Plus de 20% du chiffre d’affaires des hôteliers en Europe est désormais effectué par des plateformes de voyage en ligne, du type principalement de Booking.com et Expedia.com. Or, on imagine bien que l’hôtelier préfère que le client arrive directement chez lui, ou le fasse via le site internet de l’hôtel, plutôt que d’avoir à acquitter les 15 à 20 % de commissions selon la plateforme considérée. En même temps, ils sont bien contents de cette nouvelle source de chiffre d’affaires. Il y a donc un équilibre à trouver, qui dépend du taux de commission que demande la plateforme.

Mais la question prend un tour différent. Face au poids croissant de ces plateformes, les hôteliers ne sont-ils pas désormais dans une situation où ils ne peuvent plus négocier le niveau de la commission ? En clair, ont-ils le choix de se séparer de Booking s’ils jugent qu’il est devenu trop puissant ?

Une réponse possible des hôteliers s’ils jugent que l’opération n’est plus rentable pour eux, consiste à différencier par le prix, en mettant la chambre moins chère si elle passe par leur site en direct plutôt que par celui de Booking. Mais les plateformes sont très vite montées au créneau en imposant dans leurs contrats aux hôteliers une clause de « non-discrimination » selon le canal de vente en ligne. À noter le terme de « discrimination » employé par les plateformes, sachant sa teneur péjorative. L’Autorité de la concurrence en France a épinglé Booking qui s’est engagé à arrêter les clauses étendues (interdire à l’hôtelier de vendre moins cher sur tout autre canal) en Europe. Mais les clauses restreintes couraient encore (interdire à l’hôtelier de vendre moins cher sur son site propre). La loi Macron de 2015 a mis fin au débat en interdisant toute clause de parité dont les restreintes. Mais le sujet reste encore un casse-tête pour les régulateurs, à preuve l’Allemagne où le caractère anti-concurrentiel de cette clause restrictive fait toujours débat, y compris au niveau de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe.

Morgane Cure, dans le site ami Variances.com rend compte très utilement d’un travail de recherche qu’elle et d’autres chercheurs ont effectué sur le pouvoir effectif de l’hôtelier face à la plateforme dans le cas où la non-discrimination tarifaire s’applique strictement. Leur travail figure dans un papier publié dans le International Journal of Industrial Organization ; il est disponible librement ici.

Il y a deux cas polaires : le premier, celui d’une faiblesse complète de l’hôtelier, voit ce dernier perdre tout le chiffre d’affaires qui passait par la plateforme. Dans ce cas, il est pieds et poings liés et devra en passer par la plateforme jusqu’au point où cette dernière ne lui laisse plus un centime de marge. Le second, où le rapport de force est en sa faveur, le voit préserver intégralement son chiffre d’affaires qui passe à défaut par d’autres canaux, tels des plateformes concurrentes (il n’y en a pas beaucoup !) ou son site propre. En théorie alors, il peut négocier à la baisse la commission jusqu’à un niveau allant à quelques centimes de marge pour la plateforme. La réalité est intermédiaire, on s’en doute, mais où se place-t-elle ?

D’où le graphique de la semaine, qui donne le résultat du test à propos d’une chaîne d’hôtel scandinave, fait à partir d’une ingénierie statistique élaborée.

Alors que Booking représente 31% du chiffre d’affaires en ligne de l’hôtelier, le supprimer fait fuiter 53% de ce chiffre d’affaires, ce qui représente une perte de 16% au final vers la concurrence. On comprend que la chaîne hésite à se passer de Booking. La perte est un peu moindre dans le cas d’Expedia, en raison de sa part de marché plus faible.

Les auteurs estiment que le poids de Booking est bien plus fort en France, ce qu’on aimerait voir documenter. En clair, les hôteliers n’ont plus désormais qu’un très faible poids de négociation face à ces nouveaux venus, ou plutôt ce nouveau venu. Sur la durée, cette situation ne peut que les inquiéter, si le secteur des plateformes de réservation d’hôtels devait rester aussi peu concurrentiel (et il y a dans ce secteur une énorme prime à la notoriété). Non seulement ils perdent en marge, mais ils perdent en connaissance de leurs clients (la fameuse data) : les voici réduits à fournir les draps, le foncier et la nourriture, et parfois même ces éléments leur sont apportés par des fournisseurs.

 

Avis de Vox-Fi : Si, au terme de cette lecture, vous jugez, tout en restant très satisfait de l’aide que vous apporte Booking, que son poids est devenu trop fort, repérez l’annonce via ce site, puis appelez par téléphone l’hôtelier pour négocier en direct avec lui un prix moins cher. L’hôtelier peut avoir des raisons propres pour ne pas accéder à votre demande, mais il ne peut plus opposer de motifs juridiques, du moins en France.