Les guerres commerciales sont faciles à gagner, disait Trump, sauf que tout le monde y perd, et en l’occurrence les consommateurs et les producteurs industriels américains. Et pendant un temps, les agriculteurs américains.

Liberty Street Economics, le blog de la Banque fédérale de New-York, fait paraître un intéressant papier sous le titre : « Who Pays the Tax on Imports from China? ». Les auteurs regardent qui, entre les producteurs chinois et les consommateurs américains, a finalement payé les forts droits de douane mis en place par Trump. Pour se rappeler, la première hausse a été déclenché en juillet 2018, et a été suivi par une rafale de hausses, jusqu’à couvrir 250 Md$ de marchandises à un taux de 25% en juin 2019, puis à nouveau 120 Md$ à un taux de 15% en septembre.

Ce que dit le graphique, c’est que les prix à l’importation en dollars des biens chinois, à l’arrivée dans les ports américains, semblent ne pas avoir bougé de leur tendance. Ils suivent fidèlement les prix à l’import venus des autres pays.

Par conséquent, la hausse des tarifs, quelques 40 Md$, a été entièrement absorbée par les acheteurs américains. Le tarif n’a été qu’une taxe à la consommation levée par le Trésor américain, pour un montant égal à 0,2% du PIB.

C’est un peu une énigme, nous disent les auteurs. Ils tentent quelques explications : une rentabilité très basse des exportateurs chinois qui ne leur laisse aucune marge pour préserver leur position concurrentielle en baissant leurs prix ; au contraire, le fait que les biens qu’ils vendent aux États-Unis sont sans concurrents et leur laissent toute possibilité de marger davantage ; le fait qu’il s’agisse en grande partie d’un commerce intra-firme par les grandes multinationales américaines, qui préfèrent laisser le profit dans leurs entités chinoises ; enfin le souci de ne pas déclencher une spirale à la baisse sur d’autres marchés, les acheteurs européens par exemple réclamant pour eux les baisses de prix accordés sur le marché américain.

Mais l’énigme se complique. La devise chinoise s’est dépréciée de 10% contre le dollar depuis le début des hostilités. Les Chinois auraient donc pu concéder des baisses de prix en dollars et garder le même revenu en leur monnaie nationale. Ils ne l’ont pas fait.

L’autre face de la pièce se lit sur ce second graphique. La réalité est que les Chinois n’ont pas bougé leurs prix, mais ont vu leurs ventes décliner.

Attention là aussi. Il est fort possible que les Chinois n’aient pas subi le coût de ces baisses, à la fois parce que les exportations ont transité immédiatement par d’autres pays comme le Vietnam ou les Philippines, et parce qu’on parle souvent ici de chaines de valeur internationales où le contenu en production chinoise est un pourcentage très inférieur à la valeur du bien importé. Une preuve de cela est qu’ils n’ont pas bougé leurs prix. Si les tarifs leur avaient fait mal par chute effective de leurs ventes, ils les auraient baissés.

Un mot sur le deal avec Xi Jin Ping trompetté par Trump. Il consiste pour l’essentiel à différer la hausse des tarifs qui était dans le tuyau pour décembre, à baisser de moitié les tarifs sur 100 Md$ de biens chinois, principalement des biens manufacturés, en contrepartie d’une promesse des Chinois d’acheter plus de produits agricoles. C’est curieux : à l’origine de tout, il fallait défendre les industriels américains et stopper la situation choquante pour Trump de la plus grande économie du monde vendant à la Chine et au Japon essentiellement des produits agricoles, c’est-à-dire dans l’esprit de Trump des biens inférieurs. L’été dernier, Trump ne tweetait-il pas, s’agissant de l’accord commercial avec le Japon : “On leur envoie du blé. Du blé ! C’est pas un bon deal. » Les agriculteurs apprécient, eux qui pourtant pèsent dans l’électorat des États fédérés très républicains des Grandes plaines.

Rien non plus sur les droits de propriété intellectuelle qui sont la vraie pomme de discorde. Les faucons côté Chine ont toute raison de se réjouir. Mais tout cela est secondaire : Trump est capable de présenter l’accord à ses supporteurs comme une grande victoire. C’est ce qu’il cherchait.