Face au désarroi du plus grand nombre, le gouvernement a promulgué un décret encadrant les rémunérations des chefs d’entreprises assistées par l’État. Le point n’est pas ici de discuter du bien-fondé politique, technique ou moral, de cette décision. Les commentaires vont bon train et certains ont même rappelé une réflexion très judicieuse d’André Comte-Sponville, selon qui le capitalisme est par construction amoral !

Néanmoins, il ne faudrait ni tout mélanger, ni jeter le bébé avec l’eau du bain. Les stock-options présentent un intérêt économique.

En effet, dans le cas, certes évident, mais passé sous silence, d’une start-up, il est moins difficile de s’entourer de collaborateurs de valeur en leur allouant des stock-options qu’en salaire payé cash… que l’entreprise n’a pas en caisse. François Hollande l’a bien mentionné avant-hier.

Concernant les grandes entreprises, la situation est plus complexe. Il peut être inconvenant de prévoir l’allocation de stock-options à des dirigeants d’entreprise ayant présenté des pertes importantes et dont la survie a pu ou peut dépendre d’apports d’argent public. Apports au demeurant sous forme de titres hybrides et sans droit de vote, et ne permettant donc pas juridiquement à la puissance publique d’imposer sine die un changement de rémunération d’un dirigeant fixée par le comité de rémunération, émanation d’un conseil d’administration élu par l’assemblée générale des actionnaires !

Dans certaines circonstances comme celles que nous connaissons, on peut avoir juridiquement tort parce qu’on est politiquement ou « moralement » minoritaire.

Toutefois, arrêtons-nous un bref instant sur la microéconomie pure.

Avec un CAC 40 qui a perdu 55 % environ de sa valeur depuis janvier 2007, c’est-à-dire au niveau de janvier 2003, l’on peut raisonnablement penser que les plans de stock-options alloués depuis 3 ou 4 ans ne sont plus exerçables, cela fait partie de la règle du jeu et c’est très bien ainsi. Mais concernant cette année ? Trois situations peuvent grossièrement être distinguées :
– Un chef d’entreprise qui envisagerait de procéder à un rachat d’actions car il n’aurait aucune idée d’investissement stratégique ferait progresser, toutes choses égales par ailleurs, la valeur de l’action. Et partant la valeur de ses stock-options ! Il pourrait s’agir alors d’une forme d’enrichissement sans cause… qui devrait être sanctionnée par le refus de la résolution ad hoc par les actionnaires. Certes, les théorèmes de Modigliani-Miller soutiennent que ces opérations sont globalement neutres pour le cours de l’action, mais enfin !
– Un chef d’entreprise qui connait, par construction de l’intérieur, les capacités de rebond de sa société, surtout sur une période de 3-5ans, ne devrait décemment pas se voir allouer des stock-options à un niveau « correspondant à la moyenne des 24 dernières cotations enregistrées sur le marché ». Surtout lorsqu’il affirme publiquement que le marché ne reflète pas la réalité de son entreprise !
– Un comité de rémunération responsable peut inciter un responsable à surperformer l’indice, à se désendetter, à améliorer sa marge nette, à prendre en compte les paramètres sociaux… en lui attribuant des stock-options à un niveau sensiblement supérieur au consensus de marché, par exemple. Dans ce cas, où est le mal, pour autant que le volume d’options et la plus-value potentielle souhaitée (ex. : la valeur financière du « package ») restent à des niveaux raisonnables (inférieurs au ratio du salarié le plus rémunéré au moins rémunéré de 137 relevés récemment) ? A cet égard, rappelons qu’une stock-option est… une option et se valorise comme telle, selon les méthodes mathématiques classiques. Un point enfin, technique, mais important, une option dont le prix d’exercice est loin du cours du jour voit baisser sa valeur temps plus rapidement que les options dites « à l’argent ». Dit plus simplement, le temps joue contre le détenteur d’option… et l’incite donc à tout faire pour que le cours de l’action se rapproche du prix d’exercice de ses options.

Mais alors, il s’agit rien de moins que de trouver un juste milieu compatible avec un développement durable de l’entreprise, c’est-à-dire ne générant pas des frustrations susceptibles de légitimer des grèves voire des mouvements sociaux plus durs. Et le fait que l’entreprise soit assistée par l’argent du contribuable ne change rien au raisonnement.

Une société, temporairement soutenue, a le devoir encore plus impérieux d’obtenir des résultats susceptibles de permettre à l’Etat de dégager des plus-values à terme… et des plus-values pour ses dirigeants. Ainsi, on le sent bien, ce décret, probablement nécessaire (cf. supra) ne répond pas du tout à la question posée.

Le sujet de la rémunération « des patrons » est un sujet trop important, trop complexe et public qui mérite plus qu’un décret.

Dominique Chesneau