Ce billet, traduit et légèrement édité, provient du site The Conversable Economist (recommandé à nos lecteurs).

 

Le concept de « monnaie numérique de banque centrale » (MNBC) est ouvert à toute sorte d’interprétations, souvent irréalistes. Pour certains, on voudrait que la FED (Réserve fédérale des États-Unis) entre en concurrence avec le bitcoin ou qu’elle crée des comptes pour les particuliers. Cela n’aura pas lieu. La FED fait un premier pas dans la définition des attentes, sans s’engager réellement dans des choix politiques. Ceci dans un document de travail intitulé « Money and Payments : The U.S. Dollar in the Age of Digital Transformation » (janvier 2022). Elle écrit :

Aux fins du présent document, une MNBC est définie comme un passif numérique d’une banque centrale qui est largement disponible pour le grand public. À cet égard, elle est analogue à une forme numérique de monnaie papier. Ce document a été conçu pour favoriser un dialogue public large et transparent sur les MNBC en général, ainsi que sur les avantages et les risques potentiels d’une MNBC américaine. Ce document n’a pas pour but de promouvoir un choix politique spécifique, ni de signaler que la Réserve fédérale prendra très vite une décision en ce sens.

Cette définition donne un aperçu des questions en jeu. Comment fonctionnerait exactement une « monnaie papier sous forme numérique » ? Le point essentiel est peut-être que lors d’un paiement par chèque, par carte de crédit ou par voie électronique, la transaction passe généralement d’une banque à une autre. Mais lorsque vous utilisez un billet, aucune banque ne garantit votre paiement. Ainsi, une MNBC ouvre l’idée d’un mécanisme de paiement qui se déroule en dehors du système bancaire, et où la valeur sous-jacente est garantie par la banque centrale, plutôt que par une banque.

En réfléchissant à ce sujet, j’ai trouvé utiles les méditations contenues dans un billet du blog de la FED de New York. Les auteurs soulignent que lorsqu’il s’agit de faciliter les paiements, il y a quatre objectifs :

Les coûts de paiement. Payer de l’argent coûte de l’argent. Les coûts des paiements ont généralement diminué au fil du temps, mais étonnamment, pas de beaucoup – les réseaux de cartes de crédit facturent encore couramment aux commerçants des frais de service de 3 %, et les revenus des cartes représentent plus de 1 % du PIB aux États-Unis et dans une grande partie de l’Amérique latine.

Inclusion financière. L’accès universel aux services de paiement est un objectif politique de longue date… L’inclusion est une préoccupation sociétale majeure tant dans les économies en développement que dans certaines économies développées comptant une importante population non bancarisée (les États-Unis et la zone euro, par exemple).

La privacité des consommateurs. Les paiements numériques, y compris les comptes bancaires, les cartes de paiement et les portefeuilles numériques, créent une trace de données. Les informations privées des consommateurs sont regroupées et distribuées pour être monétisées. Des recherches récentes suggèrent que le respect de la vie privée (la privacité) présente des aspects de bien public ; les individus peuvent partager trop de données, car ils ne supportent pas le coût pour eux de ne pas protéger leur vie privée lors du choix de leur instrument de paiement.

Promouvoir l’innovation. De nouvelles méthodes de paiement plus pratiques et plus sûres profitent non seulement aux consommateurs, mais peuvent également stimuler des opportunités commerciales innovantes. Les nouvelles technologies offrent également la possibilité d’automatiser certaines pratiques financières par le biais de « contrats intelligents », améliorant ainsi l’efficacité.

Le rapport de la FED traite aussi de ces problèmes. Elle l’écrit :

« La Réserve fédérale continuera à explorer un large éventail d’options de conception pour une MNBC. Bien qu’aucune décision n’ait été prise quant à la poursuite ou non d’une MNBC, l’analyse effectuée à ce jour suggère qu’une éventuelle MNBC américaine, si elle était créée, servirait au mieux les besoins du pays en protégeant la vie privée et en étant intermédiée, largement transférable et à identité vérifiée. »

Même dans un texte passe-partout comme celui-ci, on peut voir les problèmes bouillonner sous la surface. Une MNBC est censée à la fois « protéger la vie privée » et « vérifier l’identité ». Hmm.

Une MNBC sera probablement « intermédiée », ce qui signifie qu’elle fonctionnera par l’intermédiaire d’institutions financières extérieures, qui ne seront pas nécessairement des banques. Les personnes ou les entreprises pourraient disposer d’un « portefeuille numérique » auprès de ces sociétés pour détenir la monnaie numérique de leur banque centrale. Mais une fois que vous avez ajouté des institutions financières extérieures en plus, avec leurs propres coûts et marges, les coûts de paiement vont-ils réellement diminuer ? Et les personnes « non bancarisées » qui n’ont actuellement aucun lien avec le système financier seront-elles plus susceptibles de l’établir grâce aux « portefeuilles numériques » ?

En ce qui concerne l’innovation financière en matière de paiements, il me semble qu’il y a déjà beaucoup d’entreprises qui s’y essaient, et il n’est pas clair pour moi qu’une MNBC augmenterait l’innovation ou réduirait les coûts (et donc les prix) pour cette industrie.

À l’heure actuelle, les arguments en faveur d’une MNBC semblent reposer sur un grand nombre d’affirmations du type « pourrait potentiellement ». Mais les questions pratiques sont importantes. Si la FED décide de réglementer les réseaux de paiement basés sur les MNBC comme s’il s’agissait de banques, alors les avantages d’un tel système disparaissent largement. Si elle les réglemente différemment, alors quels risques s’accumuleront dans le système de paiement ? Par exemple, dans quelle mesure les préoccupations en matière de cybersécurité ou de résilience diffèrent-elles entre les deux systèmes ? Et si la valeur monétaire des portefeuilles numériques de la MNBC peut être rapidement transférée dans un sens ou dans l’autre, vers et hors des comptes bancaires ordinaires, comment ces risques peuvent-ils se propager dans l’ensemble du système financier ? Pour l’instant, j’aurais tendance à me concentrer sur d’autres méthodes de réduction des coûts de paiement, d’amélioration de la confidentialité et d’aide aux personnes non bancarisées, et à laisser l’idée d’une MNBC mijoter sur la cuisinière de la banque pendant un certain temps.

Pour ceux qui souhaitent obtenir plus de détails sur le sujet, Dirk Niepelt a édité un livre de 19 essais courts et lisibles sur le sujet, Central Bank Digital Currency : Considerations, Projects, Outlook (CEPR, novembre 2021). Certains de ces essais se concentrent sur des questions conceptuelles générales, d’autres fournissent quelques détails sur les expériences de MNBC que certaines banques centrales dans le monde mènent déjà.