L’une des critiques les plus constantes adressées au marché financier est qu’il ne tiendrait pas compte du facteur humain. Pire, obnubilés par les résultats financiers à court terme, les investisseurs encourageraient les « licenciements boursiers ». Le capital humain serait ainsi sacrifié sur l’autel de la valeur actionnariale. Cette position aussi idéologique que celle qui met l’actionnaire au pinacle n’est pas vérifiée dans la réalité.

Premier argument : l’importance du goodwill dans la valeur de marché des entreprises. La grande majorité des entreprises cotées ont un ratio capitalisation boursière/fonds propres comptables très supérieur à 1, signe que les investisseurs pensent que les entreprises sont capables de créer de la valeur à long terme. La finance est un « commerce de promesses » (Pierre-Noël Giraud) : la confiance est essentielle. Elle est inspirée avant tout par les hommes de l’entreprise. Que l’on parle de capital humain, de capital organisationnel ou de capital relationnel, ce sont toujours eux qui sont au cœur des actifs intangibles.

Second argument : le dynamisme de l’investissement socialement responsable (ISR) dont les critères intègrent la performance sociale. En France, les fonds spécifiquement ISR s’élèvent à 68 milliards d’euros à la fin 2010 (une croissance de 35 % par rapport à 2009) et à 2 500 milliards pris au sens large (intégration ESG – environnement, social, gouvernance). Cette dynamique doit beaucoup à l’impulsion des associations professionnelles (code de transparence de l’AFG, pédagogie de la DFCG à l’égard de ses membres), des clients les plus sensibles à cette dimension et du recours croissant à la notation sociale. Certains acteurs sont particulièrement en pointe dans ce domaine comme AXA IM qui a développé une dizaine d’indicateurs pour suivre la capacité du management à exécuter sa stratégie.

Bien qu’avéré, ce lien entre performance sociale et performance actionnariale reste contesté car la recherche académique n’est pas conclusive : sur 122 études réalisées de 1971 à 2001, 51 seulement démontrent une relation positive (seulement 7 des liens négatifs). Et les interprétations sur le sens de la relation divergent : est-ce la performance sociale qui permet la performance actionnariale ? Est-ce l’inverse ? Ou bien, existe-t-il une synergie entre les deux ? De même, si l’on en croit une étude réalisée par l’Edhec en 2008, la rentabilité de l’ISR ne semble pas supérieure à celle du marché.

Ce constat mitigé ne doit cependant pas décourager tous ceux qui sont convaincus que la valeur créée dépend avant tout des hommes. Le défi consiste à intégrer de manière structurée cette dimension dans l’évaluation et la communication financière. Pour l’instant les évaluateurs procèdent de manière très indirecte. À l’inverse des US Gaap, les IFRS ne permettent pas la reconnaissance d’une assemblée workforce dans l’allocation comptable du prix d’acquisition d’une société. Seul le capital intellectuel qu’elle cristallise peut faire l’objet d’une comptabilisation (marque, brevets, relations clients…). Dans une évaluation d’entreprise, l’aspect social ou humain n’est pris en compte qu’indirectement au travers des entretiens avec le management : si l’évaluateur considère qu’il y a un décalage entre les projections et la capacité de l’entreprise à les réaliser pour des raisons humaines, il doit en tenir compte dans son opinion. Mais cet ajustement est purement subjectif.

Certains mettent beaucoup d’espoirs dans les nombreuses initiatives de normalisation des comportements ou des indicateurs : codes de conduite (Global Compact, principes directeurs de l’OCDE), référentiels (Global Initiative Reporting, Normes ISO 26000, ORG), réglementations (loi NRE). Mais ces initiatives risquent d’inciter les entreprises à privilégier le respect de la conformité au lieu d’essayer de mettre à jour les indicateurs spécifiques à leur modèle de développement.

La voie à suivre est donc complexe : elle consiste à mieux intégrer les différents outils dont dispose l’entreprise (cartographie des risques, en particulier les risques sociaux, tableau de bord type balanced scorecard dans sa « quatrième dimension », celle du capital humain) avec le système de prévisions financières et d’évaluation. En liant de manière plus structurée performances financières et non financières, elle permet de mieux gérer la valeur actionnariale et de construire une equity story convaincante à l’égard des marchés.

 

Contribution originale DFCG pour Option finance (mai 2011).