En clair, y a-t-il de bons projets de long terme « prêts à la pioche », atténuant cette contrainte de calendrier ?

Une solution pourrait être de séparer clairement le temps des décisions et études techniques du temps de la réalisation physique. L’État et les grandes collectivités locales lanceraient concrètement les études de faisabilité des projets, aplaniraient les contraintes financières et juridiques, les classeraient par ordre de priorité, pour ensuite… les garder sous le coude. Ceci dans l’attente du moment conjoncturel propice. On assumerait délibérément les coûts préparatoires des projets sans avoir fixé la date où la pelleteuse va démarrer. Ces coûts sont estimés à entre 5 et 7 % pour les projets d’infrastructure classiques, beaucoup plus pour les projets industriels tel le plan hydrogène ou le transport ferroviaire que prévoit le Plan de relance.

 

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L’idée n’est pas neuve. On en trouve des premières expressions aux États-Unis dans un discours du président Coolidge en 1927. Le très important programme autoroutier américain sous la présidence d’Eisenhower a duré 13 ans et, avec ses près de 70 000 km, restera pendant longtemps le plus grand projet d’infrastructure de l’histoire du pays. On y avait introduit dès l’origine l’idée d’un cadencement selon les besoins contracycliques de l’économie, inconnus évidemment au moment de la décision. L’idée avait été poussée aussi par le président Obama, qui la reliait à un projet de grande banque publique d’investissement (qui n’a pas vu le jour). Mais nous avons la BPI en France, et la BEI en Europe. Il s’agirait ici, dans le langage des économistes, de mettre en place un autre type de « stabilisateur automatique », dévolu à l’investissement public plutôt qu’à la distribution de revenus de transferts.

Parfois, l’heureux cadencement est dû à la chance. Hitler a trouvé « prêt à la pioche » l’immense plan autoroutier allemand mis au point sous la République de Weimar, qui a contribué à la spectaculaire reprise de l’économie allemande. Plus proches de nous, beaucoup des travaux d’infrastructure liés au projet du Grand Paris (telle la ligne Roissy – Gare de l’Est) sont déjà bien étudiés techniquement, mais la décision de lancer la pelleteuse dépend, à juste titre, d’un arbitrage entre le respect de la date des JO et le risque d’un engorgement technique. Le creux conjoncturel présent incite-t-il à revoir cet arbitrage ?

Hors ce type de chance, il pourrait être recommandé que l’exécutif tienne constamment à jour une liste de grands travaux à venir avec études de faisabilité bouclées, ceci par exemple dans le cadre du Plan, dont l’idée vient d’être relancée avec la nomination de François Bayrou à sa tête.

L’idée comporte une difficulté institutionnelle : quand faut-il décider que l’heure est à une dégradation conjoncturelle qui justifie le coup de pouce public ? Si une relance en cette fin d’année 2020 fait consensus, c’est moins sûr à d’autres moments. On peut difficilement l’anticiper dans un texte de loi ni en confier l’appréciation à un comité d’experts, répliquant pour la politique d’investissement ce qui est désormais le fonctionnement indépendant de la politique monétaire. Le budget et l’impôt restent au cœur de la démocratie. La bonne règle serait d’impliquer fortement le parlement dans le choix du projet retenu et dans sa date de lancement, pour éviter de confondre cycle conjoncturel et cycle électoral.

Voici une mesure qui, pour rester loin d’être parfaite, sensibiliserait l’opinion et les pouvoirs publics à cette indispensable cohérence temporelle entre la cible de long terme et les objectifs de gestion conjoncturelle.  

 

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Cet article a été initialement publié dans Le Monde. Il est repris par Vox-Fi avec due autorisation.