Pourquoi la BCE refuse-t-elle d’être prêteur en dernier ressort ?
L’euro n’a plus que quelques semaines pour être sauvé. Plusieurs institutions se préparent déjà à sa chute. Sachant cela, pourquoi donc la BCE refuse-t-elle de venir au secours des États fortement endettés de la zone euro ? Ce billet fournit une explication. Il indique que la BCE peut fort bien être en train d’agir rationnellement, mais ajoute qu’un tel comportement est à la fois imprudent et dangereux.
Nombre d’analystes appellent la BCE à se porter prêteur en dernier ressort (PEDR) sur le marché obligataire souverain de la zone euro. Voir par exemple Wyplosz 2011. Jusqu’à présent, elle a résisté. Pourquoi ?
Une explication non dogmatique et rationnelle
Voici une possible explication qui a le mérite de reposer sur une conduite rationnelle de sa part. D’autres explications partent couramment de l’idée que les personnes en charge de cette question à la BCE sont guidées par une pensée dogmatique qui les empêche de voir la nécessité d’agir. C’est peut-être le cas, mais il demeure intéressant d’essayer d’expliquer ce comportement en supposant que les décideurs agissent rationnellement.
Quand une banque centrale est désignée pour être PEDR, elle doit évaluer les coûts et avantages de ses actions. Reformulons alors le problème en termes de coûts et avantages de l’inaction, c’est-à-dire de ne pas fournir le service de PEDR.
Soit donc une banque centrale qui fait face à une crise bancaire (nous verrons plus loin le cas d’une crise sur le marché des emprunts d’État).
- Le coût de l’inaction vient du risque que l’inaction peut provoquer un effondrement du système bancaire. S’il s’effondre, la banque centrale sera très certainement jugée responsable.
- Le bénéfice de l’inaction est d’éviter l’aléa moral futur, ce qui a l’avantage de préserver un système bancaire stable sur le long terme.
Quand elle évalue coût et bénéfice, l’horizon de temps sur lequel ces coûts et ces bénéfices vont se matérialiser a donc une grande importance.
- Quand la banque centrale fait face à une crise bancaire, le coût de l’inaction va se matérialiser très rapidement.
Quand les banques sont sur le point de s’effondrer, le coût de ne pas fournir le service de prêteur en dernier ressort est presque instantané. Cela tient au fait que les engagements des banques ont typiquement des maturités très courtes (dépôts bancaires ou interbancaires).
- Les bénéfices de l’inaction, cependant, ne se matérialiseront que dans le futur, et peut-être très loin dans le futur.
Il est même probable que seuls les successeurs vont engranger les bénéfices, sans peut-être même s’en rendre jamais compte.
Un calendrier asymétrique des coûts et des avantages
Cette asymétrie dans le calendrier de l’impact des mesures prises aide beaucoup à expliquer pourquoi une banque centrale, même la plus conservatrice, ne cherchera pas longtemps à éviter les coûts immédiats (la chute du système bancaire), même si elle perd au passage les gains futurs, et même si ces gains sont très importants. Cette asymétrie explique pourquoi la BCE n’a pas hésité une seconde à fournir le service de PEDR aux banques de la zone euro, malgré l’aléa moral qu’elle créait à l’occasion.
Qu’en est-il du marché des emprunts d’État ?
On peut maintenant appliquer cette analyse coût/avantage au marché des emprunts d’État. On voit tout de suite une différence criante avec le secteur bancaire : la crise de la dette souveraine se développe avec une allure d’escargot, quand on la compare à une crise bancaire. Quand les investisseurs vendent des obligations d’État et font monter le taux d’intérêt, ils alourdissent le coût d’emprunt pour les gouvernements, mais avec un certain délai parce que la maturité des obligations est typiquement de l’ordre de 5 à 7 ans. Il n’y a pas la menace d’un effondrement imminent comme pour une crise bancaire.
Quand donc advient une crise de la dette souveraine, l’absence de danger immédiat fait qu’une banque centrale conservatrice, telle que la BCE, attachera plus de poids aux avantages à long terme de réduire l’aléa moral. Elle attendra pour agir.
Quel pronostic formuler ?
Cette analyse me conduit à faire le pronostic suivant :
- La BCE n’agira que lorsque le coût de l’inaction sera immédiat et clair.
Par conséquent, la BCE attendra probablement jusqu’à ce que la crise dégénère en crise bancaire complète.
- Il n’y a pas à douter que la crise de la dette souveraine va conduire à une crise bancaire.
La raison en est que la chute continuelle du prix des obligations d’État va marteler les bilans bancaires au point de rendre les pertes insupportables.
De plus, les crises de dette souveraine entraînent des problèmes de financement pour les banques et le risque de se trouver coupées du marché interbancaire. Il y a donc un moment où la crise souveraine déclenche une crise bancaire. Ce sera le moment
pivot où la balance coût/avantage penchera vers la décision de prêter en dernier ressort.
Remarques finales
Tout cela est déprimant, pour deux raisons :
1. Le montant de liquidités que la BCE aura alors à injecter dans le système bancaire sera très probablement bien supérieur à ce qu’elle aurait dépensé pour stabiliser le marché des obligations d’État.
- Cette assertion repose sur un fait simple : les engagements des banques de la zone euro sont plus de trois fois celles des gouvernements de la zone euro (De Grauwe 2011).
2. La crise bancaire déclenche une récession profonde et durable. Voir Reinhart and Rogoff 20091.
- Cela peut mettre en danger la zone euro elle-même.
Vos réactions
Très bon article de Paul de Grauwe sur le BCE / PEDR
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analyse claire et interessante
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clair et interessant
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