Je dois admettre que je n’étais pas un grand fan de la séparation forcée entre la banque d’investissement et la banque commerciale selon les lignes de la loi Glass-Steagall aux États-Unis. Je n’aime pas les restrictions à la liberté contractuelle, à moins d’un argument convaincant qu’un marché libre n’y arrivera pas. De même que je n’achète pas l’argument que l’abolition de Glass-Steagall a contribué à la crise financière de 2008. Les banques qui ont été à l’avant-scène de la crise – Bear Stearns, Lehman, Washington Mutual, Countrywide – étaient soit de pures banques d’investissement, soit de pures banques commerciales. La possibilité de fusionner ces deux types de banque a été cruciale pour mettre sur pied le secours qu’il fallait pour stabiliser le système – tel par exemple l’acquisition de  Bear Stearns par  JP Morganet deMerrill Lynch par Bank of America.

Au cours des deux dernières années, cependant, j’ai révisé ma position et me suis convaincu qu’il faut imposer la séparation.

Il y a sans doute de meilleures façons de gérer le comportement de prise de risque excessive par les banques, mais le mieux est l’ennemi du bien. Faute de ce mieux, il fait sens de restreindre les investissements des banques commerciales dans les activités à haut risque, parce que leurs dépôts sont assurés. Sauf à supprimer cette assurance – et j’ai des doutes sur la volonté des banques commerciales d’en arriver là – restreindre le champ des activités qu’elles entreprennent est le moyen le plus simple de limiter le fardeau que les banques sont susceptibles d’imposer aux contribuables. La règle Volcker, qui interdit aux banques de s’engager dans le trading pour compte propre mais leur permet de faire du trading dans leur métier principal, n’est pas un bon substitut. Le trading pour compte propre, c’est quand une banque achète un titre en espérant que son prix va monter. Le trading en tant que principal, c’est quand la banque s’engage à acheter un titre à un client comme service à ce client quand celui-ci veut se débarrasser rapidement de sa position. La différence est ténue, uniquement d’intentions, ce qui est impossible à détecter puisque toute transaction implique deux parties consentantes.

La seconde raison pour laquelle Glass-Steagall m’a convaincu est sa simplicité. La loi Glass-Steagall ne faisait que 37 pages. La règle dite Volcker a été transformée en un méli-mélo de 298 pages, qui fera appel à des armées d’avocats pour être interprétée. Plus simple est une règle, moins elle comporte de clauses et moins coûteuse elle est à appliquer. Plus simple elle est, plus les électeurs la comprendront et en débattront facilement. Et plus simple elle est, plus il sera difficile de trouver la faille dans un des recoins mal examinés de la loi.

La troisième raison m’est apparue quand j’ai compris que ce n’était pas par simple coïncidence qu’on voyait sous Glass-Steagall les marchés financiers prospérer et en faire naître de nouveaux (les marchés d’options et de futures), alors que depuis son abandon on voit le déclin des marchés d’actions et une explosion du gré à gré opaque. Pour bien fonctionner, un marché a besoin de beaucoup d’intervenants. La séparation entre banques d’investissement et banques commerciales va priver les banques d’investissement d’un accès à des liquidités peu chères (sous la forme de dépôts), les forçant à réduire leur taille et la taille de leurs paris. Cette limitation accroîtra le nombre des acteurs sur le marché, le rendant plus liquide. Avec l’abandon de Glass-Steagall, les banques d’investissement ont explosé en taille et en poids sur le marché. Le résultat a été que les nouveaux instruments financiers (tels les dérivés de crédit ou credit default swaps) se sont développés sur un marché de gré à gré opaque et animé par quelques intervenants dominants, plutôt que sur un marché public, bien régulé et transparent.

La séparation entre banques d’investissement et commerciale rend aussi le système financier plus résilient. Le crash du marché actions en 1987 n’a pas affecté l’économie parce que les banques commerciales n’ont pas été touchées par la chute du cours des actions. Pendant la crise bancaire de 1990-1991, les marchés financiers ont aidé à soulager la plongée du crédit (credit crunch) parce qu’ils restaient non affectés par la crise bancaire. Par contraste, en 2008, la crise bancaire et la crise des marchés financiers se sont mutuellement infectées, tirant vers le bas la totalité de l’économie.

Enfin et surtout, Glass-Steagall a aidé à restreindre le poids politique des banques. Sous l’ancien régime, les banques d’investissement et les compagnies d’assurance avaient des priorités différentes, de sorte que leurs efforts de lobbying tendaient à s’annuler les uns et les autres. Mais après la levée des restrictions, les intérêts des acteurs principaux convergeaient. Ceci a donné à l’industrie une puissance disproportionnée dans la détermination de l’agenda politique. Ce poids excessif a endommagé non seulement l’économie mais le secteur financier lui-même. Une façon de combattre ce pouvoir excessif, ne serait-ce que partiellement, est de faire revenir Glass-Steagall.

 

Publié par le FT le 10 juin 2012, reproduit avec autorisation de l’auteur et de l’éditeur.