L’année 2011 a été particulièrement riche en événements économiques, politiques et financiers, suscitant le commentaire et l’analyse de multiples penseurs et acteurs de la vie publique. De nombreux ouvrages ont ainsi vu le jour sur les thèmes de la sortie de crise, de la régulation financière, etc. Aussi, le Blog du Directeur financier édite pour la première fois un palmarès des meilleurs livres d’économie politique parus en 2011, selon le jugement collectif du comité de rédaction. Dix livres ont été retenus plus une mention spéciale. Chaque ouvrage fait l’objet d’un court commentaire. Nous retenons l’ordre alphabétique des titres pour vous les présenter. Cinq dans le présent post. Les six derniers demain.

Notre sélection vous semble-t-elle judicieuse ? D’autres ouvrages vous semblent-ils dignes d’intérêt ? N’hésitez pas à nous le signaler en commentant cet article ci-dessous ou bien en nous proposant une fiche de lecture.

Voici la liste des livres retenus :

  • Changer le monde: Tout un programme ! (Jean-Marc Jancovici)
  • État moderne, État efficace : Evaluer les dépenses publiques pour sauvegarder le modèle français (Marc Ferracci et Etienne Wasmer)
  • La France sans ses usines (Patrick Artus et Marie-Paule Virard)
  • La Politique de la jeunesse (Nicolas Bouzou et Luc Ferry)
  • Le fabuleux destin d’une puissance intermédiaire (Jean-Hervé Lorenzi)
  • L’empire de la valeur : Refonder l’économie (André Orléan)
  • Le réveil des démons: La crise de l’euro et comment nous en sortir (Jean Pisani-Ferry)
  • Pour une révolution fiscale : Un impôt sur le revenu pour le XXIe siècle (Camille Landais, ThomasPiketty et Emmanuel Saez)
  • Repenser l’État – Pour une nouvelle social-démocratie de Philippe Aghion et Alexandra Roulet (Broché – 15 septembre 2011)
  • Rigueur ou relance ? : Le dilemme de Buridan, ou la politique économique face à la dette (Jean-Louis Chambon, Nicolas Bouzou, Philippe Marini et Jacques-Henri David)

Mention spéciale à : Fault Lines: How Hidden Fractures Still Threaten the World Economy (Raghuram G. Rajan)

 

Changer le monde

Changer le monde de Jean-Marc Jancovici (Calmann-Lévy 2011) est un ouvrage dont la lecture devrait être imposée à tout économiste. Son caractère partisan peut en rebuter certains, mais Jancovici pourrait être à l’économie ce que Pasteur a été à la médecine : sa science, dans un domaine essentiel, en l’occurrence l’énergie, apporte, sans jeu de mots, un éclairage convaincant et d’une grande pertinence dans l’analyse économique.

L’énergie est LA richesse économique. Ce sont les progrès que l’homme a réalisés dans sa capacité à capter et à utiliser cette énergie qui explique l’amélioration du pouvoir d’achat. C’est l’énergie plus facilement disponible qui a permis l’abolition de l’esclavage ou qui est à l’origine de la hausse des divorces… Mais la planète à l’échelle de l’humanité est désormais un univers fini. Ceci à double titre : l’énergie disponible par tête aurait à présent atteint un maximum (le pétrole disponible par terrien serait même en baisse depuis 1979) ; la consommation ne peut plus être augmentée massivement sans dommage. Le paradigme de la hausse perpétuelle du pouvoir d’achat est donc confronté à une réalité énergétique nouvelle. Le constat justifie de Changer le monde.

Pasteur laissait aux médecins le soin de mettre en pratique ses apports, il eut été préférable que Jancovici ne s’attaquât pas seul aux solutions. Ses propositions sont parfois approximatives. Ce qui n’empêche nullement, pour le diagnostic fourni, l’ouvrage d’être est un incontournable.

T.B.

Jean-Marc Jancovici – Calmann-Lévy – 242 pages

 

« État moderne, État efficace »

Ce livre va devenir un incontournable pour les financiers et évaluateurs, et pas seulement dans la sphère publique, bien qu’il traite des méthodes d’évaluation des politiques publiques. Comment apprécier si les mesures prises par un gouvernement remplissent leur objectif ? Marc Ferracci et Etienne Wasmer prennent de nombreux exemples de réglementation « ratée » parce que la mesure complète des effets directs et indirects de la mesure n’a pas été prise en compte. Il faut lire par exemple, dans l’introduction du livre, l’analyse au scalpel du prêt logement à taux zéro, faisant partie de la loi Tepa de 2007.

Pourquoi le livre est-il utile aussi au financier en entreprise ? Parce qu’il enrichit la palette des techniques à disposition pour évaluer le bien-fondé d’un projet d’entreprise. Il faut se persuader qu’il n’y a pas que la technique des flux de trésorerie actualisés (la « DCF »). Comme s’en sont déjà aperçus les départements marketing, bien d’autres techniques existent : la modélisation des comportements, l’expérimentation, l’utilisation de situations comparables dans le passé ou bien chez des concurrents…

Le livre démontre aussi qu’une bonne évaluation des politiques publiques (ou des projets privés) n’est pas qu’affaire de méthodologie ; elle est indissociable d’une bonne gouvernance. Le financier d’entreprise sait qu’il n’y a pas de bonne évaluation en dehors d’une réponse à la question : quel est l’intérêt que je sers, ce qui renforce à son tour l’exigence d’une méthodologie rigoureuse et donc contestable, pour le débat démocratique dans le cas public, pour une bonne décision ou négociation dans le monde des affaires.

F.M.

Marc Ferracci et Etienne Wasmer – Odile Jacob – 212 pages

 

La France sans ses usines

Depuis de longues années, nos usines ont été transférées dans les pays à bas coûts ; seuls les bureaux d’études et autres activités à haute valeur ajoutée intellectuelle étant jugés dignes des pays développés. Cela a créé un transfert massif de richesse vers l’étranger et plonge la France dans une profonde crise économique et financière ! Les auteurs n’y vont pas par quatre chemins : « L’idée d’une France sans usines et sans ouvriers est une idée folle ! »

Toutefois, tout n’est pas perdu. La France dispose toujours des avantages comparatifs d’un pays industriel, mais elle doit faire des efforts bien ciblés en se rappelant qu’un modèle où les salaires stagnent et où les gains de productivité ne sont pas distribués aux salariés est « fondamentalement un modèle dangereux pour la croissance ». La réponse à apporter diffère selon qu’on se trouve dans la situation de préserver une industrie ou un secteur industriel robuste et pimpant, ou que celui-ci a été affaibli par la concurrence internationale,. Ainsi, la baisse des salaires n’est pas nécessairement le passage obligé et il convient de se méfier des comparaisons, avec l’Allemagne particulièrement, même si celle-ci « a taillé sans pitié dans les coûts salariaux ».

Pour que la France ne subisse pas une fuite des cerveaux et une expatriation en masse des jeunes diplômés, les auteurs plaident pour une réforme fiscale d’ampleur – avec transferts de charges vers une TVA sociale et une CSG étendue – et d’orienter notre industrie vers des offres de produits de haute gamme.

D.C.

Patrick Artus et Marie-Paule Virard – Fayard – 184 pages


La politique de la jeunesse

Dans un monde confronté à profonde mutation et dans un climat rempli d’incertitudes, les jeunes Français demeurent confiants : leur avenir individuel ne semble pas les préoccuper et ceux-ci s’avèrent confiants dans leurs capacités personnelles à réussir.

Cependant, ils sont pessimistes sur l’avenir de leur génération et de leur pays ; certains affichent même une réelle hostilité vis-à-vis du « système » (institutions et médias).

Fort de ces constats, Luc Ferry, qu’on ne présente plus, et Nicolas Bouzou, économiste, professeur à Paris-VII et Sciences-Po et, avouons-le, membre du comité de rédaction de ce Blog, posent plusieurs questions : quelles sont véritablement les aspirations de la jeunesse ? Comment mieux accompagner chaque jeune dans son accès à l’autonomie et faire évoluer notre politique ? Ils ouvrent ainsi un débat sur l’avenir de la jeunesse française et formulent également un certain nombre de propositions, s’appuyant sur les données sociales et économiques les plus récentes, les pratiques à l’étranger et une réflexion de fond sur les conditions dans lesquelles évolue notre jeunesse.

M.M.

Nicolas Bouzou et Luc Ferry – Odile Jacob – 120 pages

 

 

Le fabuleux destin d’une puissance internationale

Le déclin de la France serait dû au cycle historique des sociétés qui, après avoir connu essor et puissance, s’effondreraient dans la déchéance et la crise. Un tel discours nourrit les peurs, peurs de l’avenir et de l’évolution de nos sociétés occidentales.

Jean-Hervé Lorenzi réfute ces analyses et reprend la maxime d’Alain « le pessimisme est d’humeur et l’optimisme de volonté ». Nous devons comprendre les raisons de la crise, évaluer nos potentiels et construire une réponse adaptée à un monde qui change. Le transfert d’activité vers les pays émergents a entraîné un surendettement des ménages et des États dans les pays développés. La France doit s’adapter à un monde multipolaire où les spécificités françaises représentent des points forts ; les budgets de recherche et de développement des entreprises sont comparables aux meilleurs, la France a des champions technologiques et une population plus jeune que ses concurrents européens et un bon niveau d’éducation. Le renforcement indispensable des institutions européennes participe de ce mouvement.

Il faut avoir le courage d’abandonner nos prétentions à un modèle universel et utiliser notre culture pour promouvoir et défendre une culture européenne. Cette culture est opposée par Lorenzi à celle qu’il désigne comme la culture de Davos, de plus en plus éloignée de la collectivité nationale qui rejette désormais de plus en plus les seuls modèles de réussite individuelle basés sur l’argent et la finance, et par l’écart croissant entre les plus aisés et le reste de la population.

Le rebond est possible et il doit faire l’objet d’un projet politique soutenu par les jeunes générations. Le projet doit inclure une réforme du contrat de travail incorporant la flexibilité, une réforme fiscale et restaurer la confiance. Lorenzi laisse à d’autres la responsabilité de l’exécution du projet.

C.R.D.S

Jean-Hervé Lorenzi – Grasset – 180 pages


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