Progrès accomplis en matière de mondialisation du référentiel IFRS

En 2005, le mouvement d’adoption avait été initié par l’Union européenne et ses voisins de l’Espace économique européen, ainsi que la Suisse, la Turquie, la République sud-africaine, la Nouvelle-Zélande et l’Australie.

Aujourd’hui, 138 juridictions de par le monde reconnaissent les IFRS pour la préparation des comptes consolidés, soit à titre obligatoire (125), soit à titre optionnel (13). Celles qui les rendent obligatoires représentent environ 50 % du PNB mondial. Il est intéressant de noter que l’Europe (42 juridictions dont 31 appartenant à l’Union européenne), bien qu’elle constitue toujours le bloc d’utilisateurs le plus important, ne représente dorénavant que moins de la moitié du PNB cumulé des juridictions ayant rendu obligatoires les IFRS pour les comptes de leurs entités d’intérêt public (sociétés cotées, établissements financiers et compagnies d’assurances). Les IFRS sont clairement devenues un référentiel international plutôt qu’européen.

Certains pays abandonnent leurs normes nationales au bénéfice des IFRS pour les seuls comptes consolidés. D’autres pays étendent l’application des IFRS à toutes les entités commerciales. L’adoption est le plus souvent directe et complète, mais elle peut aussi se faire par étapes successives (par exemple en Russie et en Arabie Saoudite, seules les banques étaient initialement assujetties, avant les lois récentes qui l’étendent aux sociétés faisant appel public à l’épargne (APE). L’adoption peut enfin se faire par la voie plus compliquée de la transposition progressive dans les normes nationales (processus dit de convergence). L’Indonésie est un exemple de ce type de processus.

En partie en réaction politique à la crise financière de 2008, le mouvement d’adoption des IFRS s’est fortement accéléré depuis 2010 : toute l’Amérique latine est passée aux IFRS, de même que le Canada, Israël, la Russie, la Corée du Sud, Hong Kong, l’Angola, le Pakistan, les Philippines, Singapour, Taiwan, les Émirats arabes unis, ainsi que de nombreuses économies de moindre importance.

La Chine s’est inspirée très largement des IFRS pour réformer ses propres normes comptables ; par ailleurs les sociétés chinoises cotées à Hong Kong sont très nombreuses à utiliser les IFRS. Le Japon et l’Inde ont mis en place des référentiels comptables fondés sur les IFRS avec un nombre limité de différences. Depuis 2013, le Japon a également rendu optionnelle, sans conditions particulières, l’utilisation des IFRS par ses sociétés cotées et un nombre important, représentant 27 % de la capitalisation boursière totale à Tokyo, a fait ce choix au cours des trois dernières années.

Depuis 2007, les États-Unis acceptent directement les rapports financiers en IFRS pour les sociétés étrangères faisant appel à l’épargne sur le marché américain (FPI’s) et n’exigent plus un rapprochement des états financiers avec les normes américaines. De ce fait, environ 500 sociétés sont cotées à Wall Street et présentent leurs comptes uniquement en IFRS.

À ce jour, plus de la moitié des sociétés listées comme « Global 500 » par Fortune Magazine publient des comptes uniquement en IFRS. Près de 50 000 sociétés dans le monde sont cotées sur 90 Bourses et 28 200 d’entre elles (57 %) doivent présenter leurs comptes selon les normes IFRS en raison du choix de la juridiction compétente. De plus, 141 sociétés japonaises et 116 sociétés suisses ont opté pour une présentation en IFRS. De ce fait, les investisseurs américains actifs sur les marchés internationaux sont de plus en plus souvent confrontés à une information financière élaborée dans un langage autre que les normes US GAAP. Le passage à un référentiel comptable unique, qu’ils souhaitent vivement, permettrait une comparaison directe des informations financières qu’ils utilisent. Les États-Unis ont donc envisagé dès 2005 la possibilité d’adopter les IFRS pour leurs sociétés domestiques, mais, en dépit d’un engagement politique officiel conforme à la stratégie adoptée par les dirigeants du G20, ils reportent constamment leur décision, arguant de difficultés techniques et juridiques. Le statu quo perdurera sans doute au cours des prochaines années, et les investisseurs internationaux devront continuer à effectuer des analyses et comparaisons sur la base de deux référentiels comptables qui ont certes été rapprochés de façon importante grâce au travail de convergence mené de 2006 à 2014 par le FASB et l’IASB, mais qui comportent encore des différences non négligeables.

 

Normes IFRS et normes françaises

Au fil des dix dernières années, les normes comptables internationales se sont peu à peu imposées en France et ailleurs comme un domaine majeur de compétence professionnelle. En effet, pour environ un millier de grandes sociétés françaises et leurs très nombreuses filiales, les normes IFRS sont devenues le référentiel principal, celui au moyen duquel elles communiquent sur leurs résultats consolidés avec leurs actionnaires, leurs créanciers, leurs salariés…. Ce qui n’est pas sans poser quelques difficultés, le référentiel comptable français s’imposant toujours pour la publication des comptes individuels de chaque société domestique du groupe et servant largement de base à la détermination du résultat fiscal. Si l’on ajoute à cela l’existence d’un référentiel de consolidation spécifique en droit comptable national, comportant lui-même des méthodes « préférentielles » mais optionnelles, le directeur financier, ses équipes comptables, le comité d’audit et le commissaire aux comptes se trouvent confrontés à trois, voire quatre jeux de normes comptables dont la convergence n’est pas toujours garantie. Certes, le référentiel comptable IFRS influence assez largement l’évolution des règles européennes ainsi que l’évolution du droit comptable français. Mais il existe, et subsistera probablement pour de nombreuses années, des différences significatives sur certains grands principes. De plus, le rythme d’évolution des IFRS et celui des normes nationales ne sont pas parfaitement coordonnés. Il en résulte donc une complexité croissante pour les professionnels, et, au-delà, pour le public « consommateur » de l’information financière. Néanmoins, le « projet IFRS » lancé il y a quinze ans et entré en vigueur il y a un peu plus de dix ans, s’est imposé comme une réalité incontournable. L’examen rétrospectif auquel la Commission européenne a procédé à l’automne 2015 a confirmé que la décision actée dans le règlement CE 1606/2002 ne serait pas remise en cause. Le résultat des évaluations et consultations par la Commission montre clairement que les avantages retirés de l’adoption du dispositif excèdent largement le coût de mise en œuvre, et que les objectifs formulés en 2002 ne nécessitent pas d’être modifiés. Les IFRS sont donc bien là, ils resteront en vigueur, et plus personne n’envisage sérieusement un retour en arrière.

 

Comptabilité privée

La 4e directive de 1978 sur les comptes individuels et la 7e directive de 1981 sur les comptes consolidés ont vécu, après plus de trente ans de loyaux services. Elles ont été remplacées par une directive comptable unique relative, non plus aux comptes, mais aux états financiers et aux rapports y afférents. La directive définit dix principes généraux de l’information financière applicables aux états financiers, dont le principe de prudence qui n’est pas retenu par les normes IFRS. Il faut également noter l’introduction, au niveau des comptes individuels, du principe d’importance relative.

Une nouveauté notable concerne l’introduction du principe du respect de la substance. Ce principe, conforme à l’esprit du nouveau cadre conceptuel de l’IASB, conduit à comptabiliser en se référant à la substance de la transaction. L’application de ce principe de substance au contrat de crédit-bail conduirait à constater, au bilan du preneur, un actif et un endettement de même montant. Cette comptabilisation est proscrite en France dans les comptes individuels, qui servent de base à la détermination du résultat fiscal. Elle continuera à l’être. La directive prévoit en effet qu’un État membre pourra exempter les entreprises du respect des exigences liées à ce principe de substance.

Comme quoi une directive européenne peut dire une chose et son contraire, traduisant ainsi l’incapacité des États à se doter d’un langage commun. La directive comportant de nombreuses options, chaque État continuera à faire son marché. L’Europe comptable restera donc une tour de Babel. On comprend mieux ainsi comment le règlement européen du 19 juillet 2002 imposant aux sociétés cotées de l’UE la présentation de leurs comptes consolidés conformément au référentiel IFRS, après approbation par l’UE, était la seule voie possible pour une normalisation comptable européenne !

Pour autant, un certain nombre de dispositions comptables françaises, non conformes aux exigences de la directive, ont dû être modifiées. L’ordonnance de transposition 2015-900 et son décret 2015-903 énoncent en effet de nouvelles obligations comptables en vigueur pour les comptes des exercices ouverts à compter du 1er janvier 2016. La valeur actuelle d’un actif est toujours définie comme la plus élevée de la valeur vénale ou de la valeur d’usage, mais ces deux concepts sont dorénavant précisés. Selon le nouvel article 214-6 du Plan comptable général (PCG), la valeur vénale s’identifie au montant qui pourrait être obtenu de la vente d’un actif lors d’une transaction conclue à des conditions normales de marché, net des coûts de sortie. La valeur d’usage s’identifie à la valeur des avantages économiques attendus de son utilisation et de sa sortie, correspondant à l’estimation des flux nets de trésorerie actualisée attendus de l’actif.

L’Autorité des normes comptables (ANC) a précisé, dans la présentation du règlement 2015-06, les modalités de dépréciation des actifs. Elles permettent de se rapprocher, dans une certaine mesure, de certaines dispositions de la norme IAS 36 « dépréciation d’actifs ». La meilleure indication de la valeur vénale est, par ordre décroissant :

  • le prix figurant dans un accord de vente irrévocable dans un environnement de concurrence normale, après déduction des coûts de sortie ;
  • le prix résultant d’un marché actif, net des coûts de sortie ;
  • une estimation, à partir de transactions récentes, sur des actifs similaires dans le secteur d’activité.

Les projections de flux de trésorerie entrant dans le calcul de la valeur d’usage s’appuient sur des prévisions budgétaires établies par le management sur une période maximale de 5 ans sauf exception et sur la base d’hypothèses documentées, raisonnables et cohérentes d’utilisation de l’actif dans son état actuel. Au-delà de 5 ans, les flux de trésorerie font l’objet d’une extrapolation des données budgétaires avec utilisation d’un taux de croissance stable ou décroissant selon le contexte économique et sans pouvoir excéder la moyenne sectorielle. L’extrapolation est établie soit sur un horizon infini, soit sur une période limitée avec prise en compte d’une valeur terminale correspondant à la valeur nette de sortie de l’actif. L’actualisation des flux futurs de trésorerie est désormais mentionnée à l’article 214-6 modifié du PCG. Le taux d’actualisation doit refléter la valeur temps et les risques spécifiques à l’actif dans la perspective de son utilisation par l’entité.

Selon l’article 214-15 du PCG, un test de dépréciation doit être réalisé à chaque clôture en cas d’indice de perte de valeur. Celui-ci consiste à comparer la valeur nette comptable de l’actif à sa valeur actuelle. Par exception, un test annuel systématique est requis pour les fonds commerciaux à durée d’utilisation non limitée. Les groupes d’actifs sont désormais identifiés comme un niveau possible de mise en œuvre des tests de dépréciation en cohérence avec la notion d’unité génératrice de trésorerie (UGT) d’IAS 36, dès lors qu’ils génèrent des avantages économiques autonomes. Déterminés selon le mode de gestion et de suivi des activités, ils comprennent le cas échéant une allocation raisonnable et cohérente d’actifs de support. L’éventuel fonds commercial à tester est affecté de manière pertinente aux groupes d’actifs en fonction du niveau de suivi de ses performances.

Un travail considérable a ainsi été réalisé par le législateur et l’ANC dans le délai imparti, pour rendre la réglementation comptable française compatible avec la directive, même si certains choix manquent d’ambition (en particulier exemption dans les comptes sociaux du respect des exigences liées au principe de substance) ou font débat sur leur légalité au regard du droit de l’UE. La France a en particulier fait le choix de ne pas rendre systématiquement obligatoire l’amortissement du fonds commercial dans les comptes individuels, tout en prenant la précaution d’imposer aux entités qui n’amortissent pas cet actif d’effectuer chaque année un test de dépréciation. Les nouveaux textes accordent même, pour cette immobilisation, une présomption de durée d’utilisation non limitée. Ce qui revient à dire que les entreprises françaises peuvent présumer, certes de façon réfutable, que leur éventuel fonds commercial dans les comptes sociaux ne doit pas être amorti.

Dans son article 12, la directive indique que « les immobilisations incorporelles sont amorties sur leur durée d’utilisation. Dans des cas exceptionnels, lorsque la durée d’utilisation du fonds de commerce et les frais de développement ne peuvent être estimés de manière fiable, ces actifs sont amortis sur une période maximale fixée par l’État membre. Cette période maximale ne peut être inférieure à 5 ans et ne peut dépasser 10 ans ». La directive utilise le terme de « fonds de commerce », alors que le droit français parle de « fonds commercial ». Pour la directive, le fonds de commerce constitue, lorsqu’il est acquis à titre onéreux, une immobilisation incorporelle. En France, le fonds de commerce regroupe l’ensemble des éléments, tant corporels (immobilisations corporelles, droit au bail, stocks) qu’incorporels (clientèle, achalandage, enseigne, nom commercial, parts de marché), nécessaires à l’exercice d’une activité commerciale. Le fonds commercial correspond précisément aux éléments résiduels du fonds de commerce. La question se pose donc de savoir si le traitement comptable du fonds commercial prévu par les nouveaux textes français doit être identique à celui du fonds de commerce prévu par la directive.

Il semble bien que oui selon la majorité des professionnels consultés. Bernard Colasse, professeur émérite à l’université Paris-Dauphine, considère que la position française est « un peu tirée par les cheveux ». Le président de l’ANC lui-même a reconnu le 9 février 2016, lors d’une conférence IMA France, que « l’amortissement obligatoire des immobilisations incorporelles est une interprétation plutôt majoritaire de la directive comptable », alors même que l’ANC a décidé, via un règlement homologué par arrêté du 4 décembre 2015 signé conjointement par Emmanuel Macron, Michel Sapin et Christiane Taubira, de prendre une position hexagonale, susceptible d’être critiquée par nos partenaires.

Il est vrai que l’État actionnaire se ménage ainsi plusieurs milliards de dividendes qu’il tire de ses participations, notamment dans Orange (23,6 Md€ de fonds commercial dont la totalité provient de malis de fusion, dans ses comptes sociaux). C’est aussi un geste colossal (242 Md€ de fonds commerciaux dans les comptes individuels des entreprises françaises au 31 décembre 2013 selon les données de l’Insee) que l’État fait à ses entreprises en les épargnant d’une charge d’amortissement et en préservant ainsi, à court terme en tout cas, la profitabilité apparente de l’économie hexagonale. En ayant pris cet arbitrage, l’État évite enfin de courir le risque de subir une pression énorme de la part des entreprises susceptibles de demander la déduction fiscale de la charge d’amortissement de leurs fonds commerciaux. Voilà une position comptable non seulement qui ne coûte rien à l’État mais qui améliore aussi à la fois les finances publiques et privées !

 

Comptabilité publique

Il est rappelé que la comptabilité publique recouvre une grande diversité de normes et de systèmes comptables, propres au type de collectivités publiques concernées (État, collectivités territoriales, organismes de sécurité sociale, établissements publics nationaux et locaux). La mission de l’ANC étant limitée à la normalisation de la comptabilité privée, le normalisateur comptable pour le secteur public est le Conseil de normalisation des comptes publics (CNoCP), étant précisé que cette instance rend des avis aux ministres concernés pour les sujets traités. Cet organisme a donc un rôle consultatif et n’est pas doté d’un pouvoir réglementaire.

L’année 2016 a été marquée par :

  • la publication en février d’un rapport de la Cour des comptes sur la comptabilité générale de l’État. Ce rapport a fait l’objet d’un article de François Meunier (« Les difficiles avancées de la comptabilité publique ») publié dans Vox-Fi le 14 mars 2016 ;
  • la publication en octobre du cadre conceptuel des comptes publics par le CNoCP. Ce cadre s’attache à définir les spécificités de l’action publique, étant rappelé que, pour le reste, les entités publiques doivent respecter les règles comptables applicables aux entreprises.

Ce cadre conceptuel identifie un « pouvoir souverain » à l’origine des politiques publiques. Pouvoir par essence politique, il détermine les missions de service public et les responsabilités des entités publiques qui les mettent en œuvre. Ces entités publiques sont ainsi « gestionnaires » de compétences et de moyens que le pouvoir souverain leur a attribués. Elles sont, à ce titre, dotées des droits et obligations nécessaires à l’exercice de leur mission, dont elles rendent compte en publiant des états financiers. À l’inverse des entités publiques, le « pouvoir souverain » n’est pas une entité comptable et ne tient donc pas de comptabilité.

Comme les autres cadres conceptuels existant au niveau international, le cadre conceptuel des comptes publics précise la portée de la comptabilité générale, expose les principes guidant l’établissement des états financiers, définit les éléments (actif, passif, situation nette, charges, produits, résultat) et précise les principes de comptabilisation et d’évaluation. L’introduction du concept de souveraineté a donné lieu à deux articles critiques de Jean-Louis Mullenbach publiés par Vox-Fi le 1er octobre 2015 (« De l’influence du souverain sur la comptabilité publique ») et le 24 mars 2016 (« Quel statut comptable pour les engagements de retraite de l’État ? »).

Le CNoCP poursuit ses réflexions conceptuelles en engageant une seconde phase de travaux qui se concentrera sur les problématiques d’agrégations de comptes (combinaison, consolidation), ainsi que sur la question du format d’une information financière communiquée par les entités publiques. Cette information pourrait le cas échéant compléter celle donnée par les seuls comptes (mise en perspective des données comptables au regard des données produites par la comptabilité budgétaire et la comptabilité nationale notamment).

 

Ce texte est un extrait du livre « L’essentiel de l’actualité pour décider en 2017 – Décryptages à l’usage des dirigeants finance-gestion ». (Editions Eyrolles)

Ce texte a également été publié dans le numéro 355 (janvier 2018) de la revue finance&gestion. Il fait suite à la première partie publiée dans le numéro 353 de finance&gestion. (octobre 2017)