Le président François Hollande a proposé dans son programme de candidat de moduler le taux de l’impôt sur les sociétés selon que les bénéfices sont réinvestis ou distribués sous forme de dividendes ou de rachats d’actions. On parle d’un taux d’IS de 20 % au lieu de 35 % en cas de réinvestissement dans l’entreprise. (Cette mesure est à distinguer de cette autre, excellente à mon avis, consistant à réduire le taux d’IS pour les PME.)

L’idée est tout à la fois ancienne et mauvaise. On se rappelle que le gouvernement Bérégovoy l’avait mise en place dans les années 90, avant de s’apercevoir que le gouvernement allemand faisait exactement l’inverse : taxer davantage les profits retenus que les dividendes. L’un et l’autre ont donc supprimé au fil du temps ces incitations fiscales contradictoires. Pourquoi?

Tout d’abord, l’incitation ne fait que renforcer une inclinaison naturelle des entreprises. Quand il faut financer un projet, elles préfèrent par ordre l’autofinancement, puis la dette, puis en dernier les augmentations de capital, ce que les manuels de finance désignent par la théorie du pecking order1. Pourquoi devrait-on amplifier cette préférence pour l’autofinancement ?

Deuxième raison, il n’y a pas que la demande de fonds en matière de financement d’entreprise, il y a aussi l’offre. Si les actionnaires ont une préférence pour les dividendes et que l’entreprise baisse son taux de distribution, ils utiliseront un autre moyen pour gagner de la liquidité, le plus simple étant de vendre leurs actions. La mesure ne va pas forcément dans le sens d’une stabilité accrue du capital des entreprises françaises. C’est l’argument classique, mais toujours vrai, de la liquidité : vous rentrez de moins bon cœur dans la salle de boxe si on vous dit que la sortie reste bloquée toute la soirée. Si l’entreprise est cotée, les actions peuvent en devenir plus volatiles, à l’égal de ce qu’on observe sur le marché obligataire, où les obligations à faible coupon sont plus sensibles aux variations du marché que les obligations à fort coupon. Les praticiens du marché le savent bien, qui parlent d’une action  »défensive » quand elle est à fort dividende, et d’une action « offensive » quand elle en verse un très faible.

Ainsi, pénaliser les dividendes et les réductions de capital, c’est pénaliser le recours à l’augmentation de capital, et donc favoriser les deux autres sources de financement : bien sûr l’autofinancement, mais aussi, sur la durée, la dette (même si la non-distribution augmente à court terme la trésorerie et donc réduit l’endettement).

La troisième raison tient à la gouvernance des entreprises. Si les entreprises préfèrent l’autofinancement, c’est souvent parce que cela permet aux dirigeants de ne pas avoir à soumettre le projet d’investissement à l’œil et au contrôle des bailleurs de fonds externes, banques, créanciers ou actionnaires. Le dirigeant peut préférer cela au « court-termisme » de ses actionnaires ou de ses banquiers. Mais ce n’est pas exactement le signe d’une bonne gouvernance. La recherche en finance atteste que ce type de message négatif (ne pas verser de dividendes quand on en a les moyens) dissuade les bailleurs de fonds de financer l’entreprise2. Son coût du capital s’en voit renchéri. Est-ce le but recherché ?

La logique des marchés de financement de l’entreprise est bien que le cash-flow disponible de l’entreprise retourne aux bailleurs de fonds, qui souhaitent pouvoir réinvestir à leur gré dans l’entreprise sur base de bons projets ou bien déployer leur capital ailleurs si les opportunités leur paraissent meilleures. La finance externe exerce donc une sorte de discipline, créatrice dans le meilleur des cas, par laquelle les dirigeants de l’entreprise se font questionner sur leurs choix d’investissement.

 

Ainsi, on voit mal l’intérêt de la mesure, au-delà de sa commodité rhétorique. En matière de fiscalité d’entreprise, il faut avancer prudemment avant d’introduire des distorsions (des « niches ») fiscales. Le mieux serait plutôt de regarder à deux fois celles qui existent, notamment le traitement fiscal complètement différent du financement par fonds propres et du financement par dette, sachant que les intérêts de la dette sont déductibles d’impôt alors que les dividendes ne le sont pas. C’est subventionner les entreprises pour qu’elles s’endettent plutôt que de constituer des fonds propres, sujet que le Blog a déjà traité (voir le billet du 17 novembre 2009, Pourquoi les frais financiers devraient-ils échapper à l’impôt sur les bénéfices ?). Où est la logique ? On voudrait pénaliser les dividendes, mais pas le paiement des intérêts. Pourquoi en creux cette incitation à l’endettement ?

Si la mesure devait avoir un sens, c’est à propos des banques et de façon temporaire : il est bon aujourd’hui d’inciter les banques à reconstituer leurs fonds propres et de gagner en solvabilité. Et de le faire plutôt en évitant de distribuer leurs bénéfices plutôt qu’en réduisant leurs crédits. Mais la proposition 7 du candidat Hollande disait : « Je taxerai les bénéfices des banques en augmentant leur imposition de 15 % ». Pour le coup, il est préférable de cibler les seuls profits distribués avec un taux dissuasif.

 


 

1 – « Théorie de la hiérarchie du poulailler ».

2 – Bien rares sont les entreprises, telle Apple, qui arrivent à faire apprécier par le marché de thésauriser leur cash. Voir « Les entreprises empilent le cash comme jamais » dans le Blog.