Avec la fin de l’année 2016, les normes International Financial Reporting Standards (IFRS) vont (enfin, diront certains…) atteindre une phase de stabilisation et les entreprises qui les appliquent vont pouvoir se consacrer à la mise en œuvre des importantes normes publiées par l’International Accounting Standards Board (IASB ou, en français, le Bureau international des normes comptables) en 2014-2015 qui entreront prochainement en application. Elles seront brièvement évoquées ci-après. L’IASB a procédé à la fin de 2015 à une consultation publique pour fixer l’agenda de ses futurs travaux. Aucun grand chantier normatif nouveau ne sera ouvert au cours des quatre prochaines années, et le normalisateur se consacrera principalement à deux thèmes : (1) améliorer la communication financière en faisant en sorte, d’une part, que le compte de résultat permette une meilleure lecture de la performance de l’entreprise et, d’autre part, que les notes annexes aux états financiers soient un outil de bonne explication des points importants plutôt qu’un exercice de compliance fournissant aveuglément une liste interminable d’informations peu utiles au lecteur des comptes ou présentées sans relation entre elles ; (2) une attention particulière sera portée à la bonne application des normes, afin d’atteindre une véritable comparabilité entre les entreprises.

Nous évoquerons dans une seconde partie les progrès réalisés vers la mondialisation du référentiel IFRS, passant en revue l’état de l’adoption des normes dans les grandes économies.

Bien d’autres sujets pourraient être évoqués, notamment les questions liées à la gouvernance de la Fondation IFRS, mais la place manque dans ce chapitre : je me contenterai de signaler que les trustees (administrateurs) viennent de conclure la revue quinquennale de la constitution, des procédures et de la composition statutaire des principaux organes de la Fondation, et sont sur le point de publier leurs conclusions définitives (probablement à l’issue de leur réunion de janvier 2017 à Paris). Mon second mandat au Board s’étant achevé le 31 octobre 2016, la question de la présence française au sein du normalisateur se posait. Heureusement, après un processus de sélection rigoureux, la nomination de Mme Françoise Flores permettra une continuité dans la relation directe entre la communauté française des affaires et l’organisation londonienne.

 

Principales normes IFRS

Les grands chantiers normatifs qui ont focalisé l’attention du normalisateur au cours des cinq années écoulées ainsi que les efforts des nombreux organismes et entreprises qui ont participé aux consultations ont abouti à la publication de nouvelles normes de grande importance qui auront vraisemblablement des effets significatifs sur la présentation des comptes.

 

Norme IFRS 9 relative aux instruments financiers

Publiée à l’été 2014, elle entrera en vigueur le 1er janvier 2018. Elle a reçu l’approbation des autorités bruxelloises (règlement CE 2016/2067 du 22 novembre 2016). Cette norme remplace l’assez ancienne IAS 39 et toutes les interprétations qui y étaient rattachées. Même si ce sont les établissements financiers qui sont les plus concernés par les nouvelles dispositions, toutes les entreprises sont susceptibles de devoir appliquer la norme, dès lors qu’elles ont des placements financiers ou qu’elles accordent des crédits à leurs clients.

En effet, de nouvelles règles de classement des instruments financiers devront être suivies, et les quatre catégories bien connues sont remplacées par trois nouvelles catégories comptables, chacune étant dotée d’une méthode d’évaluation propre : coût historique amorti pour le classement des instruments détenus jusqu’à l’échéance, juste valeur au bilan avec traitement au coût historique amorti dans le compte de résultat et réconciliation dans l’OCI (other comprehensive income, ou, en français, autres éléments du résultat global) pour les instruments détenus dans une optique longue (mais avec possibilité de cession avant l’échéance en cas de besoin de liquidité), juste valeur au bilan et au compte de résultat pour les instruments qui n’entrent pas dans les modèles de gestion des deux premiers cas. Ces trois classements ne sont valables que pour les instruments de taux, les actions et titres assimilés (organismes de placement collectif en valeurs mobilières [OPCVM] par exemple) étant obligatoirement évalués en valeur de marché. Il existe toutefois un traitement optionnel pour les actions, l’écart d’évaluation en valeur de marché ayant pour contrepartie un mouvement dans le tableau « autre résultat d’ensemble (OCI) ». La volatilité éventuelle des prix de marché n’affecte ainsi que la situation nette comptable. Mais si cette option est choisie, la plus ou moins-value accumulée n’est pas reclassée au compte de résultat lors d’une cession de titres. Il est à noter également que l’inscription dans la catégorie « juste valeur par résultat » est obligatoire pour tous les instruments dérivés (comme c’était le cas avec IAS 39) et pour tous les instruments de taux (prêts, créances et obligations) dont les flux contractuels de trésorerie ne répondent pas au critère « rémunération représentant uniquement la valeur-temps de l’argent, le risque de crédit du débiteur, et la marge du prêteur ». Ainsi, une obligation en portefeuille comportant une option de conversion ou une dénomination en devise étrangère ne sera pas admise à une comptabilisation au coût amorti.

Deuxième aspect novateur de la norme, le provisionnement des risques de crédit devra dorénavant suivre un modèle prospectif prenant en considération toutes les données macro et micro-économiques susceptibles d’informer sur la détérioration du risque de crédit du débiteur concerné. Il n’est donc plus permis d’attendre la matérialisation du risque par des impayés ou l’apparition de difficultés financières patentes de l’emprunteur. Ces dispositions s’appliquent au premier chef aux portefeuilles bancaires. Mais les entreprises doivent être attentives au fait que leurs portefeuilles de placement obligataires entrent dans le champ de ce modèle de provisionnement, ainsi que leurs créances clients comportant une composante d’intérêts financiers (par exemple, en cas de règlement différé au-delà des conditions habituelles de la profession).

Troisième élément important de la norme, les dispositions relatives à la comptabilité de couverture ont été améliorées. Les entreprises qui ont recours à des instruments dérivés pour se prémunir contre des risques de taux, de change, de prix des matières ou de crédit, auront le choix entre continuer à appliquer les dispositions assez restrictives d’IAS 39, ou mettre en oeuvre les nouvelles dispositions proposées. Leur principal avantage est que la comptabilité reflétera plus fidèlement les stratégies de couverture suivies, sans qu’une disqualification n’intervienne systématiquement lorsque la couverture n’est pas totalement efficace. À condition de documenter correctement la stratégie de couverture suivie, et de démontrer une corrélation suffisante entre la variation de valeur de l’instrument utilisé et celle des éléments que l’on souhaite couvrir, la transaction peut être qualifiée de couverture et traitée comptablement comme telle, la partie inefficace de la couverture étant toutefois inscrite au compte de résultat.

 

Norme IFRS 15 sur les contrats commerciaux

Cette norme qui remplace IAS 11 et IAS 18 a été publiée par l’IASB en mai 2014, conjointement avec le Financial Accounting Standards Board (FASB) américain. Adoptée par l’Union européenne le 22 septembre 2016, elle entrera en vigueur comme prévu le 1er janvier 2018. La grande majorité des entreprises, hormis les banques pour les activités de financement et les compagnies d’assurances, sont concernées, puisqu’il s’agit de la comptabilisation des contrats conclus avec des clients pour leurs activités ordinaires, en bref le chiffre d’affaires. Sans pouvoir entrer ici dans le détail de la norme, quatre points importants sont à retenir :

  • Les informations à fournir dans l’annexe par chaque entreprise seront enrichies : explication des types de contrats conclus, de leurs modalités d’exécution dans le temps, des obligations contractuelles restant à exécuter à la clôture de l’exercice et des soldes comptables correspondant, ventilation du chiffre d’affaires par grandes catégories de biens ou services, par marchés géographiques et par canaux de distribution…
  • Le timing de la comptabilisation des revenus entre les différents exercices comptables pourra être modifié par rapport à celui qui résultait de l’application d’IAS 11 pour les contrats de construction, mais aussi par rapport à celui d’IAS 18 pour des contrats de vente de biens ou services qui comportent plusieurs obligations contractuelles distinctes ou qui couvrent plus d’une période comptable. La comptabilisation de tout ou partie du prix de la transaction pourra être accélérée ou différée. Sur le plan de la gestion de l’entreprise, une réflexion sur les processus de vente et de contractualisation pourra être rendue nécessaire, en fonction des objectifs en matière de présentation d’un profil de revenus plus ou moins stable dans le temps.
  • Dans bien des cas, les systèmes d’information devront être adaptés à la collecte de nouvelles informations commerciales qui seront nécessaires aux traitements comptables.
  • Il ne convient pas de négliger non plus l’importante question de la transition, dès le 1er janvier 2017, entre les règles comptables actuelles et le nouveau dispositif : des choix de priorités sont à effectuer sans plus tarder, qu’il s’agisse de garantir la comparabilité dans le temps du chiffre d’affaires ou a contrario de réduire la complexité du retraitement des contrats en cours au 1er janvier 2018 ou achevés au cours des exercices 2016 et 2017, mais au prix d’une rupture dans la séquence des chiffres présentés.

 

Norme IFRS 16 sur les contrats de location

Publiée par l’IASB en janvier 2016, c’est également une norme élaborée en coopération avec le FASB américain qui a adopté un texte identique à quelques détails près. À la demande de la Commission européenne, l’European Financial Reporting Advisory Group (EFRAG) a entamé son processus d’expertise et devrait rendre son avis sur l’endossement du texte au cours du premier semestre 2017. Les États membres seront ensuite appelés à se prononcer, puis le Parlement européen, avant la publication d’un règlement communautaire. Si tout se passe normalement, le règlement devrait être publié bien avant la date d’entrée en vigueur de la norme fixée le 1er janvier 2019.

Remplaçant IAS 17, la nouvelle norme abolit la distinction entre locations opérationnelles et locations financières. Tous les contrats de location existants au 1er janvier 2019 et ceux souscrits à partir de cette date devront être inscrits au bilan du locataire. Au passif, une dette actualisée de loyer correspondant au montant résiduel des loyers à payer sur la durée du bail, et à l’actif un montant, initialement égal au passif, qui sera intitulé « droit d’utilisation du bien » (right of use). Après cette comptabilisation initiale, le montant inscrit à l’actif sera amorti sur la durée contractuelle (ou sur la durée de vie utile si elle est plus courte) ; le montant de la dette disparaîtra au fur et à mesure des paiements de loyers et une charge financière sera calculée pour compenser l’effet de l’actualisation initiale.

Pour calculer le montant de la dette à inscrire au bilan, seuls les loyers fixes ainsi que les éventuelles indemnités de fin de contrat et garanties de valeur résiduelle sont à prendre en considération. Il faut ensuite tenir compte de la valeur-temps de l’argent et actualiser la dette en utilisant le taux d’intérêt explicite du contrat ou un taux implicite si celui-ci est déterminable ; à défaut, on retiendra le taux d’intérêt qui serait appliqué à l’entreprise pour un emprunt de même durée comportant les mêmes garanties pour le prêteur.

La mise en œuvre de la norme aura quatre types de conséquences :

  • La nécessité de collecter de nouvelles informations, fréquemment non disponibles de façon centralisée, relatives aux conditions des baux souscrits et à certaines hypothèses économiques nécessaires pour déterminer la durée la plus probable de la location.
  • La nécessité de procéder à une analyse approfondie de chaque contrat de service ou de location de montant significatif afin, premièrement, de s’assurer qu’il s’agit ou non d’un contrat de location au sens de la norme, en second lieu d’exercer tous les jugements et estimations nécessaires à sa comptabilisation (taux d’intérêt de la charge financière associée, durée du contrat en présence d’options, montant des valeurs résiduelles et garanties, montant des loyers fixes et variables à prendre en compte, etc.).
  • Des modifications de certains ratios de gestion financière apparaîtront : typiquement, le ratio d’endettement sera détérioré ainsi que le ratio de retour sur le total des actifs ; le remplacement d’une charge opérationnelle de location par une charge d’amortissement et une charge de financement améliorera mécaniquement le Earnings Before Interest, Taxes, Depreciation, and Amortization (EBITDA, ou, en français, bénéfice avant intérêts, impôts, dépréciation et amortissement) et le résultat opérationnel, mais accroîtra la charge de financement ; le résultat net sera peu affecté, sauf en cas de croissance rapide d’un portefeuille de contrats de location pour lesquels la charge de financement calculée serait significative.
  • Au vu de l’impact prévu sur les ratios de gestion et du rapport coûts/avantages entre location et acquisition en pleine propriété, certaines entreprises seront tentées de reconsidérer la politique de financement de leurs actifs d’exploitation.

 

Ce texte est un extrait du livre « L’essentiel de l’actualité pour décider en 2017 – Décryptages à l’usage des dirigeants finance-gestion ». (Editions Eyrolles)

Ce texte a également été publié dans le numéro 353 (octobre 2017) de la revue finance&gestion.