Les Européens devaient prendre les dispositions nécessaires pour sauver la Grèce et montrer ainsi l’attachement qui lui est portée, et confirmer leur attachement à la pérennité de la démocratie (un comble !), alors qu’entre 1945 et 1974, date de son entrée dans la « Communauté Européenne », les épisodes démocratiques ont été moins nombreux que les périodes de dictatures communistes et militaires. Aussi, chacun doit se féliciter qu’une solution semble avoir été trouvée. Il reste néanmoins beaucoup d’inconnues dont une, de taille, concerne le FMI lui-même.

La directeur général du FMI a rappelé que le plan fera l’objet d’un suivi tous les trois mois et que si les mesures prévues n’ont pas été prises, la communauté internationale « pourrait être amenée à se retirer ». « Mais on n’en est pas là du tout », ajoute-t-elle.

Alors que depuis la date du 5 mai 2010, marquée par la mort tragique de trois jeunes gens, de nombreux mouvements se sont succédé, d’autres – le groupe des Indignés en Espagne, entre autres – sont apparus ; comment peut-on croire que la communauté internationale pourra se retirer si les évènements tournaient mal ?

Par ailleurs, les grandes banques européennes ont pris l’engagement de maintenir, selon les trois options proposées par l’accord du 21 juillet 2011, leur exposition sur la Grèce. On aura compris que, pour inciter avec force les établissements financiers à tenir cette position, le Fonds européen de stabilité financière se substituera à la BCE pour acheter de la dette souveraine sur les marchés primaires et secondaires, et comme Jean-Claude Trichet l’a indiqué, la BCE refinancera les banques qui lui apporteront leur papier pour la durée « suffisante », pour autant que ces effets escomptés auprès de la Banque centrale, soient garantis par des pays émetteurs notés AAA. S’agissant de dette souveraine, l’accord du 21 juillet protège les fonds propres de la BCE et lui rend une liberté de manœuvre, amoindrie jusqu’ici, en matière de politique et de création monétaire. La résultante de ces décisions revient en ligne avec l’orthodoxie économique, même si l’inflation ne frappe pas à la porte de la zone euro contrairement au chômage qui continue sa progression (+1,3 % en France en juin 2011).

Le souci est maintenant de savoir comment concilier réduction des dettes et croissance. Au cours de l’année 2008, on a assisté à un gigantesque transfert de dettes privées vers des dettes publiques. 2010 en Europe est marquée par un mouvement massif de dettes publiques vers la banque centrale à l’instar de ce qu’avaient fait la FED et la banque d’Angleterre. En 2011, ces dettes souveraines européennes vont être transférées de la BCE vers le FESF alors que rien ne change pour les Anglais et les Américains dont on ne sait toujours pas comment ils vont sortir de leurs programmes de « quantitative easing ». Cela éloigne l’idée d’un retour de l’inflation et de la « planche à billet » puisque la Banque centrale a retrouvé des marges de manœuvre.

Mais cela n’éloigne-t-il pas également l’idée d’un retour rapide à l’emploi, puisque le choix politique structurant de la semaine passée a été que la croissance viendrait de gains de productivité – toujours long à mettre en œuvre – et pas de l’inflation –toujours facile à créer !

Dominique Strauss-Kahn avait indiqué en mai 2010 que le plan d’alors devait « s’étaler jusqu’en 2013-2014 », avec un objectif de réduction du déficit de la Grèce de plus de 13 % à 3 %, et « mettre la Grèce à l’abri de la spéculation pendant 18 mois » en engageant des sommes « beaucoup plus considérables que ce qui était prévu initialement ». On note un an après qu’il n’avait pas tort, puisque pour calmer les marchés, le plan 2011 est de fournir aux pays sous revue, 170 milliards d’euros environ (toutes contributions et privatisation grecques confondues) sur des périodes de 15-30 ans, de s’engager à ce que toutes les économies de la zone euro réduisent leur ratio dette/PIB à 3 % au plus tard en 2013, et que tous les pays de l’Euroland, hors la Grèce, affirment qu’ils honoreraient leur signature quoiqu’il arrive.

Ce coup-ci est-il le bon ? Contrairement aux mouvements spéculatifs observés l’année dernière, les marchés cette fois ont assisté à une détente substantielle des niveaux de CDS grecs et de ceux des dettes des pays dits périphériques. Les options proposées aux institutions financières le 21 juillet vont générer dans les comptes des banques et des assurances des pertes – acceptables financièrement et annoncées lors de la présentation de leurs résultats semestriels – qui étaient ainsi « dans les prix de marché ». Aussi l’incertitude est levée… pour un temps. Mais reste à l’esprit deux obstacles majeurs successifs sur le chemin de la normalisation : celui de la ratification par les parlements de l’Euroland des décisions « bruxelloises », d’une part, celui de la mise en œuvre de politiques drastiques de réductions des dépenses et de hausses des recettes dans les pays concernés, tous les pays concernés, c’est-à-dire la France aussi, d’autre part.

À cet égard, la course à l’orthodoxie budgétaire lancée entre le président Sarkozy et son opposition, a le mérite de remettre l’économie au centre du débat de la prochaine élection présidentielle (on a craint que seuls fussent devenus importants les problèmes de la sécurité intérieure et extérieure, de l’immigration, de la culture…). Mais on sent bien que l’idée de faire voter par le Congrès une disposition constitutionnelle dite « règle d’or », consistant à fixer sur moyenne période une trajectoire soutenable de déficit budgétaire, est clivante. C’est de bonne guerre… et surtout de bonne politique car l’existence même de ce débat devrait permettre – il faut s’en féliciter – de limiter les manifestations de violence dans notre pays. Ce ne sera pas le cas dans les pays assistés qui n’ont pas de choix et les mouvements de masse restent à craindre avec son lot d’atteintes aux personnes et aux biens et d’actes anti-citoyens divers. Clairement les risques d’exécution1 du plan sont grands, et il faudra un talent et un courage certains aux dirigeants européens – qui n’en manquent pas, citons le suicide politique « à la Socrate, à la Montherland ou la Mishima »2 de Zapattero…et peut être celui, en cours, de madame Merkel – pour que l’attelage arrive à bon port sous 18 mois.

Enfin, et cela n’est pas le moindre souci. On a souvent indiqué sur ce blog, tout en espérant se tromper, à quel point l’option mixte (CE/BCE et FMI) de soutien de la Grèce était hasardeuse. Rappelons que la thèse avancée sur ce blog en juin 2010 était que face aux mécontentements de la rue, il était préférable que les « indignés » prennent comme bouc-émissaire, le FMI – qui a le dos large et en a vu d’autres – que « Bruxelles » qui doit apparaitre comme LA solution et pas LE problème !

Force est de constater, un an après que nous nous étions peut-être trompés, non pas sur le plan sociologique, mais sur celui, plus terre à terre, de l’économie.

Car comptons bien !

Le sauvetage de la Grèce nécessite en deux ans près de 300 milliards d’euros. En cas de « contagion », on évoque, certes sans bien les justifier, 100 milliards d’euros pour le Portugal et 280 milliards d’euros pour l’Espagne. Soit un montant de près de    700 milliards d’euros. Le FMI a également mobilisé 30 milliards d’euros en Hongrie et quelques milliards pour les pays baltes.

Alors que le FMI a été désigné par le G20 comme un prêteur en dernier ressort des États, des banques centrales et des banques systémiques, il n’est pas inutile de rappeler que l’augmentation de capital du FMI décidé, il y a trois ans était de 500 milliards d’euros environ… seulement !

Question donc : et si le FMI n’avait pas les moyens de soutenir, seul, les pays européens à risque ? La hausse considérable, à titre préventif, de garanties étatiques accordées par avance aux émissions du FESF et du futur MES décidées la semaine dernière est un élément de réponse en soi. Ce n’est pas rassurant, mais la volonté politique des dirigeants européens exprimée actuellement va donner à réfléchir aux marchés et est susceptible d’éviter toute contagion périphérique.

L’absence de réaction par les opérateurs, à l’annonce de la dégradation de la Grèce à un cran du défaut par les agences de notation, montre que, pour quelques temps, les pays ont repris la main.

On a – tragiquement – rappelé au cours du week-end dernier en Norvège, cette aphorisme de John Stuart Mills3 qu’un homme déterminé avait plus de force que 100 000 individus intéressés seulement par le gain.

Et si l’on remplaçait mot pour mot homme par Européen, et individus par opérateurs de marché? L’Europe aurait alors progressé.

[tabs slidertype= »top tabs »][tabcontainer] [tabtext]1.[/tabtext] [tabtext]2.[/tabtext] [tabtext]3.[/tabtext] [/tabcontainer] [tabcontent] [tab]1.  Les dirigeants européens ont invité la Grèce et l’Espagne à intégrer dans leurs plans de marche les conseils de « techniciens bruxellois » – atteinte supplémentaire à leur souveraineté – afin de rassurer les marchés.[/tab] [tab]2. Le devoir est de se sacrifier plutôt que d’assumer sa faiblesse.[/tab] [tab]3. De la part d’un chantre de l’Utilitarisme, faire passer la volonté sur la cupidité, mérite d’être mentionné ![/tab]  [/tabcontent] [/tabs]

Dominique Chesneau