D’ici quelques mois, environ 50 000 sociétés européennes devront se conformer aux nouvelles exigences de la Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD). Perçue par beaucoup comme une contrainte, sa mise en place nécessite d’ores et déjà la mobilisation de moyens humains et financiers conséquents. Pour autant, cette directive doit améliorer la transparence, la fiabilité et la comparabilité des efforts des entreprises en matière d’ESG (Environnement, Social, Gouvernance). Une nouvelle information extra-financière sera donc prochainement disponible pour les investisseurs, soulevant une question fondamentale : la performance ESG est-elle, oui ou non, créatrice de valeur financière ?

Pour tenter de répondre à cette interrogation de tant d’entreprises, nous avons analysé plus d’une cinquantaine d’articles de presse et de publications académiques et professionnelles récentes sur ce sujet. Reconnaissons-le d’emblée : les conclusions restent, à ce jour, partielles et nuancées.

Notre analyse, certes non exhaustive, mais approfondie, montre que la piste de recherche privilégiée par tous ceux qui travaillent sur le sujet repose sur la mise en évidence d’éventuelles corrélations entre d’une part les niveaux de ratings ESG d’entreprises cotées, et d’autre part des décotes ou des primes de valorisation. Les niveaux de corrélation qui en ressortent sont toutefois variables selon les périodes étudiées, les secteurs concernés et les ratings eux-mêmes.

La difficulté première à laquelle les recherches se heurtent réside dans la qualité de l’information disponible et notamment les différents types de ratings ESG existants. Une revue comparative détaillée des notations en la matière révèle en effet des divergences d’appréciation importantes. Contrairement aux notations de risque de crédit qui tendent à se rapprocher d’une agence à l’autre, les notations ESG peuvent varier fortement, comme l’illustrent les graphes ci-dessous.

Source : Analyses Eight Advisory fondées sur 26 sociétés du CAC 40, 2024

 

De telles différences s’expliquent avant tout par les données sources. Alors que le risque de crédit repose sur de l’information financière fiabilisée, auditée et standardisée, il n’existe pas encore de grille de lecture commune pour les notations ESG. Chaque agence utilise en effet ses propres critères et ses pondérations pour évaluer les performances environnementales (E), sociales (S) et de gouvernance (G). Certaines peuvent ainsi accorder plus d’importance aux critères E, tandis que d’autres se concentrent davantage sur les aspects S ou G. Si chaque note ESG est pertinente au regard des critères sélectionnés, cette disparité rend difficile la comparaison des performances entre les entreprises.

Même s’il n’existe donc à ce jour pas de preuves chiffrées incontestables sur l’existence d’un lien entre performance ESG et valeur financière des sociétés, il est pourtant évident que l’investissement ESG devient un sujet majeur dans l’évaluation d’entreprise. Nous avons d’ailleurs pu constater que près de quatre analystes financiers sur dix mentionnent aujourd’hui les performances ESG dans leurs travaux.

Nous avons pour notre part une conviction : les efforts demandés aux entreprises dans le cadre de la CSRD, et plus généralement en matière d’environnement et de social, seront payants à terme.

D’abord parce que l’enjeu réputationnel est immense. Une société qui n’investirait pas fortement et sincèrement dans ces domaines s’expose à un risque d’image entraînant des conséquences fortes sur la rétention et le gain de nouveaux clients, l’engagement des employés ou encore le recrutement. À cela s’ajoute l’évolution règlementaire qui va mécaniquement contraindre certaines sociétés à modifier leurs sources d’approvisionnement et à revoir leur structure de coûts. C’est enfin la soutenabilité même du modèle économique des sociétés qui est en jeu, notamment au regard de l’empreinte carbone et de la préservation de la biodiversité.

Or, puisque ces différents éléments impactent la génération présente et future de cash flows des entreprises, ils impactent nécessairement leur valeur financière.

La perception du risque par les investisseurs en capital et les prêteurs est également un enjeu clé pour la valorisation. Certaines banques prévoient déjà un coût de financement plus élevé en cas de non-respect de certains critères de durabilité.

Pour les professionnels de l’évaluation, la priorité est donc de parvenir à traduire les objectifs et contraintes ESG, à la fois dans les cash flows futurs et dans les taux d’actualisation.

L’enjeu est majeur car même si la mesure standardisée de l’ESG n’en est encore qu’à ses débuts, l’accélération des conséquences d’une mauvaise gestion ou des insuffisances en la matière sur la valeur est bien visible. Notre propre analyse de l’impact sur les cours boursiers de scandales de « nature ESG » ayant affecté des groupes cotés au cours des quarante dernières années nous amène à deux constats :

  • Les sociétés sont désormais sanctionnées de plus en plus sévèrement : on observe ainsi, depuis 2020, une baisse de 12,5 % en moyenne après une controverse ESG, contre un impact quasi-nul avant les années 2000 ;
  • Les séquelles sont plus durables, avec des conséquences sur le cours de bourse encore mesurables plusieurs mois après l’annonce.

 

Source : Analyses Eight Advisory, 2024

 

En synthèse, si la mesure de la performance ESG est encore hétérogène, la comparabilité croissante va rapidement faire émerger les bons et les mauvais élèves. En faisant de la communication extra-financière un enjeu majeur des entreprises, l’ESG va gagner peu à peu en lisibilité et ses effets seront à terme pleinement intégrés à la performance financière de l’entreprise.

Il appartient désormais aux professionnels de l’évaluation de faire évoluer leurs modèles…