La finance s’est engouffrée dans le discours de la libéralisation des marchés de biens, le reprenant à son compte. En 30 ans, la globalisation et la déréglementation de la finance ont fait des progrès vertigineux. Cela a favorisé deux des principaux fléaux de ce début de siècle : l’instabilité économique chronique (qui est une instabilité financière) et des inégalités détruisant le lien social.

 

Un retour de bâton semble s’organiser. Pour qu’il soit le plus rapide possible et n’emporte pas avec lui à la fois les mérites de la globalisation précédente (celle des biens) et les avantages collectifs bien réels de l’économie de marché, il est utile de comprendre l’erreur de raisonnement que l’on fait en assimilant les marchés de biens et les marchés financiers.

 

La collectivité gagne à une globalisation et à une (certaine) dérégulation des marchés de biens, pour trois raisons au moins.

  1. Dans la majorité des cas des économies d’échelle accompagnent la concentration et amènent des avantages collectifs aux consommateurs des biens.
  2. Les coûts de production d’un bien sont connus quand il est mis en vente, ce qui permet aux producteurs de travailler dans une relative sécurité, et à tous les acteurs du marché de repérer les comportements anormaux (les ventes à perte ou les marges obscènes).
  3. Les marchés de biens sont naturellement assez stables, grâce à ce que les économistes appellent une élasticité prix négative pour la demande et positive pour l’offre : quand le prix d’un bien augmente, son offre augmente mais inversement sa demande diminue entraînant ainsi un double ajustement des volumes par les prix. À quelques (gros) problèmes près et qui tiennent principalement à des décalages dans cet ajustement (quand l’ajustement de production prend du temps et crée un cycle d’investissement, ou quand les productions sont volatiles et saisonnières comme dans l’agriculture), le marché converge vers l’équilibre ou, en tout cas, l’équilibre est plus fréquent que le déséquilibre.

 

Malheureusement les marchés financiers ont des caractéristiques exactement inverses sur chacun de ces trois points qui transforment les avantages de la globalisation et de la dérégulation en graves inconvénients.

  1. Il y a certaines économies d’échelle dans la finance, mais elles sont minimes comparées aux déséconomies d’échelle qu’engendrent les risques financiers. Les grosses banques font de grosses bêtises et le mécanisme maintenant amplement décortiqué du « too big to fail » fait que les institutions financières, en grossissant, deviennent des bombes en puissance prenant en otage leurs collectivités nationales.
  2. Les coûts de production d’un service financier (qu’il s’agisse d’ailleurs d’assurance ou de banque) ne sont connus qu’après la mise en vente et parfois très longtemps après : ce n’est qu’à l’échéance d’un prêt ou d’une police d’assurance qu’on peut savoir s’il ou elle a été correctement tarifé. Le contrôle des marchés, par les acteurs ou par un régulateur, est donc considérablement plus difficile, en même temps que leur manipulation est énormément facilitée.
  3. Enfin, l’élasticité qui ramène à l’équilibre les marchés de biens, éloigne de l’équilibre les marchés financiers. Quand le prix d’un actif financier augmente, cet actif attire les investisseurs qui espèrent de la hausse une nouvelle hausse et la provoquent d’ailleurs en achetant. L’inverse est vrai pour les baisses qui découragent la demande. La production en revanche est souvent contrainte : même si la créativité financière permet parfois de multiplier les petits pains (et à quel coût ! Pensons aux subprimes) le volume d’un actif (par exemple le nombre d’actions d’une société) est en général relativement inélastique. L’ajustement par les prix ne se fait pas, au contraire, et les bulles qui sont l’exception pour les biens deviennent la règle pour les actifs financiers.

 

Le débat continue de s’organiser « pour ou contre » la globalisation ou la réglementation des marchés, alors qu’il devrait reconnaître que l’intérêt collectif dépend énormément des marchés considérés. Dans la finance, beaucoup de passagers clandestins s’abritent derrière le marché pour défendre des rentes de situation terriblement coûteuses pour la collectivité. Halte à la globalisation de la finance !