Contrairement aux normes françaises de consolidation, les normes comptables internationales en matière d’acquisitions ont beaucoup bougé avec IAS 22, IFRS 3 et IFRS 3 Révisée (IFRS 3 R). Les comptes consolidés ne sont plus ceux des actionnaires de la société mère, mais ceux d’une entité économique unique englobant les actionnaires majoritaires et minoritaires. Dans cette conception consacrant le concept de contrôle, les transactions entre propriétaires n’affectent que les capitaux propres. Seule la prise de contrôle, qui change l’entité économique, est le fait générateur de la constatation de plus-values en résultat (sans encaissement !) lors d’une acquisition par étapes, à raison de la réévaluation à la juste valeur des titres antérieurement détenus.

IFRS 3 R est une norme révolutionnaire à double titre. D’abord parce que c’est la première à avoir été produite conjointement par l’IASB et par le FASB (le normalisateur américain), d’où un usage étendu de la «fair value», source de volatilité des résultats ; ensuite parce qu’elle a des incidences contre-intuitives sur les états financiers, en accroissant la déconnexion entre les mouvements de cash et les variations de résultats comptables. En tout état de cause, il convient :

  • d’identifier l’acquéreur (plus de «fusion entre égaux» ni de «pooling of interests»), quel que soit le montage juridico-fiscal retenu ;
  • de prendre immédiatement en charge les coûts liés à l’acquisition ;
  • d’inventorier les éléments identifiables acquis, y compris les actifs et les passifs qui ne figurent pas au bilan de l’entreprise acquise (marques, contrats avantageux, relations clientèle, avantages du personnel, passifs éventuels, etc.) ;
  • de mesurer ces actifs et ces passifs à leur «juste valeur» à la date d’obtention du contrôle de la cible, même lorsqu’il est difficile d’observer des prix de référence ;
  • de constater le goodwill résiduel, non amortissable, mais soumis, au moins une fois par an, à un «impairment test».

S’agissant de ce goodwill, IFRS 3 R laisse à l’acquéreur le choix, lorsqu’il n’a pas acheté la totalité des titres de la cible, entre la méthode du goodwill partiel et celle du goodwill complet. Avec cette dernière méthode, on ne peut plus parler de PPA («Purchase Price Allocation»), puisque c’est la valeur supposée de la cible à 100 %, et non le prix payé pour la part donnant le contrôle, que l’on répartit entre les majoritaires et minoritaires. La constatation d’un goodwill complet renforce les capitaux propres dès la date d’acquisition et limite leur dégradation lors du rachat ultérieur d’intérêts minoritaires. Elle a par contre l’inconvénient, en cas de baisse de valeur postérieure, d’entraîner une plus forte dépréciation du goodwill venant grever les résultats.

De tels enjeux exigent une forte implication des dirigeants de l’acquéreur, pas toujours conscients de l’impact comptable futur de leur stratégie d’acquisition (par étapes ou pas, par prise de contrôle à 100 % ou par rachat ultérieur d’intérêts minoritaires) et des choix à opérer en matière d’identification et d’évaluation des actifs et passifs acquis :

  • quels sont précisément les actifs de la cible qu’ils souhaitent acquérir (et quelle appréciation de ces actifs par les «market participants» ?), et ceux qu’ils ne souhaitent pas conserver ?
  • quelle est leur vision des clauses de garantie de passif et d’ajustement de prix, à intégrer dans le calcul initial du goodwill (tout écart ultérieur passant en résultat) ?
  • quelles sont les UGT (unités génératrices de trésorerie) auxquelles il faut affecter le goodwill, pour être en ligne avec leur stratégie de développement ?

Pour éviter les surprises en matière de dilution du résultat comptable post-acquisition et mieux gérer la communication financière sur la performance du nouvel ensemble, les dirigeants ont tout intérêt à anticiper très en amont les impacts sur les états financiers des modalités de transactions envisagées et à optimiser leurs décisions, en ciblant davantage les «due diligences» pré-acquisition mais également à la date d’acquisition, en encadrant les clauses contractuelles et en faisant appel à des évaluateurs connaissant bien le secteur d’activité et les benchmarks du marché.

 

Cet article est paru dans OPTION FINANCE, le 22 JUIN 2015