Napoléon et l’excuse d’adultère
On ne va pas parler dans cette chronique de fin d’été du comportement extra-marital de Napoléon, ni de celui de Joséphine. Mais de l’apparition étonnante, à cette époque, sous l’influence directe de Napoléon, d’une notion pénale que les juristes appellent l’excuse d’adultère par laquelle le mari surprenant sa femme avec son amant aurait une peine réduite si jamais il tuait l’un ou l’autre. Hélène Duffuler-Vialle, dans le numéro 227 de la revue Raison présente, en fait une analyse fouillée et passionnante. Le numéro entier de la revue est consacré aux violences patriarchales.
La Révolution française, dans son code de 1791, avait décriminalisé l’adultère. La période napoléonienne, on le sait, a donné lieu à une première « restauration » (témoin la décriminalisation de l’esclavage, sous l’influence de Joséphine parait-il, elle qui était héritière créole de la plantation familiale aux Antilles). Dès 1801, un projet de code criminel repénalise l’adultère, mais orienté par le genre : on punit de prison l’adultère de la femme, mais celui du mari ne vaut qu’amende et encore seulement si le mari a le toupet d’installer sa concubine au sein du foyer.
Les consultations se poursuivent et on en arrive à 1808 où un projet de Code pénal est présenté au Conseil d’État. Napoléon est présent, signe de l’importance qu’il donnait à « son » Code. La discussion porte sur l’article 253 où il est question de la pénalisation de l’amant de l’épouse adultère.
— Doit-on vraiment prévoir cette punition ? demande Napoléon.
— Oui, lui répond-on. Ne serait-ce que par équité entre l’homme et la femme, également coupables.
— D’accord, dit Napoléon, mais je veux que le mari trompé soit « excusé » s’il tue l’un des deux coupables.
D’où, lors d’une séance du Conseil d’État de janvier 1809, la dépose d’un projet d’article indiquant : « le meurtre commis par l’époux sur son épouse, ainsi que sur son complice, à l’instant où il les surprend en flagrant délit, est excusable ». Voilà donc une juridiction qui introduit ce que le droit d’État rejetait absolument depuis des lustres et qui faisait revenir au jus necandi du droit romain, à savoir le droit à une personne privée de donner la mort.
On imagine les discussions entre les doctes juristes pour s’accommoder de l’injonction impériale. Une voie de compromis a consisté à distinguer le lieu où les amants étaient surpris : au domicile conjugal, et l’excuse était valable ; en dehors, et elle ne l’était plus. Napoléon a acquiescé, témoin, nous dit l’autrice de l’article, de sa vision très pater familias du père maître en son ménage. En effet, l’esprit du Code napoléon comprend la primauté juridique de l’homme comme couvrant un droit de correction du mari envers ses enfants et sa femme, pouvant aller jusqu’au jus necandi.
Quand un mois plus tard, le Corps législatif se saisit du projet de loi. La justification n’est plus trop celle de la primauté juridique, mais plutôt l’émotion et l’humiliation que le mari subit en raison notamment du risque de « faire entrer dans la famille légitime un enfant qui n’appartient point à celui que la loi regarde comme père » ; en clair qu’un « bâtard » porte le nom (et pire, pourrait-on dire, que le mari ne le sache pas). Mais de l’émotion de la femme dans la situation inverse, personne n’en parle. Non plus du risque symétrique que l’amant coupable puisse introduire un bâtard dans la famille de son amante. Au terme des débats, il est convenu que l’excuse est inscrite dans le droit, avec la double réserve que l’adultère soit commis au domicile (pour éviter, dirent les juristes, le cas du mari maladivement jaloux) et concomitamment sur le coup de la colère, et non pour éponger une froide vengeance. On s’accorde alors sur un texte, à savoir l’article 324 alinéa 2 du Code pénal disposant : « Néanmoins, dans le cas d’adultère, prévu par l’article 336, le meurtre commis par l’époux sur son épouse, ainsi que sur le complice, à l’instant où il les surprend en flagrant délit dans la maison conjugale, est excusable », et donc valant une réduction plus ou moins forte de peine.
Le lecteur croit ici l’affaire terminée. Que non ! Il y eut une riche jurisprudence et glose juridique jusqu’à 1930 où l’excuse a été abolie. Relevons quelques-unes de ces arguties :
Le meurtre est-il excusable s’il est double, c’est-à-dire des deux amants à la fois, ou d’un des deux seulement ?
Qu’appelle-t-on la « maison conjugale », que le code civil définissait comme englobant le domicile principal, mais également la résidence secondaire, la maison de campagne, le domicile temporaire, le pavillon au fond du jardin et même la chambre d’hôtel ?
L’instantanéité donne aussi lieu à chipotages. Peut-on par exemple laisser au mari trompé le temps d’aller chercher un couteau ou son fusil, plutôt que se battre « comme un homme » à poings nus ? Comment déjouer les stratégies crapuleuses par lesquelles le mari organise l’acte sexuel de sa femme pour s’en débarrasser à peu de frais ? L’excuse joue-t-elle si le mari entretient déjà sa maîtresse au domicile du couple ? De longs textes — bien argumentés comme savent le faire les juristes du Conseil d’État — vont dans un sens ou dans l’autre pour aider, et peut-être pour confusionner les braves juges devant rendre leur verdict.
Notons pour finir cette curiosité que relève l’autrice : les relations « saphiques » ne sont pas couvertes par l’excuse, car il faut que l’amant soit un homme. Cela intrigue. Le lesbianisme était-il tout simplement dénié dans sa réalité ou bien était-il jugé, puisqu’infécond, moins dangereux pour l’ordre social ?