Le plan international d’aide à l’Irlande validé la semaine dernière à Bruxelles, atteindra 85 milliards d’euros : 35 milliards destinés à la restructuration des banques – dont 10 milliards à la « recapitalisation immédiate » du secteur – et 50 milliards pour les besoins budgétaires du pays. Les chefs d’Etat et de gouvernement, la BCE et le FMI ont également annoncé un futur mécanisme pérenne de résolution des crises avec le Mécanisme européen de stabilité (MES), en remplacement du Fonds européen de stabilité financière, dont les modalités seront étudiées en décembre. Ce programme de « normalisation » des crises porte en lui des germes d’optimisme sur la mise en place d’une gouvernance économique de l’Europe.

Rappelons brièvement ce dont il s’agit :
– Implication des porteurs privés de dettes souveraines
– Mise en place de plans d’actions collectives
– Dotation de 440 milliards d’euros susceptible d’être doublée si nécessaire
– Possibilité de pertes en capital pour les porteurs d’obligataires en cas de crise de solvabilité d’un Etat
– Fortes incitations des parties prenantes à continuer de financer l’Etat en difficulté pour surmonter une crise de liquidité
– Présence du FMI afin de jouer le rôle de bouc-émissaire (*) qui lui échoit en pareilles circonstances

Tout financier verra dans les clauses de ce plan, des éléments relevant du droit commercial classique selon le principe d’airain de la finance qui énonce qu’il n’y a jamais de « repas gratuit » (free lunch). Il s’agit en quelque sorte de l’accouchement dans la douleur d’un mécanisme normalisé de gestion des crises, ce qui peut nous conduire à un relatif optimisme.

Depuis la création de la monnaie unique, la volonté des gouvernements et des banquiers centraux a érigé en postulat que tout pays intégré à la zone euro, bénéficiait de fait d’un abri contre les turbulences des marchés financiers. Mais alors, pourquoi, au-delà du facteur de liquidité, y aurait-il eu des différences substantielles de rendement entre dettes souveraines « euro » ? Depuis plus de onze ans, tout investisseur bénéficiait d’une rente fondée sur la volonté politique plus que sur des textes juridiques, sans qu’aucun responsable économique et politique ne s’en étonne. Or en économie classique, toute rente a vocation à être arbitrée avant de disparaitre et faire place à un dispositif équilibré.

Quelles peuvent-elles être les conséquences économiques?

– Une dotation du MES pouvant atteindre 850 Mds d’Euros représente un budget fédéral substantiel qui impose une gouvernance plus forte de son utilisation que celle dévolue à la Commission européenne (pour 2011, les recettes nettes attendues de la France sont de l’ordre de 200 Md€).
– Cette dotation ne pourra être financée ou garantie que par les pays qui en ont les moyens économiques et financiers, bénéficient actuellement de la notation AAA et des taux de financement privilégiés qui en découlent et dont les injonctions politiques (budget, balance des paiements…) en seront légitimées.
– Les taux d’emprunt des pays périphériques se stabiliseront à la baisse, ceux des pays « sains » augmenteront puisqu’ils accepteront de prendre des risques sur des pays de la zone euro.
– L’écart maximum entre signatures « extrêmes » se comblera sensiblement.
– Il n’y aura pas, fort logiquement, de convergences des taux longs comme cela avait été le cas des taux à court terme de l’Europe financière des années 1997-1999.
– Les investisseurs devront évaluer les taux de rémunération des dettes souveraines euro comme ils le font vis-à-vis d’émetteurs privés et devront s’attendre à supporter des plans de restructuration.

Après l’usage des forceps en 2010, l’accouchement libératoire est annoncé en 2011 avec le retour à un fonctionnement de marché « classique » au sein duquel, tout prêteur prend un risque, réel, sur l’émetteur ou le garant des titres de créances acquis !

Quelles esquisses institutionnelles apparaissent ?

Si, ce qui vient d’être présenté, n’est pas avéré, il en sera fini de l’Euro comme monnaie unique, tout au plus pourrions-nous assister, comme cela a été avancé en mai, à la création d’un euro « du Nord » et d’un euro « du Sud », autant dire la fin de l’euro et le retour à une zone de libre-échange institutionnellement plus souple que le cadre du Traité de Lisbonne.

Dans le cas, le plus probable, où la monnaie unique le reste en 2011, l’Europe aura trouvé son troisième pilier, économique, après les instances politiques (Conseil européen et Commission européenne), monétaire et financière (BCE), avec le MES.

On avancera sans grand risque d’erreur, qu’au sein du MES, le principe du « un pays-une voix » ne sera pas privilégié, et qu’au contraire, la théorie des cercles concentriques (avancée en son temps en France par Laurent Fabius et mise en pratique publiquement par Angela Merkel et Nicolas Sarkozy à Deauville début novembre 2010) sera mise en pratique et que l’Eurogroupe sera devenu inutile !

Il est clair que les nationalismes et autres résistances en Europe en seront heurtés – mais c’est un prix, au fond faible, à payer – et l’on perçoit pourquoi, les chefs d’Etat et de gouvernement ont prévu la création du MES en 2013 et pas dès 2011, mais cette tactique n’est pas sans danger : deux ans c’est court – pour les mentalités – mais long face (i) aux marchés qui testeront TOUS les pays de la zone au cours de ces prochains mois et (ii) aux changements législatifs et règlementaires nécessaires, y compris Bâle 3, IFRS et Solvabilité 2 (**)…

Face à une croisée des chemins, l’Europe depuis le traité de Rome, a toujours connu des moments critiques (la politique de la chaise vide du Général de Gaulle, le « I want my money back » de Madame Thatcher…) et en est sortie renforcée.

C’est toujours à partir du chaos, que notre Europe quinquagénaire a trouvé son ordre de marche. Ce sera encore le cas cette fois, n’en doutons pas !

 

(*) Lire à ce propos un post de mars 2010 publié sur le blog de la DFCG.
(**) Un prochain post précisera quelques éléments d’impact sur les règlementations bancaires et financières.