En 2015, lors d’un « TED talk », Bill Gates donnait l’alerte sur la vulnérabilité des États face au risque d’une nouvelle et sévère pandémie. Le scenario imaginé par lui anticipe de manière frappante le déferlement du Covid-19.

Bill Gates n’est ni devin, ni prophète, ni Cassandre. Si analogie il y avait avec cette dernière, elle serait dans l’incrédulité dont étaient frappées les prédictions de la belle Troyenne (par représailles des Dieux) et qui limite la portée d’un message, fut-il du plus investi des milliardaires dans l’humanitaire.

Il est peu de dire que son message n’aura pas eu l’écho espéré dans la sphère publique. Pour lui, le risque d’une perte humaine se chiffrant en  millions de victimes sur la planète relève moins d’une guerre nucléaire que d’un virus fortement contagieux. Le plus grand danger « ne vient pas des missiles mais des microbes » disait-il alors. Et de déplorer la disproportion entre les énormes crédits alloués à la dissuasion nucléaire et ceux consacrés à la prévention des épidémies. Quel que soit le budget, celui-ci sera toujours faible par rapport aux dommages potentiels du virus, qu’il soit naturel ou entre les mains d’un terroriste.

Le philanthrope de Seattle parle en connaissance de cause. Au travers de sa fondation[1] « Bill & Melinda Gates » créée il y a 20 ans, il combat les épidémies et la pauvreté, facteur de propagation et d’injustice. Il agit notamment en Afrique subsaharienne par des campagnes massives de vaccinations, d’actions sanitaires, lutte contre la mortalité infantile et la malnutrition, conduit des travaux d’observation sur les épidémies, en particulier sur Ebola qui était en voie d’éradication en 2015 après avoir tué 10.000 personnes.

Ayant acquis, au fil des ans, une véritable expertise en la matière, il considère qu’Ebola préfigure, en modèle réduit, la grande pandémie qui nous menace. Nous avons été très chanceux qu’Ebola soit concentrée sur 3 pays de l’Ouest Africain et qu’elle épargne les centres urbains. Il explique cette faible intensité par la non propagation du virus dans l’air, le fait que les personnes ne sont contagieuses qu’après l’apparition des symptômes et que la maladie les cloue au lit et les confine chez eux sans qu’il soit besoin d’un décret. La prochaine épidémie pourrait être dramatique du fait de l’intensité des échanges et des voyages à l’échelle de la planète. « Il pourrait y avoir un virus avec lequel les gens infectés se sentiraient suffisamment bien pour prendre l’avion, faire leurs courses… », annonçait-il. Des propos qui évoquent les symptômes et le comportement des personnes infectées par le Covid-19. Et de faire référence aussi à la grippe espagnole de 1918 (plus de 33 millions de victimes), occultée par la guerre et les autorités à l’époque, et qui se perd dans la mémoire collective par une sorte de prescription, faute de témoins encore vivants.

« Nous ne sommes pas prêts pour la prochaine épidémie ». Son speech de 2015 est certes une alerte, mais surtout un plan de bataille précis et complet pour anticiper la prochaine pandémie dans le contexte de mondialisation. Il invite les États, et l’État Américain en particulier, à adopter ce plan et à prendre le relais de l’action privée.

« Le temps n’est pas notre allié », dit-il, « mais si nous nous y mettons dès maintenant, nous pourrons faire face à la prochaine épidémie ».

Tous les ingrédients pour un système global de prévention de l’épidémie existent : les progrès de la science et de la technologie, les capacités de la biologie avec vaccins et médicaments, les cartes satellites pour l’observation des déplacements, la téléphonie et internet pour informer le public et recueillir de lui l’information pour la traiter. Encore faut-il que tous ces éléments soient intégrés au sein d’un système mondial de santé fondé sur la coopération internationale, ce qui n’est pas le cas.

Ce système devrait, selon lui, être doté d’un corps médical permanent et dédié, expérimenté et mobilisable sans délai. Ce corps médical devrait être associé avec les forces armées qui apporteraient leur soutien en matière de logistique, de rapidité d’intervention, de capacité de déploiement et de sécurisation.

Certes, on pourra toujours parler de philanthropie capitaliste et de retour sur investissement social. Le businessman n’est jamais loin du mécène. Les méthodes sont les mêmes. Rien n’est totalement gratuit. Avec la constitution très rapide de fortunes colossales par de jeunes entrepreneurs, on comprend que ceux-ci aient envie, non pas de les léguer à titre posthume, mais de s’impliquer dans l’action humanitaire ou environnementale avec des motivations diverses, ou par mimétisme et avec des retombées positives pour leur image et leurs affaires. Et peut-être pour quelques-uns d’entre eux pour rendre à leurs semblables ce que la vie leur a donné. Bill Gates est assurément de ceux-là.

 

NB : Retrouvez ici un extrait vidéo de l’intervention de Bill Gates.

 

[1] La fondation Bill & Melinda Gates est dotée de moyens considérables et affiche des fonds propres de l’ordre de 39,8 Md$ pour une masse bilancielle de 47,9 Mds$ (comptes consolidés au 31-12-2018). Elle coopère avec de nombreux organismes dont l’AFD (Association française de développement), et naturellement avec l’OMS dont elle est le premier contributeur non étatique et qu’elle considère comme un acteur fondamental dans la crise actuelle du Covid-19. Bill Gates a prévu de léguer 95 % de sa fortune à sa fondation.