Faire un bon produit, c’est bien. Savoir le vendre, c’est encore mieux ! Pourquoi cette logique, désormais imparable dans le monde des services marchands, ne pénétrerait-elle pas les « produits » (les services à caractère de bien public) dispensés par la puissance publique, dans son rôle régalien, redistributeur ou régulateur ?

Prenons un exemple. L’État veut favoriser la filière des économies d’énergie et constate que le jeu naturel du marché n’y suffit pas, le consommateur ordinaire répugnant à s’engager dans une dépense lourde d’isolation de son habitat pour un retour éloigné ou mal perçu ou dont les bénéfices sont davantage collectifs (un moindre réchauffement climatique) qu’individuels.

Passage à l’action : des politiques s’émeuvent. Vite, vite, les services de Bercy conçoivent un dégrèvement fiscal en cas d’isolation de l’habitat, en peaufinent le texte avec le Conseil d’État, le font voter par le Parlement, et… vogue le nouveau « produit » !

Dans le cas d’espèce, sommes-nous certains que le dégrèvement fiscal est la meilleure enveloppe pour le produit en question ? Peut-être, mais peut-être pas. Non dans le cas du consommateur peu fiscalisé ? Non, dans le cas du consommateur qui sépare clairement son optimisation fiscale de son comportement de consommation ? Pourquoi par exemple ne pas habiller le produit sous forme de bons gratuits à faire valoir sur sa consommation d’électricité ou de gaz, proportionnels à l’économie d’énergie réalisée ? Quelle campagne de publicité concevoir en parallèle, exploitant habilement la fibre écolo à la mode ? L’a-t-on testé sur une partie de la population pour juger des premières réactions ? Quel est le coût subi par la collectivité à rendre le code des impôts toujours plus complexe et mité par les niches ? Etc.

Ne manque-t-il pas une étape sur cette route expresse ? Bien sûr que oui… : du marketing !

Il en va de même en matière d’aide sociale. On a mis beaucoup de temps pour comprendre qu’une aide pécuniaire sèche donnée à un chômeur pesait, en raison d’un effet de trappe, sur son incitation à reprendre l’activité (qui lui fait perdre l’aide et donc commande un taux d’imposition implicite prohibitif). Il fallait un autre « packaging », sous la forme du RSA ou de l’impôt négatif, faisant décroître l’aide en sifflet en cas de retour au travail. Voilà du bon travail d’homme marketing qui pense avant tout à la façon de rendre efficace son innovation/produit auprès de son public. Et encore ! L’impatience des politiques à sortir le produit a empêché d’achever ce que Martin Hirsch, son concepteur, souhaitait initialement, à savoir une phase d’expérimentation assez longue pour l’affiner.

On trouve une kyrielle d’exemples dans le domaine des politiques d’encouragement à l’épargne longue. Pourquoi se limiter à n’agir qu’avec les sempiternels instruments des taux différenciés de fiscalité, qui deviennent illisibles à force d’être multiples et instables ? Les équipes marketing des banques savent bien que l’épargne est LE domaine qui fait fi de la soi-disant rationalité du consommateur et où une incitation grossière ou un gadget ou une pub bien fagotée valent souvent mieux qu’un coup de pouce fiscal.

Le Gouvernement a quand même parfois la main heureuse : constatant le risque de rupture du crédit fournisseur au plus fort de la crise de crédit en 2008, il met au point, avec la profession des assureurs crédit et le Médiateur du crédit, le produit « CAP ». Cette mesure a ironiquement été davantage efficace par son effet psychologique sur les entreprises que par les montants financiers mis en jeu. Mais à la fin, n’est-ce pas le résultat qui compte ? Et pour un coût budgétaire pratiquement nul. Même chose avec l’Agence France Trésor qui s’est entourée de conseils pour le marketing et la vente de la dette française. Cela fonctionne plutôt bien.

 

[quote type= »center »] Il faut que les services de l’État s’entourent de spécialistes des techniques de vente[/quote]

 

Il est sorti un bouquin très influent aux États-Unis sur un débat que les Américains mettent sous le chapeau du « paternalisme » : « Nudge » de Sunstein et Thaler, deux spécialistes reconnus en matière de psychologie comportementale. La thèse développée est :

  • l’État ne doit pas craindre l’intervention en matière économique et sociale ;
  • un paternalisme soft sous forme de coups de pouce ajustés est légitime ;
  • il ne doit pas hésiter à jouer subtilement avec les incitations et les comportements des gens, si irrationnels qu’ils paraissent.

A. Landier et D. Thesmar reprennent brillamment cette idée dans le livre qui a remporté le dernier prix Turgot du meilleur livre d’économie. Cette action publique sur les comportements, ce marketing d’État, peut de plus protéger les gens contre certaines actions nocives qui sortent de l’esprit fertile des gens du marketing dans le privé. Pour se convaincre de leur pouvoir, il faut voir la série télévisée « Mad Men » en ce moment sur Canal+, qui raconte comment les pionniers du marketing ont aidé à leurs débuts les planteurs de tabac à imposer la cigarette.

Conclusion, dite rapidement : il faut que les services de l’État s’entourent de spécialistes des techniques de vente. Le Parlement devrait rejeter tout projet de loi qui n’est pas accompagné du tampon d’une équipe marketing qualifiée sur la cible recherchée, et qui systématise la pratique de l’expérimentation a priori. Avec une philosophie simple, il est vrai mal accueillie dans le contexte idéologique français d’aujourd’hui : remédier aux insuffisances ou à l’absence du marché en utilisant des techniques de marché, même quand elles s’appuient sur les ressorts les moins avouables de notre psychologie.