Nos dix meilleurs livres 2011, la suite
Le Blog a dévoilé, hier, son premier palmarès des meilleurs livres d’économie politique. Retrouvez ci-après la suite des fiches de lecture de ce classement.
Le Blog a dévoilé, hier, son premier palmarès des meilleurs livres d’économie politique. Retrouvez ci-après la suite des fiches de lecture de ce classement.
L’empire de la valeur : refonder l’économie
Cet ouvrage offre une synthèse des travaux d’André Orléan, l’un de ces économistes « atterrés » qui font parler d’eux, et directeur de recherche au CNRS. Son objectif n’est rien moins que « refonder l’économie » comme le proclame le sous-titre du livre. Malgré un langage parfois difficile et quelques longueurs, ce livre mérite d’être lu. Il permet de mieux comprendre la crise financière que nous traversons. Il formule une critique élaborée de l’efficience des marchés, paradigme clé de la finance contemporaine. Pour Orléan, les théories de la valeur proposées par les économistes classiques et néoclassiques sont fausses. La valeur ne dépend pas des qualités propres du bien, que ce soit le travail qu’il incorpore ou l’utilité qu’il présente. Elle résulte de l’échange lui-même. Mais en situation d’incertitude, c’est une rationalité mimétique qui s’impose. L’objectif de l’investisseur n’est pas d’apprécier la juste valeur d’une action, mais d’essayer de prévoir son évolution future qui dépend de la représentation collective des autres investisseurs. Le cours est avant tout une convention. C’est cela qui explique les bulles. Lorsque la convention disparaît, la bulle explose. En mettant au cœur de leur raisonnement la valeur substance (valeur travail ou valeur utilité), la science économique s’est éloignée des autres sciences sociales. Orléan considère qu’en redéfinissant la valeur comme une construction sociale, elle s’intègre à nouveau pleinement dans ces dernières avec une logique d’« unidisciplinarité ».
J-F.R
André Orléan – Seuil – 340 pages
Le réveil des démons : la crise de l’euro et comment nous en sortir
Après les interventions des États pour conjurer la crise financière de 2008, on croyait les démons des marchés assagis. Ils se sont réveillés à la faveur du trucage des statistiques grecques et de l’incapacité des dirigeants européens à trancher leurs différends, transformant une crise périphérique en crise existentielle. La tempête qui ébranle depuis la zone euro montre que les démons n’étaient qu’assoupis et qu’ils ont pris conscience de la montée de la dette publique et de la dette extérieure dans la moitié des pays de la zone. Cette crise de surendettement et de compétitivité, conjuguée à un manque de solidarité entre les États de la zone, est perçue par les marchés comme pouvant conduire à la disparition de la monnaie unique européenne.
Économiste, directeur du think tank européen Bruegel, professeur associé à l’université de Paris-Dauphine, Jean Pisani-Ferry propose, dans cet ouvrage, des clés pour comprendre ce qui se joue aujourd’hui autour de l’euro. La Grèce devra-t-elle quitter l’euro ? À quel prix et avec quelles conséquences pour le reste de la zone ? L’ensemble de l’édifice monétaire risque-t-il, progressivement ou brutalement, d’être emporté ? Comment l’éviter au niveau de chaque État et de l’Europe ? Les États impécunieux vont-ils perdre leur autonomie budgétaire ? Le modèle d’État-providence européen va-t-il devoir être remis en cause ?
Après avoir approfondi toutes ces questions avec une grande honnêteté intellectuelle, l’auteur montre que le scénario d’éclatement de l’euro conduirait à un chaos financier et à un désastre social. La réponse à la crise de l’euro se trouve dans une intégration économique de l’Europe plus poussée, un fédéralisme bancaire et financier et une union budgétaire avec la question suivante : un pays qui a rejeté le projet de constitution européenne est-il prêt à s’engager dans une intégration européenne plus ambitieuse ?
J-L.M.
Jean Pisani Ferry – Fayard – 228 pages
Pour une révolution fiscale : Un impôt sur le revenu pour le XXIe siècle
Selon sa sensibilité politique, le lecteur sera plus ou moins d’accords avec les auteurs – Camille Landais, Thomas Piketti et Emmanuel Saez – sur les solutions qu’ils proposent pour refonder la fiscalité française. Mais tant leur ouvrage Pour une révolution fiscale (Seuil 2011) que leur site Internet forment un outil remarquable pour appréhender les enjeux de l’imposition des revenus. Les données macroéconomiques exposées permettent de fixer les ordres de grandeur, de comparer les évolutions dans le temps, de comprendre la répartition des revenus entre ceux issus du travail et ceux issus du capital, la part de l’impôt qui va aux dépenses publiques et celle correspondant à des transferts de revenus. Surtout, les auteurs ont réussi la performance de caractériser statistiquement la population française d’une manière suffisamment fine en fonction des revenus pour apporter un éclairage qui a toujours manqué jusqu’à présent. L’outil démontre ainsi de manière précise la régressivité du système fiscal français (c’est-à-dire l’inverse d’une progressivité de l’impôt sur les revenus) à partir d’un certain niveau de revenus. L’outil permet aussi, et c’est son objectif affiché, de mesurer dans sa globalité l’impact de toute réforme de l’impôt sur le revenu.
T.B.
Camille Landais, Thomas Piketty et Emmanuel Saez – Seuil – 133 pages
Repenser l’État – Pour une nouvelle social-démocratie
Philippe Aghion, professeur à Harvard et très grand spécialiste des questions de croissance économique, et Alexandra Roulet – brillante jeune économiste de 25 ans – ont eu l’intelligence de sous titrer « Pour une social-démocratie de l’innovation » leur livre Repenser l’État. Ainsi placent-ils d’emblée leur sujet au cœur des débats qui devraient naître à l’occasion de la prochaine présidentielle (Aghion est dans l’équipe de campagne de François Hollande). Dans leur introduction, les auteurs formulent le constat suivant : « alors que la crise financière à remis radicalement en cause la toute puissance des marchés, les citoyens n’ont jamais eu aussi peu confiance en l’État… Pourquoi cette crise n’a-t-elle pas eu raison du profond scepticisme à l’égard de l’État ? L’objet de ce livre est d’expliquer pourquoi, plutôt que d’arbitrer entre « plus d’État » et « moins d’État », il faut penser l’État autrement. »
Construit autour de quatre chapitres « Investir dans les idées ; Domestiquer le risque : l’État assureur ; Réformer la fiscalité ; Approfondir la démocratie », Aghion et Roulet appuient, chacune de leurs propositions de tableaux comparatifs, citent leurs sources de réflexion et renvoient à des études sociologiques ou économiques précises. Ce qui donne à ce livre une vraie consistance pédagogique et se révèle comme une boîte à idée, principalement pour ceux qui souhaitent repenser non seulement l’État mais aussi… la social-démocratie ! Le débat est ouvert. Lisez et commentez.
P.C.
Philippe Aghion et Alexandra Roulet – Seuil – 119 pages
Rigueur ou relance ? – Le dilemme de Buridan, ou la politique économique face à la dette
Rigueur ou relance ? apporte une analyse clinique et rationnelle des questions d’endettement public, qu’on aimerait faire lire à tous les politiques confrontés aujourd’hui au tarissement des recettes fiscales et à l’explosion de la dette publique. Rédigé par une pléiade d’économistes de talent, le livre pose autant de questions qu’il apporte de solutions. L’exposé de synthèse rédigé par Vivien Levy-Garboua sur « l’équivalence ricardienne », entre la dette et de l’impôt « pour financer les dépenses annuelles en temps de guerre comme en temps de paix » est remarquable de clarté pour un sujet aussi technique. Il introduit la ligne directrice de l’ouvrage. Celle-ci se décline selon deux idées fortes :
Une très forte augmentation du niveau de dette des Etats était une mesure nécessaire pour sauvegarde le système financier ;
Et que pour éviter l’effet d’éviction de la dette publique (captation de l’épargne), maintenir l’investissement et conserver la confiance des investisseurs, il convient maintenant de réduire la dépense publique.
La référence plusieurs fois évoquée tant à la politique menée par Margaret Thatcher qu’à l’expérience du Japon des années 1990 est une incitation forte à préférer l’action déterminée plutôt qu’à étaler dans le temps la résolution des difficultés. Les déficits et les dettes publiques atteignent des niveaux inconnus en temps de paix. Avant d’entamer les coupes budgétaires, il ne reste plus qu’à choisir la bonne cible.
J-F.C.
Sous la direction de Jean-Louis Chambon, Nicolas Bouzou, Philippe Marini et Jacques-Henri David – Eyrolles – 216 pages
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Mention spéciale
Fault Lines: How Hidden Fractures Still Threaten the World Economy
L’ouvrage de Rag Rajan est de l’avis collectif du comité de rédaction le meilleur existant sur l’analyse de la crise financière ouverte en 2008. Il est urgent qu’il soit traduit en français. Ancien économiste en chef du FMI, Rajan identifie trois failles qui, comme dans la tectonique des plaques, risquent de fracturer le monde financier. Toutes sont liées à l’organisation sociale des pays industriels et émergents.
La première se situe aux États-Unis. Les politiques là-bas comme partout dans nos démocraties tentent de répondre aux pressions sociales des classes moyennes et populaires. Du coup, donner aux pauvres accès au crédit immobilier a été vu, par Clinton comme par les Républicains, comme un remède à la stagnation des revenus dans un contexte d’inégalité croissante. D’où, le maintien de taux bas par la FED, qui a généré des bulles et une distorsion dans l’appréciation des risques.
La seconde vient des déséquilibres commerciaux. La Chine et d’autres pays à sa suite imitent le modèle de croissance du Japon et de la Corée, fondé sur les exportations. Instruits par la crise monétaire de 1987, ils construisent des excédents de change colossaux. Ce sont eux qui financent l’économie américaine, alimentent des bulles et permettent aux Américains de vivre au-dessus de leurs moyens.
La troisième se situe au point de rencontre entre les systèmes financiers des pays industriels et ceux des pays en développement. Lorsque des banques des pays industriels prennent des risques dans les pays en développement en appliquant leurs propres critères, cela conduit souvent au désastre.
On y trouve une foule d’idées intéressantes, telle cette recommandation au FMI : il est vain d’attendre que les États abandonnent leurs prérogatives et lui confient un rôle d’arbitre semblable à celui de l’OMC. Rajan préconise donc que le FMI joue le rôle d’un lobbyiste mondial, prêchant la rigueur financière auprès des grands décideurs politiques.
F.M.
Rajan, Raghuram G – Princeton University Press
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