Il y a tout juste un an, à l’occasion d’une conférence organisée par la DFCG, le démographe et sociologue Emmanuel Todd prononçait un véritable plaidoyer en faveur d’un protectionnisme européen, « seule solution aux problèmes économiques actuels », selon lui. Cette idée, qui représentait alors, toujours selon l’auteur d’Après l’Empire (Gallimard, 2002), un « quasi-tabou », semble depuis en avoir séduit plus d’un, notamment au sein de notre classe politique.

Afin de répondre à ces derniers et de démontrer que la réponse protectionniste ne peut régler les maux dont souffre aujourd’hui notre économie, la Fondation pour l’Innovation Politique vient de publier, sous la plume de Nicolas Bouzou (membre du Comité scientifique de la DFCG et directeur d’Asterès), un cahier intitulé Quatre propositions pour que l’Europe ne tombe pas dans le protectionnisme (mars 2009, 14 pages).

Bonnes questions, mauvaises réponses
Après avoir énuméré les avantages du libre-échange en préambule, l’auteur note que, si les avocats du protectionnisme posent des questions pertinentes, les réponses qu’ils proposent se révèlent ineptes. Ainsi, Nicolas Bouzou rappelle notamment que la mise en place de toute mesure protectionniste expose à des mesures de rétorsion : « En 1930, les Etats-Unis adoptèrent la loi Smooth-Hawley, qui augmentait de 50 % les droits de douane à l’entrée du pays (…). Rapidement, le Canada et les pays européens prirent des mesures de rétorsion. Les exportations comme les importations des Etats-Unis chutèrent alors d’environ deux tiers. » De plus, l’économiste oppose une fin de non-recevoir à la logique selon laquelle il faudrait fermer nos frontières aux pays qui n’ouvrent pas les leurs. Nicolas Bouzou illustre son propos par l’exemple des textiles chinois : « Il y a quelques années, David Spector a montré que l’invasion de l’Hexagone par les textiles chinois, qui permet aux consommateurs d’acheter des vêtements à un prix beaucoup plus bas qu’auparavant, constituait l’équivalent d’un plan de relance de 1,5 milliard d’euros par an, soit plus que l’argent nécessaire pour indemniser jusqu’à leur retraite les 7 000 salariés menacés de voir disparaître leur emploi. »

Quatre propositions
Enfin s’ensuivent les quatre propositions que le titre du cahier nous invitait à découvrir. « C’est là, et non dans le repli sur soi, que se trouvent les réponses aux questions posées par les opposants au libre-échange », prévient d’emblée l’auteur.

Développer la recherche. En 2006, le ratio des investissements en R&D a été inférieur à 1,8 % dans l’Union européenne, contre 2,7 % aux Etats-Unis et même 3,4 % au Japon. « L’Europe est exclue des secteurs des biotechnologies ou des nanotechnologies non pas à cause du libre-échange, mais du fait de la mauvaise coordination entre recherche publique et recherche privée, et du fait de l’étroitesse des sources de financement. » Aussi, « plutôt que de se barricader derrière des frontières commerciales », Nicolas Bouzou invite les pays européens à se doter d’un système de recherche sélectif (les plus gros financements aux plus performants) et plus intégré (la coopération transnationale plutôt que la concurrence).

Financer l’innovation.
Comme le rappelle l’auteur, il n’existe pas d’équivalent à Intel ou Google en Europe. Et pour cause : les entreprises européennes innovantes manquent singulièrement de financements. Il apparaît donc urgent de faciliter l’accès des nouvelles entreprises aux financements privés. Là encore, une harmonisation européenne serait nécessaire afin de lever les barrières à l’entrée dans le capital des jeunes entreprises pour les fonds de pension et de soutenir la création de sociétés européennes de capital-risque.

Harmoniser les normes et les règlements nationaux.
Plutôt que de fermer le marché européen, l’auteur propose de l’agrandir et de le fluidifier. Celui-ci constitue en effet, sur le long terme, une protection « bien plus efficace que des barrières protectionnistes ». Pour cela les coûts administratifs, juridiques et financiers des opérations économiques transfrontalières devraient être revus à la baisse. De plus, beaucoup de réglementations sont encore nationales, contraignant ainsi les entreprises à mettre en place des filiales dans différents pays, alors qu’il serait « plus pertinent pour elles de croître à partir d’une base nationale ».

Coordonner les politiques macroéconomiques. Si nous avons déjà un « Eurogroupe », sa politique reste minimaliste, voire inexistante, regrette Nicolas Bouzou. Sans vouloir transférer à cette institution les politiques budgétaires des Etats, l’auteur propose notamment la possibilité pour l’Eurogroupe « d’adopter, à la majorité qualifiée, des décisions de politique économique qui s’imposeraient aux États membres de la zone euro dans certaines circonstances prédéfinies ».

Nous vous invitons à prendre connaissance de ce document, à la fois clair et concis, qui démontre une fois de plus les qualités de pédagogue de son auteur.

Raphaël Ozier