivité des titres financiers hybrides. Ils ont été conçus, on le rappelle, pour avoir le potentiel à la hausse des fonds propres, tout en étant taxés comme de la dette. Mettez l’un et l’autre sur un pied d’égalité, et la finance d’entreprise deviendra bien plus simple.

 

Surtout, comme l’indique le FMI, un tel système récompensera les banques ayant renforcé leur base de fonds propres tier 1. L’incohérence réglementaire qu’on mentionnait plus haut serait enfin traitée. Si on étend la mesure aux entreprises non financières, les conséquences en seraient immenses. Les fonds propres deviendraient moins cher relativement à la dette, et les marchés en tiendraient compte.

 

Mais le point essentiel serait systémique. Quand une entreprise emprunte, elle évalue le risque pour elle-même, mais pas pour les autres si elle devait tomber en faillite. Quand elle est complètement financée par fonds propres, le risque est confiné aux propriétaires. La dette n’est pas une mauvaise chose en soi. Mais, avec l’expérience toute récente, qui contesterait que mieux vaut moins de dette que plus de dette ?

 

Extrait traduit avec autorisation d’une chronique du Financial Times du 9 mai 2010 : Benefits of levelling debt-equity playing field.

 

 

Cet article a été publié une première fois sur Vox-Fi le 27 février 2014.