L’inflation au Royaume-Uni est à présent deux fois celle de la France, mais seule la France a vu (par S&P) sa note dégradée [Moody’s a mis récemment les notes des deux pays, encore aujourd’hui au niveau AAA, sous surveillance négative. Ndlr]. Ce billet soutient que les notes (ratings) souveraines des agences de notation devraient être confortées par une deuxième note pour mesurer le risque de perte patrimoniale, qu’elle vienne de l’inflation ou d’un défaut sec.

Les autorités britanniques sont fières de ce que le Royaume n’ait jamais connu de défaut sur sa dette au cours des trois siècles passés, malgré des ratios dette sur PIB atteignant des niveaux proches ou au-dessus de 200% après chacune des trois grandes guerres. Mais cela ne signifie nullement que les porteurs d’une telle dette étaient nécessairement payés à plein en termes réels. Au début de 1964, la valeur nominale de l’emprunt perpétuel à 3½% s’élevait à 104,7£ ; au début de 1986, sa valeur nominale était de 34,75£, alors que pendant ce temps le niveau des prix avait crû de 27 à 385,9 (en indice base 100 en 1974), soit de 13 fois. La valeur réelle de l’obligation était de l’ordre de 1/40 ou 2,5% de celle de 1946, c’est-à-dire une décote (un haircut) de 97,5%, en négligeant les coupons intermédiaires. L’inflation, spécialement l’inflation anticipée, peut détruire la valeur aussi vite et surement qu’un défaut.

 

Défaut explicite ou défaut par inflation

Les notes de crédit font exactement ce qui est écrit sur la boîte : elles mesurent le risque de défaut. D’ailleurs les agences de notation ont tout à fait bien performé lors de la récente crise de la dette souveraine, dégradant la Grèce avant que le marché s’empare du sujet et sachant parler vrai aux gouvernements. Leurs notes ne mesurent pas, et n’ont jamais prétendu le faire, la perte probable de valeur réelle à détenir des obligations d’Etat à cause de l’inflation.

Lors des trois dernières années, par exemple :

  • L’inflation en France a été en moyenne de 1,25% à comparer à 3,3% au Royaume-Uni.
  • Les anticipations d’inflation future, mesurées par l’écart entre les obligations indexées et les obligations à taux fixe, ont été de 1,6% en France contre 2,5% au Royaume-Uni.

Sachant les positions respectives des deux pays, on peut dire que l’inflation est plus haute au Royaume-Uni qu’en France. Mais le Royaume-Uni gardera et la France a maintenant perdu son AAA, parce que le danger au Royaume-Uni est l’inflation, et non le défaut, alors qu’il y a un tout petit risque de défaut en France, qui efface la plus grande probabilité de stabilité des prix.

Par ce simple critère de la probabilité de défaut, il semblerait que tout pays qui contrôle sa planche à billets devrait être noté AAA, puisqu’il peut toujours dégonfler le poids réel de sa dette par la hausse des prix. Pas du tout ! nous dit S&P qui a dégradé la note des États-Unis, puisqu’il faut considérer tout autant la volonté que la capacité à rembourser la dette. Mais cette conclusion a quelques absurdes implications logiques.

Un gouvernement qui viendrait au pouvoir en promettant l’inflation plutôt que la stabilité des prix devrait sur cette base recevoir une meilleure note de crédit. Si donc la Grèce devait quitter l’euro et ré-adopter la drachme, la logique de la position de S&P est que la note de la dette de cet Etat devrait s’améliorer fortement, tant que les obligations sont libellées en termes nominaux. Si un pays émet à la fois des obligations nominales (à taux fixe) et indexées dans sa propre monnaie, alors la tendance accrue de l’inflation baisse en même temps la potentialité de défaut sur ses obligations nominales et l’accroît sur ses obligations indexées.

 

Une note complémentaire sur la dette souveraine

La conclusion que j’en tire est que les notes de crédit devraient être complétées par une seconde note mesurant la perte potentielle de valeur réelle, que ce soit par inflation ou par défaut. Bien que cela implique un continuel ajustement des anticipations d’inflation, le marché des obligations indexées et les enquêtes d’opinion fournissent déjà des masses de données sur le sujet. Le calcul ne devrait donc pas être particulièrement dur à faire ni à défendre.

Là où les pays émettent toutes leurs dettes en devises étrangères, notamment tous les pays de la zone euro, l’option inflationniste ne leur est pas ouverte, et donc leur note se rapproche d’une vraie mesure de la perte potentielle de valeur réelle. Quand les pays émettent leur dette à la fois en monnaie locale et en devises, il y a tendance chez les agences de notation à placer la note en devises un cran ou deux au-dessus de celle en monnaie locale. C’est une erreur parce que la propension plus forte à l’inflation réduit le risque de défaut sur les obligations en monnaie locale, mais l’accroît sur celles en devise. Il n’y a que lorsque les risques sont mesurés en termes réels que les deux notes bougent en tandem.

 

La réaction des institutions financières

Les institutions financières ne verront pas d’un bon œil une nouvelle note en valeur réelle. Leurs propres engagements sont en général formulés en termes nominaux. La nouvelle note de dette souveraine, prenant en compte l’inflation, serait plus basse que les présentes notes de crédit pour tous les pays émettant en leur propre monnaie, à l’exception peut-être du Japon. Comme la note des banques est en général inférieure à celle de leur souverain, la note ajustée pour l’inflation pour les banques britanniques et américaines chuterait davantage. Du point de vue du créancier de telles banques, il doit en aller ainsi ; si l’inflation demeure au-dessus du taux d’intérêt servi sur les dépôts, ceux-ci perdent continuellement de leur valeur. L’hyperinflation détruit la valeur des titres financiers à taux fixe aussi sûrement, et presque aussi vite qu’un défaut.

Il est faux sous les pratiques actuelles de se plaindre, comme l’ont fait les Français, que la note de la dette  britannique n’ait pas été dégradée avant la note française, mais c’est tout à fait valide conceptuellement. Si un investisseur a 100$ à dépenser aujourd’hui en obligations soit françaises, soit britanniques, quelles sont celles qui offrent la plus grande chance de payer davantage en termes de dollars d’ici 5 ans ? Jusqu’où la probabilité très légèrement plus  forte d’un défaut français est-elle compensée par la probabilité certainement plus forte d’une inflation plus forte et d’une dépréciation concomitante de la livre sterling ?

 

Contribution originale pour Voxeu, traduite en français avec autorisation.