La décision de la Chancelière Allemande de faire sortir son pays du nucléaire d’ici 2022 a été présentée en France comme à la fois électoraliste (il s’agirait de séduire les électeurs tentés par le vote vert) et hypocrite (l’Allemagne devra importer de l’énergie nucléaire française). En réalité, ces deux arguments résistent mal à une analyse rationnelle et dynamique.

La première critique pourrait être retournée en compliment, surtout par opposition à la France où l’on a du mal à ouvrir un débat au niveau gouvernemental, alors même que l’opinion publique, suite aux événements japonais, évolue. Surtout, on peut montrer qu’au-delà de la logique électorale, il y a sans doute des arguments économiques à la diminution de la part du nucléaire. Ainsi, on nous dit, à juste titre, que la prédominance de l’énergie nucléaire en France nous permet de bénéficier de prix de l’électricité réduits. Mais, comme très souvent dans le débat public, on présente un avantage sans mettre le coût en balance. Et le coût, c’est évidemment celui d’un accident nucléaire. On entend que celui-ci est de probabilité extrêmement faible, en ajoutant que « le risque 0 n’existe pas ». Il n’y a rien de moins scientifique que cette assertion. En effet, la question n’est pas celle de la simple probabilité d’occurrence d’un risque, mais de la probabilité pondérée par la gravité du risque. Or, en matière nucléaire, cette gravité est incommensurable puisqu’elle concerne un très grand nombre de personnes susceptibles d’être irradiées. C’est la grande différence avec, par exemple, un accident d’avion, dont les conséquences ne concernent que quelques dizaines ou quelques centaines de personnes. En outre, une catastrophe nucléaire a une temporalité très longue (des territoires sont désertés pendant des décennies). Là encore, on saisit bien la différence avec un accident aérien. Ajoutons qu’un risque, même extrêmement faible, a pour vocation à se réaliser. Ainsi, on peut affirmer qu’un accident nucléaire se réalisera un jour. Mais il est possible que ce soit dans deux siècles. Finalement, l’Allemagne réagit comme une société libérale ouverte au sens de Karl Popper, c’est-à-dire une société où l’on tâtonne, où l’on peut revenir sur des décisions en fonction des événements, pour améliorer son fonctionnement. À l’inverse, ce processus d’essais/erreurs est entravé en France, par des institutions politiques très centralisées, qui ont fait du nucléaire une source d’énergie prédominante, dont il est en effet, en pratique, difficile de sortir.

On reproche également à l’Allemagne d’être hypocrite, dans la mesure où elle devra importer de l’énergie nucléaire française. Cet argument fait tout simplement l’impasse sur 10 000 années d’innovations humaines. Le biologiste américain Jared Diamond a bien montré que l’homme préhistorique avait inventé l’agriculture, nous faisant entrer dans l’âge du néolithique, sous l’effet d’une contrainte : la raréfaction de la faune. Cet exemple du fond de l’histoire n’est pas anachronique. Nous faisons face aujourd’hui au même type de contrainte avec la raréfaction des ressources fossiles. Le gouvernement allemand ajoute, pour ainsi dire, une contrainte supplémentaire en s’obligeant à sortir de l’énergie nucléaire sans retourner aux énergies émettrices de CO2 comme le charbon. Quel formidable stimulus pour l’innovation ! Les entreprises allemandes, qui déposent déjà de nombreux brevets dans le domaine des écotechnologies, sont en quelque sorte aculées à rendre rentable des énergies renouvelables. On nous dit que c’est aujourd’hui impossible : vision statique. L’innovation a toujours procédé en deux temps : un premier temps de recherche, d’erreurs, de tâtonnement là encore. Puis, un temps de cristallisation et d’intégration dans le processus productif. Ce deuxième temps arrivera. L’ironie de l’histoire, c’est que, à ce moment-là, c’est peut-être les Français qui devront importer de l’énergie renouvelable allemande !