La crise économique s’approfondit de jour en jour, malgré la succession d’annonces des différents gouvernements du G20, qui cherchent en ordre dispersé quel doit être le plan de relance le mieux adapté à la situation locale. Bien que l’histoire ne se répète pas, il n’est pas inutile de regarder le précédent de 1929.

Lorsque l’on analyse l’évolution du PIB américain de cette époque, le renversement de tendance concomitant avec l’élection de Franklin Roosevelt en novembre 1932 est en effet frappant : d’octobre 1929 à mars 1933, la production industrielle américaine a baissé de près de moitié. La reprise a débuté au printemps 1933 et le PIB a atteint à nouveau son niveau de 1929 trois ans plus tard, en 1936.

Cette analyse amène deux types de questions : d’une part, aurait-il été possible d’éviter la crise de 1929 si les mesures mises en place par Roosevelt avaient été prises plus tôt et d’autre part, ces mesures sont-elles adaptées pour résoudre la crise actuelle ?

Comme en 2008, la crise de 1929 a débuté par une forte chute de la Bourse, qui a, elle-même, entraîné la faillite de banques importantes. Comme en 2008, les hausses et baisses se sont succédées à un rythme effréné et la volatilité s’est emballée. Celle-ci n’a retrouvé un niveau normal que trois ans plus tard, la chute des cours constatée entre 1930 et 1932 ayant été supérieure à celle de 1929 : du 3 septembre 1929 au 3 juillet 1932, le Dow Jones a perdu 89 % de sa valeur.

A partir du mois d’octobre 1932, la volatilité des cours s’est réduite et les indices ont arrêté leur chute. Quelques mois plus tard, la reprise intervenait.

Les liens de causalité entre le krach boursier et la crise de l’économie réelle ont été décrit abondamment : d’une part la crise bancaire réduit le crédit, donc l’investissement et la consommation ; d’autre part, la réduction de la valeur de l’épargne des ménages incite ceux-ci à tenter de reconstituer leurs économies et donc, à nouveau, à réduire leur consommation. C’est le mécanisme décrit par Keynes.

Mais il est un autre lien, plus psychologique, fondé sur la perte de confiance dans l’avenir : la volatilité exacerbée de la Bourse et la chute vertigineuse des cours font perdre toute valeur de référence aux actifs matériels – immobilier, entreprises, matières premières. Les décisions d’investissement des ménages et des entreprises sont de ce fait gelées dans l’attente de la sortie du brouillard.

N’en sommes-nous pas là actuellement ? Depuis six mois, les entreprises ont gelé leurs projets d’investissement, réduit leurs stocks, les ménages n’achètent plus de biens d’équipement (automobile, électroménager…). Les moyens libérés par les gouvernements réjouissent la Bourse pendant 24 heures, puis la hausse fait long feu, et la volatilité boursière repart de plus belle.

La perte de confiance repose sur deux sentiments diffus portés par les marchés : d’une part la crise boursière a résulté des déséquilibres financiers accumulés et les sommes injectées vont encore accroître le problème. D’autre part, les pertes bancaires sont encore devant nous et la crise bancaire n’est pas finie.

Il ne suffit pas de décider de nouvelles dépenses publiques, même si ce renfort est bien entendu nécessaire. Il faut aussi rassurer les marchés financiers pour rétablir la confiance et stabiliser le prix des actifs.  Tant que cette stabilisation ne sera pas intervenue, les mesures de relance peuvent même avoir un effet négatif si elles accentuent l’incertitude sur leur remboursement futur.

Nul ne sait à ce jour dans combien de temps et à quel niveau de cours interviendra cette stabilisation.  Les Etats tentent, chacun de leur côté, de conforter les marchés en aidant les entreprises que leur taille interdit d’abandonner aux conséquences de la crise. Ces aides, en capital ou en prêt, atteignent maintenant plusieurs centaines de milliards d’euros.

Pourtant, en agissant ainsi au coup par coup, sans plan global préétabli, le risque est grand d’être au mieux trop dispendieux et, au pire, inefficace. C’est au niveau de l’ensemble de son économie qu’un Etat doit se placer. Il doit défendre une valeur minimum de ses entreprises au même titre qu’il surveille la valeur de sa monnaie.

Chacune des principales bourses dispose d’un indice composite représentatif de la valeur moyenne des entreprises qui y sont cotées (S&P500, FTSE 100, CAC 40…). Il ne serait pas anormal qu’un Etat intervienne dans ces moments de grave défiance pour stabiliser le cours de ces indices en contribuant à en réduire la volatilité. Compte tenu de l’impact qu’une annonce de ce type aurait sur les marchés, il est vraisemblable que les sommes nécessaires ne seraient pas plus importantes que celles qui sont actuellement engagées, avec deux avantages : une plus grande efficacité d’abord, une assurance de plus-value sur les sommes engagées lorsque la crise sera passée ensuite.

Ce type d’intervention, coordonnée au niveau européen, devrait bien entendu rester exceptionnel, à la mesure de la gravité de la crise que nous traversons. Il devrait contribuer à réduire sensiblement le délai de retour à la visibilité du prix des actifs, condition pour que l’économie redémarre, pour que les entreprises investissent et que les ménages achètent.

Ce nouvel instrument ne doit pas étonner : il constitue une des composantes du contrôle des marchés financiers dont la crise a montré la nécessité.

Bertrand Piens, président de Fontenay-Managers, ancien administrateur de l’Insee